En attendant … l’intello !

Chaque fois que l’Occident se trouve confronté à une crise politique ou morale, aussitôt l’élite intellectuelle accourt à son secours pour essayer de restaurer les dégâts qui ont pu affecter le navire de son expansionnisme économique et culturel et de sa suprématie civilisationnelle. Et tous les médias de se mettre en branle, la fleur au fusil, comme un seul homme. En effet, à chacune de ces crises, l’intellectuel occidental apporte la preuve qu’il est le sauveur de sa civilisation de la perdition, de la dégradation et de la déchéance. Tantôt, il est celui qui tire la sonnette d’alarme, tantôt un fervent défenseur. Dans tous les cas, il est celui qui fait face au danger. Ainsi, au moment où Donald Trump est descendu au plus bas niveau de l’abjection, en incitant ses partisans à se lancer à l’assaut du Capitole dans une tentative de bloquer la certification des résultats de l’élection présidentielle de 2020, le monde occidental en fut secoué. C’est alors que les intellectuels américains ont senti que la barque de leur démocratie était sur le point de couler. Chacun, depuis sa position, a condamné cette manœuvre parce qu’elle est « contraire aux valeurs américaines » : elle déforme l’image des États-Unis. C’était donc une manière de dire au monde que la démocratie américaine n’a pas perdu toute conscience, car l’intelligentsia au pays de l’Oncle Sam veille au respect de ses valeurs.
De même, quand le gouvernement raciste de Netanyahou se livre impunément et outrancièrement à la destruction des maisons palestiniennes, un petit groupe d’aviateurs de l’armée israélienne décident de désobéir à leurs supérieurs. Ils ont, pourtant, trouvé l’appui total des intellectuels juifs qui ont déjà rédigé des pétitions de solidarité dans lesquelles ils louaient la conscience civilisée des aviateurs «désobéissants».
Je me rappelle aussi qu’à la suite de la première «Révolte de la pierre» en Palestine occupée, le grand écrivain israélien pacifiste Amos Oz, dénonçant les répressions de l’armée israélienne qui usait d’armes meurtrières contre les enfants de l’Intifadha, écrivait que les soldats qui brisaient les membres des enfants palestiniens se réfugiaient dans un coin – après avoir commis leur terrible forfait – pour éclater en sanglots. C’est pour démontrer que le soldat israélien n’est pas un monstre ! Ainsi, en défendant une telle idée «humaniste», Amos Oz assumait pleinement son rôle d’intellectuel israélien soucieux de préserver l’image de marque de son pays. Il en est de même pour nombre d’intellectuels juifs dans le monde occidental qui s’empressent de critiquer la politique de la droite israélienne dans les médias internationaux. Leur objectif essentiel n’est autre en fait que de défendre «la pureté» de la pensée sioniste, ainsi que la noblesse de conscience juive. Un tel combat n’a pu être compris des intellectuels tunisiens, prisonniers d’une passivité qui confine à l’aveuglement.
L’intellectuel authentique nous manque à nous, les Tunisiens. Celui qui s’engage à défendre son pays à chaque fois qu’il se trouve confronté à des dangers susceptibles de nuire aux fondements et aux principes de sa civilisation et de son histoire. Celui qui mène le combat d’honneur pour la vérité contre ceux qui ont intérêt à la falsifier.
Quand Éric Zemmour, Bernard Henri Levy, Marine le Pen… se sont acharnés ouvertement sur la communauté tunisienne en France, après l’attaque au couteau perpétrée par un terroriste d’origine tunisienne, le 29 octobre 2020, à l’intérieur de la basilique Notre-Dame de Nice, aucun intellectuel tunisien n’a daigné leur répondre en apportant les contre-arguments nécessaires. Au contraire, ce sont quelques intellectuels français qui ont pris la peine de défendre les traditions humaines du peuple tunisien. Troublant était le comportement de nos intellectuels qui semblent s’habituer à ce dénigrement quand ils ne le justifient pas.
Ce qui se brise ici, c’est l’image de l’intellectuel tunisien et, à travers elle, une certaine idée que la société se faisait de son intelligentsia.

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