Après une brève trêve due principalement au choc de la crise sanitaire du Covid-19, les hostilités ont repris de plus belle, sur fond de provocations et d’insultes qui ont entravé pour la énième fois le travail à l’ARP. Un comportement qui laisse perplexe et qui atteste de l’ampleur des dissensions entre les partis et l’incompatibilité d’humeur entre certains députés, alors que la gravité du contexte commande plutôt la mise de côté des divergences et des échauffourées gratuites pour se concentrer sur l’essentiel : gagner rapidement le combat difficile contre le Covid-19, en contribuant à l’amélioration des conditions de vie des Tunisiens et de l’état de l’économie nationale.
«Il faut en finir avec la guerre des uns contre les autres et faire la guerre ensemble». Cette récente citation, d’un politicien français dont je ne me rappelle pas le nom, est très éloquente et surtout d’une brûlante actualité.
Ce nouvel accrochage intervenu lors des travaux de la Commission de la réforme administrative à l’ARP (Assemblée des représentants du peuple), le 21 avril dernier, nous ramène à chaque fois aux règles d’éthique qui devraient être respectées sous l’hémicycle et aux valeurs indispensables pour garantir l’efficacité de l’engagement et du rendement politiques.
En continuant à s’affronter, à se déchirer en permanence et à se dresser les uns contre les autres en dépit de la gravité du contexte et de l’accumulation des crises, les élites politiques semblent de plus en plus déconnectées de la vie de tous les jours, ce qui n’est pas de nature à favoriser la mobilisation et à réunir les ressources nécessaires pour focaliser sur l’essentiel.
Du reste, nous feignons d’oublier que la violence, qu’elle soit physique ou verbale, reste l’argument de celui qui n’en a pas d’autres!
Il faut reconnaître, au passage, que l’impunité et la faible application du règlement intérieur de l’ARP, d’un côté, et l’absence de dialogue et de concertation entre les différentes formations politiques qui auraient permis d’apaiser les tensions, de désamorcer les confrontations et de dissiper les frictions, de l’autre, ont participé à la multiplication de tels écarts.
Il aurait fallu plutôt faire preuve de retenue pour ne pas répondre aux provocations, en concédant si nécessaire, des concessions et en optant pour des échanges apaisés et enrichissants. Objectif: donner le bon exemple et améliorer le rendement parlementaire.
L’inconvénient direct de ces clashs et accrochages bas de gamme, c’est le ternissement continu et de plus en plus poussé de l’image des députés et des politiciens en général auprès de l’opinion publique sous nos cieux.
D’ailleurs, pour s’en convaincre, il n’y a qu’à consulter le baromètre politique du mois d’avril 2020 concocté par Sigma conseil qui a classé les députés et les partis politiques au bas de l’échelle de la confiance de la majorité des Tunisiens.
Mais le désavantage le plus grave de ces comportements déviants qui éclaboussent l’ensemble des députés et des politiciens d’une manière générale, c’est la menace de fissure du socle de l’unité nationale.
C’est qu’en vulgarisant la haine, la rancœur et la division et en attisantl’intolérance et la diabolisation des adversaires politiques qui représentent quand même un certain pourcentage d’élus, on menace le principal acquis de la Tunisie indépendante, à savoir l’unité ou l’union nationale.
C’était en tout cas un des chevaux de bataille du défunt Habib Bourguiba, leader de la lutte contre le colonisateur, combattant suprême comme il aime être appelé, et premier président de la République tunisienne et ce, avant et même après l’indépendance dans le but d’endiguer les relents de vicissitudes et graves divergences sur fond de populisme, extrémisme, régionalisme, tribalisme, idéologie, démagogie, xénophobie, ou autres menaces qui peuvent mettre à mal et lézarder le socle de l’Etat et sa stabilité.
Cette unité ou union nationale a permis au peuple de s’émanciper et de lutter d’abord contre le colonialisme (rattachement historiquement militant), puis d’aider l’Etat à construire les secteurs d’enseignement-éducation, de santé, de transport, d’industrie lourde, qui ont permis et pour de longues années, un progrès économique et social assez partagé.
Un tel atout permet la mobilisation de la conscience commune contre les tentatives de division et d’instrumentation et les influences délétères car au moindre relâchement, le risque peut devenir réel.
Le mirage de l’union sacrée?
Certes de nos jours, c’est le terme de cohésion sociale qui est en vogue et qui est devenu un enjeu du débat politique un peu partout dans le monde. C’est le fait que l’ensemble des forces humaines de la société sans exclusive, s’unissent sous une même bannière, en formant un tout indivisible fort de son «identité historique, culturelle (legs et traditions), constitutionnelle, géographique, économique ou linguistique pour un destin commun».
D’après la définition du Conseil de l’Europe, la cohésion sociale, c’est «la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres, à minimiser les disparités et à éviter la polarisation. Une société cohésive est une communauté solidaire composée d’individus libres poursuivant des buts communs par des voies démocratiques» et bénéficiant de l’égalité des chances et des conditions.
C’est dire l’importance de ce privilège qui garantit la paix sociale et immunise le pays contre les menaces de fissure dont pourraient se faufiler des velléités terroristes. Il facilite la mobilisation des troupes et accentue la puissance du pouvoir politique.
Car sans adhésion populaire, aucun gouvernant ne peut réaliser ses desseins et objectifs projetés.
Mais c’est dans les actes et les comportements qu’elle se décèle et non dans les discours creux et les symboles.
En laissant, pour le moment, de côté les divergences idéologiques, partisanes, démagogiques, régionales, tribales, sexistes, ou autres qui risquent de diviser, à l’heure où il faut réaliser l’union sacrée, nos élites politiques se doivent de détendre l’ambiance et de focaliser sur les préoccupations urgentes, comme le reste des Tunisiens.
On ne le répétera jamais assez : pour espérer battre un ennemi farouche, imprévisible et invisible de surcroît, tel le Covid-19, il faut que les rangs soient soudés et que l’action s’inscrive dans le cadre d’une union sacrée qui permet de ramer dans le même sens.
D’ailleurs, que ce soit pour faire front uni contre le Coronavirus, le terrorisme ou la précarité sociale, il n’y a pas d’autre moyen que de se serrer les coudes et de se surpasser dans ces moments de crise grave et dans ce contexte embrouillé.
Il est plus que temps alors que les querelles personnelles et partisanes s’apaisent et que les ambitions inavouables se répriment pour relever les défis de l’étape.
Pas d’autre moyen que de changer le fusil d’épaule à l’ARP et de s’investir, sans délai, dans cette guerre qui s’annonce longue et coûteuse et qui nécessitera par conséquent beaucoup d’efforts, de persévérance et d’abnégation.
Samy Chambeh