Emprunt obligataire: Les quatre vraies fausses idées

 
Depuis quelques jours l’emprunt obligataire de 1 milliard de dollars obtenu par la Tunisie sur le marché financier international (environ 2 milliards de dinars), le 27 Janvier 2015, a fait couler beaucoup d’encre et animé de nombreux débats. Des critiques d’universitaires, d’hommes politiques et de journalistes qui reflètent soit une mauvaise foi, soit une ignorance des problèmes économiques. Qu’en est-il au juste ?

Un examen attentif révèle que le dossier monté contre l’emprunt obligataire repose entièrement sur une litanie d’idées fausses :

 

La première idée fausse : nous n’avons pas besoin d’un tel emprunt

Nul besoin d’être expert en économie pour conclure que les besoins financiers du pays sont énormes et qu’il est urgent de trouver de nouvelles sources financières. La première donnée qu’il faut garder à l’esprit est que les ressources propres de l’Etat ne couvrent qu’environ 70% des dépenses prévues, il va sans dire qu’il faut chercher et trouver les 30% restants, soit l’équivalent de 7,5 milliards de dinars. A ceux qui posent la question de la nécessité de cet emprunt, il suffit de répondre qu’il reste à trouver 5,5 milliards ! Il est donc mal venu de poser la question de la nécessité parce qu’on n’a pas d’autre choix que de s’endetter comme la plupart des pays.

 

La deuxième : le taux d’intérêt est extrêmement élevé

Beaucoup de critiques se sont concentrées sur les conditions de cet emprunt et surtout sur le niveau du taux d’intérêt estimé exorbitant. Précisons simplement que mi-2012, alors que le nouveau traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) était signé au sein de l’Union européenne et que la Banque centrale européenne (BCE) avait donc donné le signal de l’intervention sur les marchés, le taux d’intérêt sur les obligations espagnoles et italiennes à 10 ans était supérieur à 5% et le taux de l’obligation portugaise était au même moment à 10% (avec une pointe à 15% début 2012)! Si aujourd’hui les taux sont plus bas, c’est simplement parce que la BCE laisse, depuis longtemps, entendre au marché qu’elle va mener un assouplissement quantitatif important et qu’elle vient d’annoncer le 22 janvier dernier un plan d’injection de 1100 milliards d’euros sur 18 mois à partir du mois de mars, sans parler du fait que les investisseurs du monde entier achètent les obligations européennes car ils jouent le scénario déflationniste.

Qui peut affirmer que le problème de la Tunisie est la déflation, et sérieusement, qui peut oser affirmer avec aplomb que la situation économique tunisienne est beaucoup plus sûre que la situation italienne ou espagnole. Si tel était le cas, cela se saurait et l’immigration se ferait dans l’autre sens ! A la différence d’un emprunt bilatéral, multilatéral ou obligataire avec garantie d’un pays (USA, Japon), l’emprunt obligataire sans garantie donne au marché le pouvoir de fixer la prime de risque. Celle-ci dépend du risque pays basé lui-même sur la note du pays (le rating) et naturellement sur le taux de l’actif de référence, à savoir le Treasury Bond américain à 10 ans. Certains ont trouvé que la prime de risque de l’emprunt tunisien était beaucoup plus élevée qu’en 2007 où elle était il est vrai quasi nulle. Mais que les anti-emprunts se rassurent. L’explication n’est pas du côté tunisien mais américain. Mi 2007, juste avant la crise financière, le taux d’intérêt de l’obligation américaine à 10 ans avait atteint 5,3% et l’écart avec l’obligation tunisienne était donc moindre. Depuis, la Reserve fédérale américaine a injecté plus de 3000 milliards de dollars pour acheter, entre autres, des obligations publiques émises par l’Etat américain. Compte tenu de notre inflation, le taux réel, c’est à dire déflaté de l’inflation, auquel nous empruntons est d’environ… 0% ! Rappelons également à ceux qui critiquent que les taux à 10 ans tunisiens étaient en 2000 à 7,5% avec une inflation à 3% (taux réel : 4,5% contre 0% aujourd’hui) et qu’en 2010, les taux était à 6,5% avec une inflation à 4,4%.

 

La troisième : la Tunisie payera plus tard un taux aussi élevé que celui-ci

Le taux d’intérêt comporte une prime de risque qui dépend de la qualité de l’émetteur et qui fonde donc la sécurité d’une obligation. Plus un pays est sûr (plus son rating est élevé), plus la probabilité qu’il honore ses engagements vis-à-vis de ses créanciers est élevée et plus le taux d’intérêt est faible. Dire que ce taux sera considéré comme une référence à l’avenir est une fausse idée, totalement fausse parce que c’est le rating, encore une fois, qui va déterminer ce taux et tout simplement la conjoncture et la politique monétaire. Rappelons une fois de plus que le taux américain à 10 ans était à 5,3% en juin 2007 quand tout allait bien et qu’il se trouvait sous les 1,5% quand tout allait mal ! Concernant le timing de cet emprunt, il faut savoir que non seulement la Tunisie doit rembourser une note de 700 millions de dinars au cours de ce mois mais aussi que la phase d’assouplissement monétaire est terminée aux Etats-Unis et que les taux américains devraient remonter et ne sont contenus que par les afflux massifs de capitaux qui fuient le reste du monde en phase de ralentissement. Et si les taux d’intérêt américains remontent, le taux des emprunts en dollars comme celui auquel nous venons de souscrire également ! Les partisans du non-endettement préconisent-ils une création monétaire massive par la BCT en lui demandant d’effacer cette création monétaire de son bilan ?

 

La quatrième : cet emprunt va augmenter le taux d’endettement de la Tunisie

Evidemment, il n’existe pas d’emprunt qui n’augmente pas la dette. Qu’il soit obligataire, bilatéral ou multilatéral, un emprunt augmentera toujours le taux d’endettement. La question qui mérite véritablement un débat est celle liée à la soutenabilité de la dette. L’endettement n’est pas un mal absolu en soi. De nombreux pays qui ont gravi les échelons du développement ont eu recours, à diverses étapes de leurs processus de croissance, aux emprunts extérieurs. Ces derniers permettent de combler les écarts entre l’épargne intérieure et l’investissement, de réduire les contraintes imposées à la croissance par des réserves en devises insuffisantes, d’influer sur le profil temporel de la consommation et de financer les déficits provisoires de la balance des paiements. Cependant, l’utilisation et la structure de ces emprunts peuvent faire l’objet de débats et de discussions. En définitive, il est toujours utile de rester vigilant mais sans pour autant polémiquer sur tout et rien parce qu’au final, refuser à l’Etat de s’endetter, c’est lui refuser carrément d’exister. Que les partisans des coupes budgétaires drastiques et immédiates sur tous les postes osent les réclamer telles quelles !

Mohamed Ben Naceur

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