Par Alix Martin
Mais, pour le promeneur nostalgique que nous sommes, nous rappellerons aujourd’hui, un autre jour qui nous semble davantage chargé d’émotion et de signification : le 1er Juin 1955, le jour du retour du Président Habib Bourguiba en Tunisie : « La fête de la Victoire ».
L’indépendance
La France avait été contrainte d’accorder une autonomie interne au pays le 31 Juillet 1954. Mais le jour où le leader débarqua à la Goulette, représente vraiment, pour nous, le jour de l’Indépendance. La foule immense, la « mer humaine » qui s’était massée sur et autour du port pour accueillir son « Chef » incontestable a pris toutes les libertés : le sol tunisien lui appartenait, les règles, c’était le peuple qui les définissait !
C’était tout un peuple qui hurlait sa joie, son attachement, sa foi, acclamant le « Combattant Suprême ». A cette époque, ces mots avaient un sens : une vingtaine d’années, avec la fondation du « Néo-Destour », de combats, de prisons, de bagne, de déportation, de prises de positions historiques, visionnaires : 1941, le ralliement aux Alliés, aux démocraties, à la liberté, puis, le refus de considérer le peuple français comme un ennemi, le refus « d’insulter l’avenir ». Son titre n’était ni usurpé ni galvaudé !
Ce jour là, Habib Bourguiba a été porté, hissé sur un cheval blanc, comme celui sur lequel, l’iconographie populaire représente Kheireddine Pacha !
Tout le long de la vingtaine de kilomètres séparant La Goulette de Tunis, la mêlée humaine : un peuple uni, « fusionnel », s’est écoulé lentement, dans l’enthousiasme, jusqu’à la « place de l’horloge » – quel scandale : remplacer sa statue par une horloge laide ! – où l’attendait une autre foule – comment était-ce possible ? Toute la Tunisie semblait être à la Goulette ? – qui était accourue de la Médina, de tout Tunis, de la banlieue et du pays entier.
Il est souhaitable, en ces jours qui voient la naissance difficile de la IIe République, où d’énormes problèmes économiques et sociaux pèsent sur l’avenir, où des « réfractaires » contestent, armes à la main l’autorité de l’Etat, que ce peuple se souviennent de ces jours de liesse où son unité faisait sa force.
La goulette
« Halk El Oued » : la gorge de l’Oued était, à cette époque, un lieu magique, antichambre de Tunis, et banlieue de Carthage, où se rencontraient, tous les peuples, toutes les cultures de la Méditerranée : Tunisiens, Français, Italiens, Russes, Turcs, Espagnols, Maltais, Grecs, etc. … Chrétiens, Musulmans, Juifs, Agnostiques, se côtoyaient paisiblement, joyeusement, devrions-nous dire, dans une familiarité bienveillante.
Qui ne se souvient d’avoir vu les marins musulmans tunisiens se quereller pour avoir « l’insigne honneur » de porter sur leurs épaules la statue de la Madone, Lella Mariem, durant la procession du 15 Août ? Les femmes juives et musulmanes offraient des cierges à l’église ce jour-là, et revêtaient leurs habits de fêtes pour saluer le passage de la statue. Si l’on va s’y promener lentement, encore aujourd’hui, malgré de nombreuses reconstructions, on reconnaît le « style de la Goulette » : les portes en bois, à double battant, surmontées d’une imposte hémicirculaire fermée par une grille en fer forgé. Tous les balcons de cette époque sont dotés d’une balustrade en fer forgé qui, comme les stucs décorant des façades, chantent la gloire des artisans d’alors.
Toutes les fenêtres hautes et étroites sont fermées par des persiennes à la « vénitienne » qui laisse passer l’air, protègent l’intimité des habitants mais permettent de voir ou plutôt d’épier le spectacle de la rue !
Aujourd’hui encore, le parfum des mets flotte dans les ruelles étroites et la tradition des petits restaurants, des guinguettes de plage, du « poisson complet », de la « pâte » : « la pasta chouta », qui a maintenant un goût délicieux d’épices, d’ail et d’harissa à la tunisienne, tout cela existe encore.
Certes, la « Goulette neuve » : avec les riches villas de familles européennes : Bogo, la comtesse Raffo, Chapelié, King, Modigliani a disparu en grande partie sous les bombardements de 1942-1943.
Mais l’animation « bonhomme », l’amabilité des « goulettois » transforme une promenade en une partie de plaisir. Ne manquez pas de vous rendre quelquefois au marché, des poissons au moins, vous ne serez pas déçus. Invitez-vous parfois, nous dirions souvent, dans un restaurant. Même ceux qui ne « paient pas de mine », servent des mets délicieux. Allez flâner sur le boulevard de front de mer puis prendre un thé, un café, ou une glace, selon vos goûts, dans un des établissements qui le bordent. Nous parions que vous y reviendrez, ne serait-ce que pour regretter que la « karraka » ne soit pas mieux mise en valeur.
La citadelle
Après s’être emparé de Tunis, au cours de l’été 1531, Kheireddine, dit Barberousse, Amiral des flottes turques, inclut la petite tour carrée, située sur la rive nord du chenal dans quatre bastions carrés.
Après l’expédition de Charles Quint, en 1535, les Espagnols s’installent à la Goulette et améliorent ses défenses. La petite tour et ses bastions sont englobés dans une nouvelle forteresse, achevée en 1556.
Philippe II d’Espagne, craignant de nouvelles attaques turques, renforce la citadelle de Charles Quint : « Vieille Goulette », en l’enveloppant dans une enceinte flanquée de six bastions : la « Nouvelle Goulette ».
Après leur victoire de l’été 1574, les Turcs s’efforcent de démanteler la citadelle dont les vestiges de la « Vieille Goulette » se dressent sur le rivage jusqu’au XVIIe siècle. Sur l’ordre du Dey Ahmed Khouja, un seul bastion, encore en état, est englobé dans un nouveau fort en 1640, ensuite, doté du bastion Nord-Est de la « Vieille Goulette », remis en état. A la fin du XVIIIe siècle, de grands travaux sont entrepris à la Goulette : le canal est approfondi, une darse aménagée, un arsenal créé et le vieux fort restauré. Au cours du XIXe siècle, le Bey Hammouda Pacha donne à la citadelle son aspect actuel.
Suggestions
Cette citadelle : La Karraka est le premier bâtiment remarquable, au sens propre, que tous les étrangers, en particulier les visiteurs aisés des croisières, voient après avoir débarqué. Ce sera aussi leur dernier souvenir de la Tunisie. Ne pourrait-il pas être en meilleur état et présenter une image plus « soignée » du pays ?
Ne pourraient-ils pas voir flotter, sur cette citadelle ou sur la porte monumentale de l’ancienne caserne disparue, la magnifique flamme écarlate du drapeau tunisien ou, au moins, le fanion de la Goulette qui doit bien exister ?
Aucune municipalité, aucune A.S.M., personne n’aura l’idée de protéger les embrasures, mal murées, au ras du sol qui servent parfois de « lieu d’aisance » aux passants « incivils » ? Aucune « A.S.M. » n’aura envie de faire « vivre » cette citadelle chargée d’histoire ?
La citadelle, restaurée, débarrassée de ses gravats et des câbles électriques, « habillée », armée, dotée d’un opuscule – il y a des dizaines d’universitaires chômeurs ! – qui raconterait son histoire, retiendrait l’attention de bien des gens.
A.M.