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De toutes petites pensions, une forte inflation, une crise des liquidités… Les retraités algériens sont fortement affectés par la crise économique, qui n’a cessé de se durcir depuis l’arrivée de la pandémie de Covid-19. Le site d’information Tout sur l’Algérie est allé à leur rencontre.
Entre les longues files d’attente devant les bureaux de poste, le manque de liquidités, leurs maigres pensions, la vie est dure pour les retraités algériens. Idir, Djoudi, Brahim, Ahcène racontent avec un cœur plein d’amertume leur quotidien.
Dans les jardins publics, dans les squares, les cafés et placettes d’Alger. En solo ou en petits groupes, ils regardent filer les heures. Du temps, ils en ont à revendre. Après plus de trois décennies de travail, la plupart d’entre eux arrivent à peine à joindre les deux bouts. Factures, soins, alimentation… Aussitôt leur pension empochée, elle fond déjà comme neige au soleil.
Ils attendent impatiemment le virement de leur retraite entre le 19 et le 22 de chaque mois. Afin de diminuer le rush et les longues files d’attente devant les bureaux de poste [depuis plusieurs mois, l’Algérie fait face à une crise de liquidités], un nouveau calendrier de versement des pensions a été mis en place.
Farid Zaoui (48 ans), agent au niveau de la poste de Didouche Mourad, dans le centre-ville d’Alger, nous parle de cette nouvelle organisation : “Le versement des pensions s’étale désormais sur plusieurs jours, en fonction du dernier numéro du compte de chaque retraité. Par exemple, entre le chiffre 0 et 3, le virement s’effectue le 19 du mois, etc.” explique notre interlocuteur.
*Acheter un kilo de viande
Mais ce dispositif n’est pas très efficace. En dépit de la mise en place de ce nouveau calendrier, les files d’attente s’étirent sur plusieurs mètres au niveau des bureaux de poste au moment du virement des pensions de retraite.
Idir (72 ans) est à la retraite depuis une dizaine d’années. Il était chef de service comptabilité finances. “Le 19 de chaque mois, je me pointe à ma poste de Belcourt une heure avant l’ouverture des portes. Je fais le pied de grue à 7 heures du matin. Je prends un ticket et j’attends mon tour. À cause du manque de liquidités, il y a toujours du monde. Personnellement, je me sens humilié par cette situation J’ai travaillé pendant quarante ans pour me retrouver à attendre un ticket et plus d’une heure pour avoir ma pension. Un pécule qui ne me suffit pas pour vivre dignement”, regrette-t-il, avant de poursuivre :
« De nos jours, un retraité ne peut même pas se permettre un kilo de viande par semaine. S’il en achète une fois par mois, il peut déjà s’estimer heureux.”
Tout le monde le surnomme Da Ahcène. A 77 ans, ce retraité pensait qu’il allait savourer une douce retraite après plus de quarante ans de travail :
« A 18 ans, j’étais militant du FLN [Front de libération nationale, au pouvoir] en France. Je suis rentré en Algérie le 28 août 1962 [juste après la guerre d’Algérie]. J’ai enseigné le français à l’École normale supérieure de Bouzareah jusqu’en 1967. […] Par décence, je ne vous dirai pas le montant de ma retraite, mais sachez qu’elle ne permet pas de vivre dignement en Algérie.”
*Les soins médicaux hors de prix
Sur la terrasse d’un café place Audin, dans le centre d’Alger, nous avons échangé avec Brahim. A 59 ans, il en parait dix de plus. Cheveux blancs et bouche édentée, il nous parle de sa vie de retraité.
« J’ai travaillé comme docker au port de Bejaïa pendant trente-deux ans. Je suis à la retraite depuis 2016 et je touche 70 000 dinars [environ 463 euros]. Une pension qui aurait pu me suffire si je vivais seul ou juste avec ma femme. J’ai 5 enfants âgés entre 12 et 26 ans. Je vais au marché tous les trois jours et j’y laisse 2 000 dinars chaque fois. Cela concerne juste l’alimentaire. Je ne parle ni des factures ni des soins médicaux…”
Malade chronique, il dénonce les tarifs exorbitants des analyses médicales en Algérie :
« Je suis diabétique et quand je dois passer des analyses dans le privé, c’est le coup de massue. Je dois tout le temps me serrer la ceinture. À mon âge, j’ai voyagé une seule fois dans ma vie. Et encore, c’est mon frère qui habite en France qui m’a payé le billet et m’a accueilli chez lui. Mais il y a pire que moi.”
*“Je rêve de changer mon téléviseur”
Autre retraité à tirer le diable par la queue : Djamel (60 ans). Après trente-deux ans comme agent de bureau à l’hôpital de Beni Messous, à Alger, il a pris sa retraite :
« Je touche une pension de 30 000 dinars [198 euros]. Je suis divorcé et je n’ai personne à ma charge. Même comme ça, je dois me priver de tout. J’arrive à peine à régler mes factures et à manger. Cela fait des années que je rêve de changer mon téléviseur qui ne fonctionne plus, mais je n’arrive pas à faire des économies.”
Avec l’inflation galopante à laquelle nous assistons actuellement et l’érosion du pouvoir d’achat, les retraités n’arrivent plus à vivre dignement. Ils ont consacré leurs plus belles années au labeur en rêvant d’une retraite agréable loin des privations.
Tous ceux que nous avons rencontrés lors de ce reportage avaient les mêmes mots : la vie de retraité qu’ils mènent est loin d’être celle qu’ils avaient imaginée en commençant leur carrière il y a trente ou quarante ans
(Tout sur l’Algérie)