Encore un journaliste qu’on baillonne !

«Quitte Hannibal TV ou la mort sera ton sort ainsi que celui de ton fils !», le quotidien du journaliste et chroniqueur Lotfi Laamari est rythmé depuis presque deux ans par des phrases et menaces pareilles, qu’il découvre le matin inscrites sur les portes de son appartement et de l’immeuble où il réside. 

Dans la rue, il est verbalement agressé et insulté. Sur les réseaux sociaux, des campagnes d’appel au meurtre, d’injures, d’accusations et d’apostasie font ravage à son encontre. Le syndicat, déjà prévenu, n’intervient pourtant pas…

Son calvaire est aujourd’hui celui de nombreux journalistes en Tunisie. La liste de dépassements, agressions, arrestations et harcèlements d’hommes de médias, journalistes et intellectuels s’allonge par ailleurs tous les jours.

Mais si Lotfi Laamari n’avait pas fléchi aux menaces, il est néanmoins aujourd’hui amer et éprouvé et pour cause, l’arrêt de la diffusion de Bila Moujamla où il présentait sa chronique. 

Cela se produisit à la suite d’un message qu’il avait adressé à Rached Ghannouchi où il déclarait «Ce n’est pas parce que tu es installé à Montplaisir que tu vas faire de la Tunisie ton propre plaisir, la Tunisie doit être notre plaisir à tous, sinon, elle sera ingouvernable.» 

La rediffusion même a été, pour la première fois interdite, et Lotfi Laamari souligne «je ne crois pas que ce soit les salafistes djihadistes qui ont exercé pression afin d’interdire la rediffusion et d’arrêter l’émission.» 

Depuis, il se retrouve sans moyen pour exprimer son opinion qu’il voulait libre et apportant un regard critique «sur tout gouvernement en Tunisie, quelle que soit sa nature, car c’est ainsi qu’on construit les États démocrates.»

«Le seul acquis de la Révolution fut la liberté, mais elle semble si fragile et dérisoire» dit Lotfi Laâméri. 

Le responsable ? «Le parti Ennahdha est le premier responsable de la violence dans le pays et comme preuve, son soutien aux Ligues de la protection de la Révolution, les LPR. Le gouvernement s’est d’ailleurs empressé de classer Ansar Acharia comme organisation terroriste sur l’unique décision du Premier ministre Ali Lâarayedh et sans attendre un verdict juridique et, pourtant, Rached Ghannouchi ne cesse de clamer l’importance de la dissolution des LPR, directement impliquées dans l’assassinat de Lotfi Naguedh. N’omettons pas le communiqué que le parti Ennahdha a sorti défendant ces assassins et notons que quand les responsables du parti parlent des assassinats politiques, ils n’évoquent que deux martyrs et non trois.»

Et Lotfi Laamari continue «En 10 jours, les laïcs sont devenus les meilleurs amis d’Ennahdha et les salafistes djihadistes, anciens enfants de Rached Ghannouchi lui évoquant sa jeunesse, sont soudainement diabolisés.»

Tout en affichant un profond respect à l’égard du ministre de l’Intérieur actuel, M. Ben Jeddou, Lotfi Laamari soulève le problème des cellules œuvrant en parallèle et constituant de véritables mines au sein du ministère de l’Intérieur. 

Selon lui, les manigances ayant eu lieu concernant l’enquête de l’assassinat de Chokri Belaïd le prouvent, brisent la crédibilité du ministère de l’Intérieur et justifient le manque de confiance envers cette institution. 

Les doutes de Lotfi Laamari se rapportent également à la liste des personnes à assassiner qu’il croit élaborée par les «aigles d’Ennahdha» et non par les salafistes djihadistes. Le nom d’Ameur Laârayedh y étant déposé le démontrerait. Selon lui, Ali Laarayedh aurait été la personne à s’y être inscrite puisqu’il leur avait déclaré la guerre depuis l’année dernière dans les pages du journal Le Monde.

Autre point d’interrogation soulevé par le journaliste Laâméri, la non-diffusion de l’extrait ayant conduit à l’assassinat de Mohamed Brahmi déclarant que «le modèle égyptien devrait être exécuté en Tunisie» alors qu’on avait diffusé par le passé un extrait expliquant l’assassinat de Chokri Belaïd. 

Et il ajoute «j’ai critiqué le parti Ennahdha lors de mes dernières déclarations. Ali Laârayedh est la «boite noire» de ce parti. Quitter le gouvernement mènerait à la découverte de dossiers brûlants, notamment celui des assassinats politiques. C’est la raison pour laquelle Ennahdha ne veut pas d’un gouvernement indépendant ou de technocrates.»

 

Peut-on séparer culturel et politique

Au-delà des insultes et menaces, on aurait souvent reproché à Lotfi Laamari de mélanger culture et politique ; or, selon lui «la bataille semble politique, mais au fond elle est culturelle». 

Il explique qu’«il existe aujourd’hui en Tunisie une lutte entre deux modèles sociaux et il est presque impossible de séparer les deux domaines. On ne peut déterminer la frontière entre politique et culturel quand on parle des évènements du palais Abdeleya et de la visite de Majda Roumi à la tombe de Chokri Belaïd. Il est également de mon droit de parler de la politique, même si je me trouvais sur la liste des assassinats politiques. Le but des menaces touchant des intellectuels tunisiens est surtout de faire peur et d’imposer le silence afin qu’on pille le pays sans que personne ne puisse le dénoncer. De nombreux médias ont malheureusement choisi de s’aligner contre le pays et on ne trouve plus dans leur programmation que des feuilletons et des films sans intérêt en l’absence de plateaux sérieux, comme si l’on ne traversait pas une profonde crise politique. J’ai mal et je suis malheureux, mais je n’ai pas peur. Ce qui m’éprouve est qu’après l’arrêt de Bila Moujamla, je n’ai plus d’espace pour m’exprimer et c’est un douloureux destin dans un pays ayant connu la Révolution et la liberté, mais où les journalistes et les intellectuels sont menacés d’assassinats et sont obligés de porter des gilets pare-balles.» 

Hajer Ajroudi

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