On s’attendait à ce que la semaine écoulée marque enfin le début d’un véritable dialogue national tant attendu. Il n’en a rien été et les réticences et les résistances sont à trouver des deux côtés. Déjà, samedi 24, à la massive manifestation inaugurale de la “semaine de départ” au Bardo, l’absence de Béji Caïed Essebsi, annoncé pourtant, a attiré l’attention et déçu certains (dont moi) bien que les “ténors” de Nidaa Tunis aient participé avec les milliers de citoyen(ne)s qui ont défilé et crié leur détermination.
On attendait aussi beaucoup de l’interview accordée à Nessma TV, le lendemain, par Rached Ghannouchi. Allait-il tenir compte de la réussite de la manifestation de la veille ? Il n’en a rien été et, si le ton était plus calme, paternaliste par moments, le chef d’Ennahdha est resté sur ses positions, notamment sur le refus de la démission du gouvernement avant un accord résultant de négociations élargies avec l’opposition, pour “éviter le vide”. Tout au plus, a-t-il renouvelé son accord sur la suppression de la loi sur “l’immunisation de la Révolution” et accepté que Si El Béji participe aux discussions (évident après le voyage à Paris !). En revanche il a confirmé son intransigeance contre la dissolution des LPR (une association comme les autres…), affirmant que seule la justice pourrait prendre cette décision dans certains cas ; la vérité est que la “demi-Troïka” compte bien trop sur ces milices pour intervenir durant la prochaine campagne électorale et les prochains scrutins afin d’empêcher cette “transparence” et cette “liberté” dont se prévalent nos dirigeants ! Malgré tout, cette interview a fait pousser des cris d’orfraie aux Imed Daïmi, Abderraouf Ayadi et Mohamed Abbou, qui n’existeraient même pas en politique sans la Troïka qu’ils critiquent aujourd’hui.
Quant au point de presse, le 27, du chef du gouvernement, il n’a rien modifié de son intransigeance vis-à-vis des propositions de l’opposition et de l’UGTT et s’est borné à avertir que la mobilisation de la rue n’avait aucun pouvoir — ce que disait Morsi en Égypte — seules les élections faisant force de loi. Le seul point positif de son discours a été la “découverte” de la malfaisance d’Ansar Echaria, dénoncée comme “organisation terroriste” (enfin !), impliquée notamment dans les évènements de Soliman en 2006, les meurtres des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, les assassinats de nos soldats au djebel Chaambi. Il y a bien longtemps que tous les Tunisiens le savaient et c’est pour cela qu’ils n’avaient pas confiance en l’ancien ministre de l’Intérieur, qui minimisait la dangerosité de ces éléments terroristes.
Pourquoi sortir cette histoire aujourd’hui, avec tous ses détails, si ce n’est pour “montrer” au peuple tunisien le danger qu’il court si le gouvernement démissionne ? Entre parenthèses, le peuple pourrait en effet avoir moins de craintes si l’opposition pouvait mettre sur la table des négociations une proposition de ce gouvernement formé de technocrates apolitiques, dirigé par une personnalité que personne (de bonne foi) ne pourrait récuser, et dont elle parle depuis si longtemps.
Le “scoop” : jeudi 26, ce fut au tour du ministre de l’Intérieur de compléter, au cours d’une conférence de presse, les déclarations d’Ali Laraayedh et de révéler enfin le vrai visage d’Ansar Echaria, présenté jusqu’alors par Ennahdha comme une organisation de prédicateurs semant la bonne parole et s’occupant d’activités caritatives. Lotfi Ben Jeddou s’est livré à une mise à plat complète de la vraie nature des “gens aux drapeaux noirs” qui ont si souvent pollué les manifestations de la majorité.
Tout ce dont “on” parlait “sous le manteau” depuis des mois a enfin été confirmé officiellement : Ansar Echaria est bien une organisation terroriste composée de quatre appareils : de prédication (la face visible), sécuritaire, militaire (la brigade Okba Ibn Nafaa) et financière. Les preuves (et les aveux des membres arrêtés) prouvent qu’elle est responsable des meurtres de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, du massacre des militaires dans le djebel Chaambi et préparait des attentats contre des personnalités politiques, des journalistes et des intellectuels, dont une longue liste a été présentée (y compris Mustapha Ben Jaafar !). Une autre liste a révélé les noms des membres arrêtés à ce jour, tués dans des opérations ou en fuite. La télévision, à la suite de cette conférence de presse, a publié des photos et même des fragments d’interrogatoires de terroristes arrêtés.
Intenses tractations : le désaccord n’a fait que se confirmer avec les interviews données à Nesma TV par Béji Caïd Essebsi et Hamma Hammami, les deux chefs du Front du refus, qui sont restés sur leur position, exigeant la démission du gouvernement avant le 1er septembre, date butoir qui ne sera pas respectée puisque le chef du gouvernement s’est borné, vendredi 29, à répéter les “oukases” de la Troïka. Ce dimanche 1er septembre, l’opposition doit faire de nouvelles propositions après la réunion de la CA de l’UGTT au début de la première semaine de septembre. On est encore partis pour quelques jours de tractations et ce n’est pas à l’avantage de l’opposition, qui vient de s’affaiblir avec le retour à l’ANC des 12 élus du Mouvement tunisien de la Paix et la Dignité, tandis qu’Ettakatol, est en train de “se tâter” pour savoir s’il va poursuivre la grève !
Vendredi 29, Iyadh Ben Achour a proposé, à partir de l’initiative de l’UGTT, un plan de sortie de crise en dix étapes, qui va être mis à la disposition de l’opposition et mis sur la table des négociations. Enfin, il faut saluer le début de la campagne “Errhal” dans les régions — y ont participé, avec l’aide des élus” insoumis”, Sidi Bouzid, Sfax, Mahdia, Djerba, Sousse, Monastir, Jendouba et Kairouan, les autres s’y préparent. Saluons aussi, à Tunis, la “chaîne humaine pour la paix et la tolérance”, à laquelle ont participé des élus de la gauche française, qui a réuni le Bardo à la Kasbah.
Raouf Bahri