Depuis sa première édition en 1969, le Salon du Livre du Caire s’est donné l’ambition des plus grandes manifestations mondiales du genre. Un immense espace, toujours le même à Médinat Misr dans la proche périphérie de la capitale, plusieurs jours de rencontres entre le public et les auteurs invités de partout et dont les œuvres ont été jugés dignes d’intérêt ou d’enthousiasme, tractations entre éditeurs pour racheter des droits, promouvoir des co-éditions, etc. A la différence des autres Salons organisés dans les autres capitales du monde arabe, celui du Caire, même aux plus sombres moments de l’ère Moubarak, parvient toujours à se faire remarquer, d’une édition à l’autre, par les polémiques, voire les scandales que suscitent tel ou tel roman, essai, recueil de poèmes ou la reprise enfin d’une œuvre majeure du patrimoine classique longtemps malmenées ou honteusement censurées dans des publications partielles et trouées par l’extraction de passages jugés par le seul censeur « indignes d’être lisibles ». Souvenons-nous de la vraie bataille littéraire et éditoriale, dans les années 80, autour de la parution des Mille et Une Nuits dans la splendeur complète de sa savoureuse impudence du langage et des scènes érotiques. Ou encore du curieux destin de l’un des romans de Naguib Mahfouz, Awlâd Haritna (traduit en français sous ce titre approximatif : « Les enfants de la Médina », Sindbad/Actes Sud), interdit de publication dans son propre pays en « vertu » de l’anathème lancé contre lui par les instances d’Al-Azhar ! En 1990, en plein guerre du Golfe, première du nom, un ouvrage est passé inaperçu, publié par la très étatique « Commission publique du Livre » (Al-Hay’a al-’amma lil-Kitâb), signé du regretté Nasr Hamed Abou Zid, intitulé « Le concept du Texte, étude sur les sciences du Coran ». Deux ans après sa publication, l’ouvrage a dû subir une tragique épreuve., il a été retiré de la diffusion, et son auteur, condamné pour apostasie, a été contraint de s’exiler en Europe où il mourra quelques années après dans un exil qu’il n’a cessé de dire amer et meurtrier.
Cette année avec plus de 800 exposants, de 300 auteurs et intellectuels invités à donner des conférences ou à animer des débats autour de sujets « brûlants ». Le pays arabe convié en « invité d’honneur », la Libye, a été longtemps privé du bonheur de produire autre chose que le Livre vert et ses sempiternelles exégèses. La Tunisie est représentée par 17 éditeurs groupés sous l’enseigne de l’Union des éditeurs et par 3 autres éditeurs sous leur enseigne propre.
A la dernière minute les organisateurs égyptiens du Salon ainsi que la toute-puissante Commission publique du Livre décide notre confère d’inviter Youssef Seddik à l’occasion de la parution, enfin, de son ouvrage « Nous n’avons jamais lu le Coran » dans sa version arabe élaborée par Mondher Sassi. La traduction arabe porte le titre de « Avons-nous lu le Coran ? Ou alors les cœurs conservent-ils leurs verrous ? »,. Référence à un verset qui assène à l’adresse de ceux qui n’adorent que la Lettre récitée du révélé et interroge : « Ne scrutent-ils donc pas le Coran, ou alors certains cœurs arborent-ils toujours leurs verrous ? ».
Youssef Seddik est appelé le 30 janvier à exposer son point de vue, quelques-unes de ses thèses sur la nature, le lexique, les espaces saccagés de l’histoire de ce Livre divin, et d’affronter un public aujourd’hui plus divisé que jamais sur une si épineuse question. D’un côté ceux qui tiennent à présent le pouvoir et leur « intellectuels » et idéologues, d’un autre les petits enfants de Tahar Haddad, Kacem Amine, Ali Abderraziq, Taha Hussein, etc. qui ont cru rendre le plus grand service au Texte fondateur de l’Islam, en l’arrachant précisément à ses géoliers, qui n’ont pas cessé depuis des siècles de l’exhiber en l’état de … momie.
Par Hassan Arfaoui