Enquête sur la mendicité : Que ne ferait-on pas pour l’argent ?

Si certains mendiants vivent réellement dans des conditions misérables, d’autres ont réussi à en faire un gagne-pain. Des techniques toujours plus élaborées pour toucher le cœur des Tunisiens. L’hospitalité, la générosité sont ancrées, nous dit-on, dans les traditions tunisiennes et certains opportunistes le savent bien. Tout est planifié pour que les âmes charitables se laissent prendre au jeu. Des réseaux, des lieux stratégiques, des mises en scène, il s’agit souvent d’un travail à temps plein. Ceux qui ont le cœur sur la main finissent toujours la main dans le porte monnaie.

Les bébés, un « outil de travail »

Vous l’aurez remarqué, plusieurs mendiants vous aborderont aux croisements et feux de signalisation avec un bébé entre les bras. Ils traversent, passent entre les voitures, se jettent à vos fenêtres, vous montrent le bébé. D’autres sont assis devant les boulangeries, boutiques, banques et grandes surfaces, été comme hiver, avec des enfants qui ont à peine quelques mois.

En plein mois d’août, vers midi, Samira est là, toujours au RDV, son bébé aussi. Un bébé qui ne lui ressemble pas. Son récit : « Mon mari a été victime d’un accident, il est handicapé et moi, je dois m’occuper de lui et de notre bébé, je dois l’emmener à l’hôpital. »

M. S, serveur dans un salon de thé très fréquenté d’El Menzah VI nous dira « ce n’est pas son fils. Les bébés, ça se loue. Certains louent leurs bébés entre 5 et 10 dinars la journée. Ils sont tranquilles, ils ont entre 150 et 300 dinars par mois et sont libres toute la journée. » Une affaire rentable pour les mendiants. Si un bébé est loué entre 5 et 10 dinars la journée c’est qu’ils doivent gagner bien plus !

Une collègue, journaliste, nous raconte une anecdote bien terrifiante : « Un jour, un ami à la famille est sorti de son travail car il avait une course à la Marsa. Sa femme et lui travaillent et ils ont l’habitude de laisser leur fils à une dame qui vient le garder chaque jour à la maison et fait aussi le ménage. Ce jour-là,  alors qu’il s’est arrêté au feu rouge, une mendiante l’aborde un bébé à la main. Et là, il a reconnu son fils. La dame, elle, il ne la connaissait pas. Il a pris son bébé et a emmené la femme de force au poste de police. Elle a avoué que « la nounou » lui louait tous les jours le bébé contre la somme de 10 dinars par jour. Elle le récupère le matin et le rend l’après midi avant que les parents ne rentrent. »

La loi n’est pas du tout un frein. Ventoline, ordonnance et autres médicaments sont montrés pour justifier des pseudo-maladies avec cet air de misère, ce rôle appris par cœur, ces grimaces. Certains vous montrent même les prix du médicament. Une technique qui fonctionne et elle est très utilisée dans les villes touristiques où bien des visiteurs se laissent prendre au piège.

L’handicapé de service

Omar, chauffeur de taxi âgé de 32 ans est encore sous le choc : « Je viens de déposer un client à El Menzah VI, au croisement. Il a récupéré une chaise roulante au marché Sidi Abdessalem à Bab Saadoun, il l’a mise dans le coffre et m’a dit je vais ramener cette chaise à ma mère à Menzah VI. Arrivé au croisement où il n’y avait pas de maisons à proximité, il m’a dit de m’arrêter. Ensuite, il m’a demandé de descendre la chaise, je lui ai dit que le coffre est ouvert et qu’il pouvait le faire seul il m’a dit non, ramène-moi la chaise parce qu’ici je fais la manche et tout le monde croit que je suis handicapé. ». Omar, sous le choc, lui a ramené la chaise jusque devant la portière « Il a sauté sur la chaise sans déposer les pieds par terre, il a incliné la tête sur le côté et a commencé à mendier … On aurait dit un vrai handicapé, je n’en reviens pas. Cet homme prend tous les jours un taxi à 5 dinars et rentre en taxi. 10 dinars de transport. Il m’a dit qu’il gagnait entre 40 et 100 dinars par jour ! »

Il n’est pas le seul, beaucoup de mendiants simulent des handicaps mais plusieurs font aussi de leur handicap un fond de commerce. Toujours dans le même secteur, un jeune homme se promène torse nu pour montrer son bras amputé. Au  moins10%  des mendiants en Tunisie sont des enfants et des handicapés.

Organisation militaire

Tous les jours, en semaine, du lundi au vendredi, à 8h00 du matin, de l’avenue de la liberté en allant à Menzah VI, en12 minutes de trajet, au moins une dizaine de mendiants fidèles au poste, ponctuels et très organisés. Il y en a qui changent d’endroit les week-end et les soirées.

Il est arrivé souvent que de violentes disputes éclatent entre deux mendiants pour non respect du secteur. « C’est mon secteur et l’homme qui mendie en face le sait, il ne traversera pas la rue et ne viendra pas de ce côté. », nous confie Mohamed, mendiant à l’avenue Mohamed V.

D’après une étude réalisée avant 2011 par le ministère des Affaires sociales, 97 % sont des escrocs. Dans le monde, la fausse mendicité est estimée à 80%.

Les cliniques et centres médicaux, lieux stratégiques 

Dans la tradition tunisienne et dans les préceptes de l’Islam, l’aumône est valorisée. Les mendiants en font bon usage. Le cœur est encore plus fragile lorsque l’on a un proche malade ou que l’on soit soi-même malade. Beaucoup alors ont choisi de s’installer à l’entrée des cliniques et des centres médicaux. Lourdement insistants, usant de toutes les manières possibles pour attiser votre pitié, vous finirez souvent par céder ?

Les enfants rentables

Il est arrivé à plusieurs reprises que les forces de l’ordre démantèlent des réseaux qui travaillent avec les enfants. L’un des réseaux avait, en 2011, ramené de Kasserine plusieurs enfants âgés de 3 à 19 ans à la capitale. Il les déposait à bord d’une camionnette dans des croisements de la banlieue nord pour faire la manche. Si les têtes « pensantes » de ce réseau ont été arrêtés, d’autres continuent à travailler en toute impunité.

Je lui ai promis de ne pas citer son prénom, il a à peine 12 ans, il fume, dort dans la rue et parle déjà comme un délinquant. Lui, il refuse de parler aux journalistes et il refuse de dire qui l’a ramené à El Menzah. Son frère, 10 ans, fait la manche à Ennasr. Tous les soirs, c’est une moto qui arrive un peu loin pour récupérer la cagnotte. Les enfants sont très discrets. Le jeune homme de 12 ans a été abordé par une famille habitant le quartier et tenant un café. Il arrive tous les soirs, et dort devant chez eux sur la terrasse car il refuse de dormir dans une maison.

Un client du café lui a promis de le prendre en charge à condition qu’il réintègre l’école. Il lui a aussi promis de l’inscrire dans une équipe de foot et de le coacher … Bien que les yeux de cet enfant brillaient à cette idée, il refusa catégoriquement. L’école ce n’est pas rentable tout de suite pour ses « employeurs » ou ses parents…

Yasmine hajri

Que dit la loi ?

« Article 171 (Nouveau). – Est puni de 6 mois de prison, celui qui simule des infirmités ou des plaies dans le but d’obtenir l’aumône.

La peine est portée à un an contre :

*Celui qui, dans le même but, use de menaces ou pénètre dans une habitation sans l’autorisation du propriétaire ;

*Celui qui, mendiant, est trouvé porteur d’armes ou d’instruments de nature à procurer les moyens de commettre des vols ;

*Celui qui emploie à la mendicité un enfant âgé de moins de dix-huit ans. La peine sera portée au double si cet emploi se fait sous forme de groupes organisés ;

*Celui qui mendie, porteur de faux certificats ou de fausses pièces d’identité. »

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