Carrément éclipsé par la crise économique et l’envolée des prix, le second tour des élections législatives aura lieu le 29 janvier. Après une campagne anonyme, l’abstention battra-t-elle un nouveau record ?
Par Hatem Bourial
Kaïs Saïed va-t-il tenter de donner un coup de pouce à des élections législatives chancelantes en reprenant ses visites inopinées, ou bien le président de la République gardera-t-il un profil bas, redoutant une nouvelle abstention massive le 29 janvier ?
Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité que ce processus électoral a largement fragilisé la position du chef de l’État. C’est en effet l’ensemble du calendrier politique voulu et imposé par Kaïs Saïed qui a connu un coup d’arrêt spectaculaire le 17 décembre dernier, lorsqu’ont été connus les résultats du premier tour.
Le coup d’arrêt du 17 décembre
Faisant la sourde oreille aux critiques qui fusaient de partout, Kaïs Saïed n’avait rien modifié dans sa démarche qui consistait à aller vers le scrutin législatif après avoir organisé une consultation nationale puis un référendum. Malgré la désaffection de l’opinion publique et la réprobation de la classe politique, Saïed n’avait rien voulu entendre, faisant fi de la participation largement insuffisante et tenant coûte que coûte à passer en force.
Pourtant, c’est toute la légitimité de son approche qu’il mettait en jeu. Fragilisé d’abord par une consultation électronique dont les incohérences ont été criardes, le président n’a pas tiré les bonnes conclusions de l’échec populaire du référendum. À chaque ratage, son assise était ébranlée, entraînant par conséquent un déficit de légitimité. Ce glissement a atteint son comble avec le taux de participation insignifiant dans le scrutin législatif.
Le peu de consistance des candidats, leur manque flagrant de culture politique, la grogne des syndicats et le boycott des partis politiques ont abouti à cette Bérézina inédite qui a atteint des proportions dantesques à cause du désintérêt quasi total de l’opinion pour ces élections.
La conjoncture morose pèse encore sur le scrutin
Saïed pouvait bien ironiser en mentionnant que le taux de participation très faible valait mieux que les pourcentages unanimes de l’ancien régime. Il n’en reste pas moins que les électeurs avaient boudé ce scrutin qui est essentiel pour le président, le laissant face à une solitude inattendue.
Car s’il est une signification fondamentale pour le premier tour des élections législatives, c’est bien celle qui induit que le président Saïed a vu son élan stoppé par les électeurs. Lui reprocheraient-ils de s›être trop investi dans la politique et la quête de légitimité, les abandonnant à l’inflation, la vie trop chère et aux pénuries ?
Un simple radio-trottoir permet de constater que la popularité du président est en net recul. D’ailleurs, les sondages d’opinion qui désormais ne sont plus audibles, pourraient aisément le démontrer. Se surinvestissant sur un calendrier politique censé fonder de jure la légitimité du processus du 25 juillet, Saïed n’a pas considéré les résultats de la consultation électronique et du référendum à leur juste mesure. Au lieu de rectifier le tir, il a littéralement ignoré les deux coups de semonce venus souligner les limites de sa démarche. Et nous voici désormais face à un second tour des Législatives anticipées qui pourrait confirmer l’échec du 17 décembre dernier.
Quel sort pour la main tendue par la Centrale syndicale ?
Comment le président de la République compte-t-il rebondir ? Les observateurs ont tous constaté son activisme sur le terrain et les visites inopinées qu’il a récemment effectuées. De même, les arrestations dans les rangs des islamistes d’Ennahdha et de leurs alliés se sont multipliées alors que les dossiers occultés sont revenus au-devant de l’actualité.
Ce que redoutait le pouvoir exécutif n’a de même pas eu lieu, le 14 janvier, puisque ses opposants ont défilé en ordre dispersé et surtout, ne sont pas parvenus à mobiliser des foules. Bien sûr, l’épée de Damoclès syndicale reste à l’ordre du jour. L’Union générale tunisienne du travail reste en effet mobilisée et évoque régulièrement des mots d’ordre de grève générale, notamment dans le secteur public. Toutefois, cette posture en attente de l’UGTT s’explique aussi par la volonté d’imposer aux deux têtes du pouvoir exécutif, un dialogue national inclusif.
Donnant des gages au président de la République, la Centrale syndicale a même laissé entendre que les tendances politiques qui qualifient le 25 juillet de coup d’État, ne seront pas invitées à ce dialogue national auquel Saïed avait voulu substituer sa consultation électronique. Enfin, le puissant syndicat – il ne faut pas l’oublier – n’a pas donné de mot d’ordre à ses adhérents ni orienté leur vote, voire leur participation, au scrutin législatif.
Kaïs Saïed prendra-t-il la perche que lui tend l’UGTT ou persistera-t-il dans son cavalier seul ? Cette question est cruciale, car elle va conditionner le climat politique qui va suivre l’installation des nouveaux députés à l’Assemblée des représentants du peuple.
Un outil de légitimation de la démarche présidentielle
Ces derniers pourraient être chahutés par l’opposition et immédiatement fragilisés à cause de la fragilité arithmétique du vote qui les a envoyés au Parlement. Ils pourraient aussi bénéficier d’une trêve propice au cas où Saïed choisirait de composer avec la Centrale syndicale. Reste que ces nouveaux députés pourraient être également interrogés sur leur crédibilité s’il s’avérait que le nouveau Parlement serait inféodé au pouvoir exécutif, ne constituant qu’une boîte d’enregistrement comme le redoutent plusieurs observateurs ainsi que les partenaires internationaux de la Tunisie.
Avec pour leitmotiv l’indéniable « Il n’y a pas de démocratie sans parlement », les critiques risquent d’être nombreuses et paralysantes si les parlementaires n’ont pas d’autonomie par rapport au pouvoir exécutif. Toutefois, il convient aussi de ne pas oublier que pour beaucoup de Tunisiens, il est temps qu’un chef d’orchestre dirige le pays en revenant à un pouvoir présidentialiste. Ceux-ci ne verront pas d’un mauvais œil la concentration des pouvoirs à laquelle semble aspirer Kaïs Saïed. Car in fine, le scrutin législatif est un outil ultime de légitimation juridique du chef de l’État. Mais la faible participation au premier tour est venue mettre en échec cette démarche légitimante.
Vers une nouvelle claque abstentionniste ?
Pour toutes ces raisons, les regards des observateurs seront fixés, le 29 janvier, sur le taux de participation. Ce taux devrait être plus élevé que celui du premier tour car Saïed est en train de mobiliser les indécis. Y parviendra-t-il vraiment ? La réponse sera connue dans quelques jours alors que l’opposition prévoit une nouvelle claque abstentionniste.
Autrement, la campagne électorale ne suscite quasiment aucun intérêt. Elle devrait s’achever le 27 janvier à minuit alors que les résultats préliminaires seront connus trois jours après le scrutin. En contrepoint, seule la guéguerre à laquelle se livrent l’Instance supérieure indépendante pour les élections et la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle, a accroché l’opinion publique. Les électeurs ont suivi les péripéties de cette querelle sur fond de récriminations de la HAICA qui crie à l’ingérence et accuse l’ISIE d’être cautionnée par le pouvoir exécutif.
Enfin, après une campagne électorale au ralenti et déjà des inquiétudes sur la capacité du prochain parlement à être à la hauteur des revendications populaires, les 262 candidats répartis sur 131 circonscriptions devront attendre le 4 mars au plus tard pour connaître les résultats définitifs du scrutin.
Un vote sanction à l’encontre de Kaïs Saïed
En attendant, tous les moyens sont mis en œuvre par les pouvoirs publics pour que le taux de participation soit honorable, dépassant les 12% du premier tour. Rien n’est moins sûr, car l’opinion tunisienne semble déterminée par son silence et sa désaffection toujours grandissante à infliger un vote sanction à l’encontre de Kaïs Saïed.
Le président de la République est en effet perçu comme ne se souciant pas de la conjoncture économique difficile et du pouvoir d’achat des citoyens. La coïncidence de ces élections législatives anticipées avec la publication de la loi de Finances, le camouflet du Fonds monétaire international et les atermoiements du gouvernement Bouden soupçonné de vouloir imposer en douce, une augmentation générale des prix, ont lourdement plombé l’ensemble du processus.
D’aucuns évoquent déjà un remaniement ministériel imminent alors que le pouvoir exécutif est de plus en plus ouvertement accusé de préférer l’opacité à la transparence.