Un mois et demi après la formation de son nouveau cabinet, le chef du gouvernement, Mehdi Jomâa, entamait le 15 mars dernier une visite à cinq pétromonarchies, une tournée qui a débuté par les Émirats arabes unis. Le but annoncé était de renforcer les relations diplomatiques. Après les EAU, Mehdi Jomâa a visité l’Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït et le Bahreïn. S’y étant rendu à la tête d’une délégation d’hommes d’affaires tunisiens, le volet économique caractérisait fortement la visite qui avait comme objectif, entre autres, d’attirer les investisseurs du Golfe et d’élaborer des stratégies de financement économique pour la Tunisie. Quel en est le bilan ?
Cette visite survient alors que l’Arabie saoudite, le Koweït et le Bahreïn livrent une guerre diplomatique au Qatar. Les premiers sont ennemis des mouvements protestataires populaires des pays arabes, hormis la révolution syrienne et le second appuie les Frères musulmans et le parti islamiste Ennahdha, démissionnaire du pouvoir en Tunisie.
Peut-on vraiment espérer un soutien de l’Arabie saoudite, du Koweït et du Bahreïn qui financent et alimentent la guerre civile en Syrie, simplement pour contrer le pouvoir alaouite de Bachar Assad et de son tuteur chiite l’Iran ? Les mouvements contestataires en Tunisie et en Égypte n’ont en revanche jamais été appuyés par les pétromonarchies qui y voient une menace pour leurs trônes. Pis encore, l’ancien Président tunisien a trouvé asile en Arabie saoudite, laquelle n’a affiché depuis plus de trois ans aucune volonté de l’extrader.
Le Qatar, de son côté, serait-il prêt à soutenir un gouvernement qui vient remplacer ses anciens alliés ? Soutiendrait-il un gouvernement qui est de surcroit apolitique et n’épousant aucune doctrine ni idéologie, contrairement au parti Ennahdha adepte du même islam politique soutenu par le petit Emirat ?
Or, Mehdi Jomâa avait déclaré s’attendre à une coopération économique avec les pétromonarchies afin d’aider la Tunisie à sortir de l’impasse. Le Premier ministre a par ailleurs été reçu en Arabie saoudite par le deuxième vice-président du Conseil des ministres, Abdelaziz Al-Saoud, ce qui a été interprété par les observateurs comme un signe de tiédeur…
Les démarches de la Tunisie
Le 18 mars, le chef du gouvernement tunisien annonçait la possibilité de simplifier les procédures administratives dans le but de faciliter l’investissement qatari en Tunisie. Mais aussi et afin d’optimiser la participation aux grands chantiers au Qatar, de fournir les ressources humaines nécessaires. De leur côté les investisseurs qataris promettaient d’activer les projets restés en suspens et ont annoncé la visite d’une délégation en Tunisie.
Outre les démarches administratives et économiques, la visite de Mehdi Jomâa et les déclarations faites ont constitué un tournant diplomatique. Notamment à propos des Frères musulmans, classés comme organisation terroriste.
En visite en Arabie saoudite, le Premier ministre a jugé positive la décision saoudienne de classer la confrérie sur la liste des partis et organisations terroristes soulignant que la Tunisie adoptait la même position et précisant «qu’il n’y pas de place pour le terrorisme en Tunisie dans une interview accordée au journal saoudien Al Watan.
Le Premier ministre avait alors déclaré «nous sommes en harmonie avec le Royaume dans cette lecture, pour dire non à l’instrumentalisation de n’importe quelle idéologie. Toute personne hors la loi n’a pas de place dans notre pays et nous sommes d’accord avec les frères du Golfe sur ce point.»
Rappelons que l’actuel Premier ministre occupait précédemment le poste de ministre de l’Industrie au sein de l’ancien gouvernement à majorité islamiste … Toujours en marge de la même visite, Mehdi Jomâa avait lancé un appel aux investisseurs saoudiens et des autres pays visités à investir en Tunisie en louant la position de la Tunisie sur le plan géographique.
Un crédit de 160 millions de dollars
Suite à une rencontre avec le chef de gouvernement tunisien, le président du Fonds arabe du développement économique et social, Abdellatif Hamma, a annoncé outre un potentiel investissement économique et social en Tunisie, l’octroi d’un crédit de 160 millions de dollars qui sera signé lors de la réunion des fond financiers arabes les 7 et 8 avril prochains en Tunisie. Abdellatif Hamma a aussi annoncé l’élaboration de projets d’infrastructure, essentiellement de barrages et de routes, promettant par la même occasion d’autres projets générateurs d’emplois.
Rappelons que Mehdi Jomâa n’est pas le premier chef de gouvernement qui se tourne vers le Golfe depuis la Révolution. Hamadi Jebali et après lui Ali Laârayedh ont tous deux tenté d’obtenir le soutien des pétromonarchies. Jusqu’ici, on est resté loin d’un plan Marshall capable de faire sortir la Tunisie de la crise et de relancer l’économie. Aucune aide sérieuse n’a été allouée par les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, le Koweït les EAU qui ont accordé 12 milliards de dollars en juillet dernier à l’Égypte au lendemain de la destitution du président Morsi et en appui à l’armée au pouvoir…
Hajer Ajroudi