Depuis 2012, Ennahdha fait l’objet d’accusations de toute part sur deux principaux dossiers : les financements suspects dont il aurait bénéficié de la part du Qatar, et son éventuelle implication dans le terrorisme et dans l’acheminement des jeunes vers les foyers de tension.
Le récent attentat terroriste du 29 octobre 2019, sur l’avenue Habib Bourguiba, a remis au goût du jour le dossier des liens entre le parti islamiste et le terrorisme. Dans tout ce brouhaha, une question se pose, même si elle a été posée à de nombreuses reprises : Ennahdha est-elle au-dessus de la Justice ? Quelle est cette force que le parti détiendrait pour qu’il échappe aux enquêtes judiciaires malgré toutes les accusations dont il fait l’objet ?
Ces accusations ne sont pas des moindres, comme nous le savons. Abir Moussi, présidente du parti Destourien Libre, a fustigé en mars 2018 les liens qu’entretiendrait le parti de Rached Ghannouchi avec les Frères Musulmans et le Qatar qui aurait financé le parti depuis 2011. Des accusations graves, certes, mais malgré ce fait, aucune action en justice digne de ce nom n’a été engagée, ajouté à cela l’omerta des autorités, que ce soit au niveau de la Kasbah ou de Carthage.
Viennent par la suite les soupçons d’implication dans le terrorisme, et c’est d’autant plus grave dans la mesure où cela concerne la sûreté nationale. Là encore, malgré toutes les accusations de toute part, aucune action en justice sérieuse n’a été entamée, aucune réaction notable des autorités n’a été constatée, ne serait-ce qu’un brin de déclaration.
Souvenons-nous de ce 2 octobre 2018, lorsque les membres du collectif de défense des martyrs Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi ont présenté des documents qui, selon eux, prouvent l’existence d’un appareil sécuritaire secret appartenant à Ennahdha et qui aurait été derrière les assassinats politiques. Des révélations qui ont semé la zizanie sur la scène politique et médiatique. Cependant, la même omerta domine du côté des pouvoirs exécutif et judiciaire. De telles révélations sont capables de faire chuter des gouvernements, d’entraîner des poursuites judiciaires et des ouvertures d’enquêtes sérieuses. Mais, visiblement, Ennahdha, inatteignable, déroge à cette règle.
Le parti a même été accusé d’être en lien avec le récent attentat de l’avenue Habib Bourguiba, notamment par la députée de Nidaa Tounes, Fatma Mseddi, qui a même affirmé que 80% des résultats des travaux de la commission d’enquête sur les réseaux d’acheminement des jeunes vers les foyers de tension prouvent l’implication du parti islamiste dans l’organisation de ces excursions de la mort.
Cela fait peut-être beaucoup de coïncidences. Qu’est-ce qui explique le silence de la Justice dans ce contexte explosif ? Ennahdha sera-t-elle au-dessus de la Justice ? Bien entendu, il ne s’agit pas d’affirmer aveuglément que le parti est véritablement impliqué. D’ailleurs, une action en Justice pourrait désinculper le parti et ses dirigeants, même si l’hypothèse est très peu probable. Il s’agit, en réalité, de s’interroger sur l’efficacité et l’indépendance de l’appareil judiciaire et ses liens avec le pouvoir exécutif et les parties tierces dont on n’entend parler qu’à travers les bruits des couloirs.
Fakhri Khlissa