En sursis


En propulsant un jeune à la primature, Béji Caid Essebsi n’a pas surpris, mais il a pris un grand risque qui peut être un catalyseur de surenchères stériles, de querelles intestines et de calculs partisans improductifs.
Avant même le déclenchement du processus de mise à l’écart d’Habib Essid, les dés étaient jetés et le scénario de la nomination de Youssef Chahed était devenu un secret de polichinelle et les informations fuitées depuis des mois ont permis de découvrir le pot aux roses.
Malgré ces péripéties peu catholiques, le choix, pour la première fois en Tunisie, d’un jeune de 41 ans à la primature constitue un événement, il a le mérite de marquer une rupture dans le processus de désignation de candidats à cet important poste de responsabilité. Malgré toutes les critiques suscitées, qui sont allées jusqu’à taxer, à tort ou à raison, Béji Caid Essebsi de népotisme, la porte a été enfin entrouverte, à un jeune et la peur qui a toujours servi d’alibi pour exclure cette catégorie du jeu politique sous prétexte d’inexpérience, parait non fondée.
En réalité, Beji Caid Essebsi court un risque calculé. Il n’est pas resté insensible à ce qui se passe dans de vieilles démocraties où la classe politique a connu ces dernières années un rajeunissement qui a été porteur de nouveaux messages, de promesses et d’espoirs notamment pour les jeunes désabusés et qui ont perdu confiance en une classe politique vieillissante et imperméable au changement.
Dès lors, les voix qui se sont élevées pour dénoncer le choix d’un jeune invoquant notamment le primat de l’expérience, comme si la jeunesse est une tare ou un handicap en politique ou en gestion des affaires publiques, illustrent bien le sentiment mitigé qui habite encore les Tunisiens qui considèrent que la responsabilité se mesure avant tout à l’aune de l’âge des candidats.
Avec cet épilogue, le plus dur pour Youssef Chahed reste de convaincre, à savoir donner des réponses à toutes les inquiétudes soulevées, à rompre avec le laxisme et l’hésitation à l’origine de l’aggravation de la situation économique et sociale du pays et à former un gouvernement de mission qui soit à la fois homogène et solidaire.
Un gouvernement resserré où les ministres n’obéissent pas, au premier chef, à leurs partis ou à des intérêts occultes, mais qui acceptent de se mettre au service du pays. Un gouvernement dont le programme d’action est clair, les priorités définies et qui ne doit pas trembler ou hésiter quand il s’agit d’agir ou de décider.
Dans l’étape actuelle, annonciatrice d’incertitudes et de dangers, la Tunisie n’a pas besoin d’un homme providentiel, mais d’un homme politique responsable, qui a le courage de dire la vérité aux Tunisiens, capable de mettre de l’ordre dans la maison, de décider, d’appliquer la loi sans trembler, d’engager des réformes profondes et douloureuses sans fléchir, sans céder aux pressions ni aux calculs.
La première épreuve de vérité pour le nouveau Chef du gouvernement d’union nationale sera incontestablement la désignation officielle de son équipe. Elle permettra surtout de voir dans quelle mesure il honorera le premier engagement qu’il a pris, celui qui consiste à former un gouvernement politique, de compétences, de jeunes, où les femmes seraient mieux représentées. Elle fournira l’opportunité d’avoir une appréciation claire sur sa capacité à éviter le piège mortel de céder aux pressions des partis et à leur marchandage dans l’attribution des différents portefeuilles ministériels
De la composition de son cabinet, il sera possible d’avoir une idée sur la portée de l’action qu’il sera amené à engager en matière de lutte contre le terrorisme et la corruption, la relance du processus de développement, de création d’emplois et la protection de l’environnement.
Si la Tunisie, en proie à une crise économique grave, à des tensions sociales qui risquent de devenir explosives et de périls terroristes rémanents, aborde une nouvelle étape qui requiert des efforts, des sacrifices, de l’audace et du courage, le tout est de savoir quels schémas pourrait suivre ce gouvernement pour sortir le pays de ce bourbier et pour redonner aux Tunisiens confiance et espoir.
Il est vrai que la Tunisie a, plus que jamais, besoin de stabilité politique, gouvernementale (huit gouvernements en cinq ans), d’un cabinet de mission capable de gérer une situation complexe mais pas désespérée, cette condition ne pourra jamais être satisfaite si ce neuvième gouvernement se transforme en l’otage des partis politiques ou des organisations nationales. Pour avoir une marge de manœuvre, il doit assumer entièrement ses responsabilités et ne pas gouverner par procuration.
En attendant, Youssef Chahed part avec un préjugé favorable, il pourra gagner la confiance des Tunisiens s’il ne faiblit pas et s’il s’attaque résolument aux racines profondes du mal à l’origine de la panne générale dans laquelle se débat le pays depuis maintenant des années.

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