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Le président Kaïs Saïed a nommé une universitaire inconnue du grand public à ce poste aux pouvoirs amoindris par les « mesures exceptionnelles » qu’il a imposées dans le pays. Première femme à ce poste, elle prend ses fonctions alors que la Tunisie fait face à d’importantes difficultés économiques et financières.
Plus de deux mois après s’être arrogé les pleins pouvoirs , le président tunisien Kaïs Saïed a enfin annoncé son choix pour le poste de Première ministre. Najla Bouden est « chargée de former un gouvernement dans les plus brefs délais », a indiqué la présidence. Pour la première fois dans un pays arabe, le poste sera occupé par une femme. Une surprise sur laquelle le président a insisté, comme « un honneur pour la Tunisie et un hommage à la femme tunisienne ».
Najla Bouden est originaire de la ville de Kairouan, et comme lui lors de son élection, elle est novice en politique et inconnue du grand public. La sexagénaire est une scientifique de formation, diplômée d’un doctorat de géologie. Elle a intégré le ministère de l’Enseignement supérieur avant la révolution de 2011 où elle a fini par prendre la direction d’un projet de réforme de l’enseignement supérieur.
« C’est une femme rigoureuse, exigeante et très investie dans ce qu’elle fait, avec un fort sens de l’éthique, et c’est sûrement pour ces raisons qu’elle a été choisie par Kaïs Saïed », estime Elyès Jouini, professeur d’économie à l’Université Paris Dauphine-PSL et ancien ministre tunisien en charge des réformes économiques et sociales en 2011.
*Crise constitutionnelle
Najla Bouden aura la tâche difficile de prendre un poste aux pouvoirs considérablement affaiblis par les « mesures d’exception » imposées par Kaïs Saïed. Le président s’est arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet sur la base d’une interprétation très personnelle de l’article 80 de la Constitution, qui l’autorise à prendre des mesures exceptionnelles pour trente jours en cas de « péril imminent menaçant l’intégrité nationale ».
D’abord prolongées , ces mesures ont finalement été pérennisées par décret présidentiel il y a une semaine. Le texte prévoit notamment que « le président exerce le pouvoir exécutif avec l’aide d’un conseil des ministres, dirigé par un chef du gouvernement ». Désireux de « présidentialiser » le régime semi-parlementaire issu de la révolution de 2011, le président a aussi suspendu des pans entiers de la Constitution qu’il veut amender.
Si les observateurs s’inquiètent d’une dérive autoritaire dans la seule démocratie née du Printemps arabe, les Tunisiens, las de la paralysie politique et des difficultés économiques, ont accueilli ces annonces plutôt favorablement. « Le président Saïed a mis un terme à la gabegie politique, c’était un acte salutaire », juge Elyès Jouini.
Mais, poursuit-il, les prochaines semaines seront cruciales. « Si le président montre que la concentration du pouvoir était transitoire, alors il conservera le soutien des bailleurs de fonds. Si le flou perdure, et qu’il ne présente pas rapidement une feuille de route pour redresser la situation économique, alors les attentes de la population risquent de devenir ingérables. On est sur une ligne de crête. »
*Renouer le dialogue avec le FMI
Cette crise constitutionnelle intervient en effet sur fond de profondes difficultés économiques et financières. Au ralenti depuis dix ans, l’économie tunisienne a subi un coup d’arrêt avec le choc du Covid-19. Le pays a enregistré l’an dernier une récession historique de 8,8 %. L’Etat tunisien continue, lui, de vivre au-dessus de ses moyens, avec un nombre de fonctionnaires quasiment doublé en dix ans. Le déficit budgétaire atteint 11,5 % du PIB et la dette de l’administration centrale près de 87 % du PIB, selon le FMI.
Si le pays dispose de réserves de change confortables, il lui est indispensable de renouer d’ici à la fin de l’année le dialogue avec le FMI – qui serait au point mort depuis le coup de force de juillet. Un programme de prêts de l’institution internationale rassurerait d’autres bailleurs de fonds qui ne demandent qu’à soutenir la jeune démocratie et rassurerait les marchés. Mais l’ancien professeur de droit constitutionnel qu’est Kaïs Saïed semble donner la priorité à son projet d’amender la Constitution, sans jamais évoquer de réforme économique. Le président et sa nouvelle Première ministre devront pourtant bien s’y atteler.
(Les Echos)