L’élection des membres du Conseil de la choura s’est achevée tandis que la désignation des membres continue. Parmi les nouveaux élus, deux figures connues en raison du militantisme de leurs pères respectifs, Ali Larrayedh et Oussama Ben Salem. Sauront-ils se défaire du cliché «fils de»? Hichem Larayedh, le jeune premier C’est la grande surprise du conseil. Elu à la 72ème place avec 197 voix, le fils de l’actuel ministre de l’Intérieur Ali Larayedh, fait sa grande entrée au sein d’un élément décisif du parti, le conseil de la choura. Pour ce jeune étudiant de 25 ans qui dirige aussi le Bureau exécutif des étudiants d’Ennahdha, la place des jeunes est plus qu’essentielle au sein de la choura. «Notre grande victoire lors du congrès, c’est d’avoir justement obtenu qu’un certain quota de jeunes fasse parti du conseil de la Choura». Les leaders du partie doivent désormais compter avec les jeunes têtes et s’y intéresser. Hichem Larayedh et ses confrères ont aussi obtenu que le règlement interne soit modifié. Avant, ceux qui voulaient se présenter au sein du conseil de la choura devaient avoir au moins 6 ans d’expérience au sein du parti ainsi qu’avoir occupé un poste de Secrétaire général dans un bureau national. Aujourd’hui, la responsabilité est réduite à un poste de Secrétaire général dans une région, afin d’élargir le cercle des membres aux jeunes des régions «qui restent peu représentés» selon Hichem Larayedh. Même s’il s’avoue peu satisfait de la répartition actuelle des sièges du conseil, faisant pression pour que d’autres jeunes soient pris dans la désignation des 50 membres qui viendront s’ajouter aux 100 membres élus, Hichem Larayedh voit dans son nouveau poste un enjeu important. «Beaucoup de questions ont été évoquées pendant le congrès, notamment sur le plan idéologique. Pour moi, le prochain congrès prévu dans deux ans, sera réellement l’occasion de faire le point sur le parti et de prendre en compte tous les points de vue. Le renouvellement idéologique et intellectuel d’Ennahdha sera au centre des enjeux et non plus seulement la question de la gouvernance». Son élection n’est pas une surprise pour les vieilles têtes du parti qui connaissent le jeune homme de par son père mais aussi son militantisme. L’air sérieux avec des lunettes rectangulaires, calme et posé, le jeune homme parle avec retenue de la figure paternelle qu’il respecte, un modèle dont il retient l’expérience. Hichem Larrayedh a été baigné dès son enfance dans le mouvement Ennahdha et a passé son adolescence avec un père en prison. «Avant, on me connaissait parce que j’étais le fils d’un prisonnier politique puis d’un opposant. Aujourd’hui, c’est parce que je suis le fils du ministre de l’intérieur. Au bout d’un moment, on dépasse cette image de « fils de» déclare-t-il, peu complexé par cette étiquette. «Le problème, c’est plus le fait d’avoir un père très connu au sein des militants et aussi membre de la choura. C’est à double tranchant. On sent plus de responsabilité et on fait plus attention à ce que qu’on dit». Pourtant le fils du ministre semble mener sa barque tout seul. Il s’est fait connaître médiatiquement en prenant part aux évènements de la faculté de la Manouba en novembre dernier. Accusé de soutenir les sit-inneurs qui voulaient imposer le droit au port du niqab, il nie aujourd’hui ces allégations : «notre engagement a été mal compris. Nous étions sur place pour faire le relais entre les étudiants puisque nous sommes un mouvement politique représentant les étudiants ; l’idée c’était de ne pas attiser les tensions entre les sit-inneurs et les deux forces syndicales estudiantines qui s’affrontaient. Nous ne soutenions pas le sit-in car pour nous, c’était le risque d’un sabotage de l’année universitaire. Notre position, c’était le droit au port du Niqab et nous avons essayé de négocier avec l’administration dans ce sens». Son père avait pourtant déclaré les revendications des contestataires «légitimes» et avait nié avoir reçu une demande du doyen Habib Kazdaghli d’intervenir au sein de l’université. Désormais, le fils assume deux postes de responsabilité au sein du parti Ennahdha et adopte une position neutre sur certaines questions. Il a admis pendant le congrès que des divergences existaient au sein du parti, aussi bien entre les jeunes que parmi les anciens. L’exemple le plus probant est la question de la Charia et de son inscription au sein de la future Constitution. La plupart des jeunes étaient pour et ont eu du mal à accepter la décision de Rached Ghannouchi de conserver l’article 1er tel quel. Pour Hichem Larayedh, la jeunesse n’est pas un désavantage face aux vieux militants qui ont souvent une légitimité carcérale et l’expérience de la clandestinité. «C’est aux jeunes de prendre leur place et de se faire entendre au sein du parti. Nous n’allons pas attendre que les anciens nous donnent la parole». Il avoue pourtant connaître près de 60 % des membres de la choura très bien du fait des amitiés de son père et de son expérience au parti. Quant aux autres jeunes, ce sont d’anciens camarades militants qu’il retrouve avec plaisir au sein du conseil. «Je me souviens qu’en 2007, Zied Boumakhla (directeur du bureau des jeunes d’Ennahdha et membre de la choura), un autre membre et moi-même, nous organisions une manifestation. L’un de nous, Omar, s’est fait arrêté la veille et le lendemain, à chaque fois qu’une voiture passait à côté de Zied ou moi, nous avions peur d’être arrêtés et emmenés au poste». Etre élu au sien du conseil de la choura, le fait entrer dans la cour des grands où il compte bien se démarquer et faire entendre sa voix. Oussama Ben Salem, la force tranquille Son nom est déjà familier, le fils de l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur a fait jaser les médias en mai, lorsqu’il lance une chaîne de télévision, Zitouna TV. Le procédé rappelle à beaucoup un certain clientélisme propre au régime Ben Ali, où les « fils de» accaparaient banques, médias, restaurants etc… Oussama Ben Salem s’était pourtant défendu contre cette image de «fils de» et avait revendiqué l’indépendance de la ligne éditoriale. Un peu plus âgé que son ami Hichem Larayedh qu’il a connu aussi dans le mouvement étudiant dont faisaient partie les jeunes d’Ennahdha ne pouvant adhérer officiellement à un parti illégal, Oussama Ben Salem porte aussi le poids patriarcal. Son père, militant et prisonnier politique sous Ben Ali a subi la torture durant ses années d’emprisonnement et l’interdiction d’exercer en tant que professeur en Tunisie. Âgé de 34 ans, Oussama Ben Salem a d’abord suivi les traces de son père en faisant des études de mathématique puis s’est lancé dans le business en fondant sa propre société. Il entre aujourd’hui dans le conseil de la choura en 60ème position avec 225 voix. Pour lui, l’apport de la jeunesse au sein du parti est indispensable : «Beaucoup de membres du parti ont été emprisonnés pendant leur jeunesse. Ils ont vécu entre 10 et 20 années de prison pour la plupart. Certains d’entre nous n’ont pas connu ça, nous avons une autre vision, une autre expérience de la politique.» Tout comme Hichem Larayedh, son enfance et son adolescence sont assombries par l’oppression dont son père est victime. Cela ne l’empêche pas de s’engager dès 2005 au sein du mouvement estudiantin d’Ennahdha. Il fait aussi parti des membres fondateurs de l’association Liberté et Equité qui lutte contre la torture, le tout dans la clandestinité. Il se distancie pourtant d’un engagement guidé par l’influence paternelle «Mon activisme politique n’a rien à voir avec Moncef Ben Salem. Lui est un dirigeant, alors que moi je suis un militant de base», déclarait-il en mai 2012. Il refuse ainsi d’être mêlé à certaines manifestations estudiantines et clame son indépendance politique. Aujourd’hui, le nahdhaoui peut être confronté à un problème éthique. Son nouveau poste au sein de la choura, l’obligera à dissocier encore plus son activité politique de son activité professionnelle, afin de rester crédible sur cette « indépendance». Pourtant des stickers au logo de la chaîne Zitouna TV étaient collés sur les murs de la salle du Kram pendant le congrès d’Ennahdha, laissant penser à une certaine orientation politique de la chaîne malgré les premières déclarations d’Oussama Ben Salem. Au sein du conseil, il veut être une force tranquille qui tempère un peu l’élan de certains : «les principales divergences entre les jeunes et les anciens militants portent sur la Révolution. Les jeunes sont plus radicaux, ils veulent vraiment répondre aux objectifs de la Révolution et tout changer, nettoyer le système des Rcdistes et lutter contre la corruption. Les anciens sont plus dans une démarche progressive, celle du changement petit à petit». Pour lui, aujourd’hui le «peuple tunisien ne peut plus attendre, il faut prendre des décisions rapides», et il compte sur sa nouvelle place pour accélérer les choses au sien du parti en vue des prochaines élections.
Lilia Blaise