La dernière blague à la mode en Tunisie et sur Facebook depuis quelques semaines consiste à s’adresser à une demoiselle en lui demandant : « t’es pas encore timbrée, toi ? » Allusion directe à la taxe de trente Dinars mise en place récemment pour tous les candidats au mariage… Une taxe qui a fait beaucoup de bruit alors qu’elle ne représente rien par rapport aux dépenses du mariage ce projet a été finalement annulé.
Mais pourquoi se marie-t-on ? Pour une écrasante majorité de ceux que nous avons interrogés, il s’agit de fonder une famille et d’avoir des enfants. D’ailleurs si l’institution du mariage résiste encore, c’est parce qu’elle est enracinée en nous dès l’enfance. C’est l’aboutissement d’une vie réussie pour les parents et la promesse de beaux jours pour les jeunes mariés.
L’amour, les sentiments, la tendresse sont placés en seconde place. En outre, de nombreux jeunes, garçons et filles, font passer leurs études avant tout engagement. Résultat : on se marie de plus en plus tard, on divorce plus souvent, avec, comme résultat, une monoparentalité qui fait beaucoup de mal aux enfants.
Le divorce au bout du chemin
Il y a dix ans, près de 17% des mariages finissaient par un divorce en Tunisie, soit un mariage sur six. Cette institution familiale garde cependant son importance dans la société tunisienne, chanté dans la tradition populaire dès la naissance de la fille ou du garçon. À titre de comparaison, en Suède, un mariage sur deux se termine par un divorce, tandis qu’en Angleterre et au Danemark, c’est un mariage sur trois qui échoue.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, plus de la moitié des divorces sont actuellement demandés par les femmes, contre moins de 6% en 1961. L’indépendance économique et l’évolution des mentalités sont passées par là. Les causes du divorce en Tunisie sont aussi variées que nombreuses : une situation financière difficile, l’incompatibilité d’humeur dans le couple, une vie sexuelle insatisfaisante, etc.
Et c’est un monsieur d’un âge certain qui tente d’apporter une réponse emprunte d’humour : « c’est normal qu’il y ait autant de problèmes dans le couple. Les filles choisissent leur mari selon sa marque de voiture et le garçon cherche l’âme sœur selon l’importance du salaire de la candidate ! Le manque d’amour au sein du couple est devenu flagrant ! L’amour ça se construit petit à petit après le mariage, c’est lui qui renforce la vie conjugale et garantit sa continuité! »
Son épouse professe une certaine sagesse populaire en proclamant : « ce qui manque aux jeunes couples d’aujourd’hui, c’est le respect de l’autre. Mon mari et moi, on se connaissait à peine quand on s’est marié, et chacun a fait des efforts pour s’adapter au caractère de l’autre. Je ne lui fais pas de reproches et il ne lève jamais la voix en ma présence. Or ces jeunes couples s’enflamment tout de suite et certains en viennent aux mains, et ça, ce n’est pas bien ! »
Côté jeunes mariés, les avis diffèrent. Pour la plupart des jeunes hommes qui se sont mariés récemment, une union à long terme signifie la fin d’une vie de célibataire aussi libre que passionnante, avec de nombreuses partenaires sexuelles, peu d’obligations et des moyens entièrement consacrés à son propre plaisir.
Mounir, 36 ans, marié depuis deux ans, cadre de banque, amoureux de belles voitures et de jolies filles, se sent à l’étroit depuis son mariage, l’été dernier : « j’ai l’impression de vivre la même chose chaque jour, de manger les mêmes plats, de répéter les mêmes gestes sans passion quand on fait l’amour, de ne plus être indépendant, puisque chaque décision doit être discutée avec ma femme. Et puis, il y a ces dimanches chez ses parents qui me tuent d’ennui, alors qu’elle semble très à l’aise. Un enfer ! »
Pour Myriam, 29 ans, mariée depuis quatre ans, « les problèmes sont essentiellement matériels ce qui influe directement sur la vie conjugale. Il y a ensuite les problèmes liés à l’activité sexuelle du couple qui devient routinière. Il faut aussi parler des mauvaises habitudes du quotidien, le manque d’indépendance des deux partenaires dont les activités sont trop liées alors qu’il faudrait que chacun ait une certaine vie privée avec des sorties entre amis, une participation à la vie associative, aux activités culturelles afin que les retrouvailles soient passionnées. »
Le plus tard possible
Alors de nombreux jeunes choisissent de ne pas s’engager ou de le faire le plus tard possible. Nous avons d’ailleurs constaté qu’il y a plusieurs types de célibataires : ceux qui ont choisi de vivre seuls et qui l’assument, ceux qui le subissent, qu’ils soient divorcés, veufs ou déçus par les autres… De son côté, la jeune fille célibataire en est généralement stigmatisée et condamnée par son entourage. Cette situation fait augmenter la pression sociale et familiale sur les femmes célibataires. Une majorité écrasante de celles-ci reste soumise à un contrôle familial.
Mais de plus en plus, souvent, les tunisiennes ont désormais d’autres priorités que de convoler en justes noces car elles sont plus instruites, plus indépendantes financièrement. On constate une nette évolution du taux du célibat chez les filles âgées entre 20 et 24 ans qui atteint près de 90% ces dernières années, alors que c’est la période idéale pour procréer, selon les spécialistes. Il reste élevé à près de 65% dans la tranche d’âge 25 à 29 ans, pour retomber très vite à 37% au-delà de trente ans et il n’y a plus que 20% de filles célibataires au-delà de trente cinq ans…
Certaines jeunes filles voient dans le mariage une solution au manque d’indépendance imposé par leur famille, mais elles échappent à l’autorité du père pour se retrouver sous celle du mari. Pourtant le Code du Statut Personnel leur donne des droits qui fait rêver les femmes sous d’autres latitudes, notamment l’interdiction de la polygamie, de la répudiation et le droit au travail. Mais, selon un avocat, « la loi ne libère pas les esprits, le poids des traditions sociales reste énorme, surtout dans les petits villages et à la campagne… »
Toutefois, il existe d’autres causes non négligeables de cette réticence : l’élévation du coût de mariage, le chômage et souvent la difficulté de trouver un partenaire convenable tant au niveau social que culturel. Une situation qui a pour effet inattendu : la baisse du taux de fécondité avec à peine deux enfants par couple.
Un sujet n’a été que peu abordé par nos interlocuteurs : personne n’a évoqué la question de l’épanouissement sexuel des deux partenaires. Or d’après un sexologue, « c’est le principal problème qui se pose au couple. D’après mes estimations, plus de la moitié des couples ne sont pas satisfaits de leurs relations sexuelles, mais ils n’en parlent pas, ou si peu… »
On est loin de ces histoires d’amour entre un prince et une princesse au dénouement heureux et qui se terminaient invariablement avec le sempiternel « ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours. » Dans le monde réel, les couples d’aujourd’hui vont rarement au bout du conte merveilleux et l’histoire se termine sur ces mots « ils se marièrent, eurent beaucoup de problèmes et vécurent tristement jusqu’à ce que la mort les sépare » !
Questions pour un champion du mariage
Qui a le droit d’écrire le contrat de mariage ?
Le contrat de mariage doit être rédigé par un notaire ou par l’officier public de la municipalité ou l’un de ses adjoints.
Qui doit payer le timbre de 30 Dinars ?
Ce sujet n’est encore qu’un projet, mais a priori, ce serait le mari…
La femme doit-elle contribuer aux dépenses du foyer ?
La femme doit contribuer aux charges du foyer lorsqu’elle dispose de ressources matérielles.
Les enfants peuvent-ils porter le nom de la mère ?
Les enfants ne peuvent pas porter le nom de leur mère, sauf si le père est inconnu.
La séparation de corps existe-t-elle en Tunisie ?
La séparation de corps n’existe pas. Soit il y a mariage avec les obligations indissociables pour les deux parties, y compris le devoir conjugal, soit c’est le divorce qui est la fin du mariage et ses obligations. Il n’y a pas de situation intermédiaire !
L’homme doit-il obligatoirement laisser sa maison à sa femme et ses enfants en cas de divorce ?
Oui la femme dispose d’un droit sur le domicile conjugal en cas de divorce, lorsqu’elle a la garde des enfants.
La non-consommation du mariage est-elle un motif de divorce ?
Il ya deux situations : soit il y a un refus de l’une des parties d’avoir des rapports conjugaux et c’est considéré comme un préjudice pouvant motiver le divorce, soit il ya ce qu’on appelle le divorce avant la consommation du mariage. C’est le cas où les deux partenaires ont signé un contrat de mariage, mais que celui-ci n’a pas été consommé. Dans ce cas la procédure du divorce est beaucoup plus simple et plus rapide.
Combien coûte un mariage
On est tous d’accord : le coût du mariage est très élastique. Il varie entre quelques centaines de dinars à la campagne et un nombre impressionnant, voire scandaleux de millions dans les hautes sphères. Alors, nous allons prendre un couple moyen où le mari est cadre et la femme enseignante. Louer une maison, avec la caution et la badigeonner revient à plus de deux mille dinars.
Équiper cette maison avec une chambre à coucher, un salon, des rideaux, un frigo, une télé, un four à gaz, un climatiseur et le budget explose à plus de dix mille Dinars. Et on n’a pas compté un ordinateur avec son abonnement à Internet, un micro ondes, l’électroménager de petite dimension, car on dépasserait douze mille dinars…
Une fois la maison équipée, il faut penser aux festivités : l’Outia, qui est une fête organisée par la jeune fille, avec la Henna et le costume traditionnel. De son côté, le futur marié va organiser une fête pour enterrer sa vie de garçon. Cela peut atteindre deux à trois mille Dinars pour chacun, en restant simple et en l’organisant au domicile familial, ce qui est souvent le cas.
Pour les plus ambitieuses, il y a le Hammam avec les amies et proches parentes, la coiffure et le maquillage pour quelques centaines de Dinars. Vient ensuite la garniture de la voiture du cortège avec des fleurs et c’est de plus en plus cher, la vidéo, la robe de mariée, la location de la salle des fêtes à partir de quatre mille Dinars, avec un orchestre qui joue plus ou moins juste et quelques chanteurs plus ou moins talentueux mais qui coûtent entre deux et dix mille dinars… Il faut aussi prévoir les boissons, les gâteaux et autres sucreries et à la fin des festivités les photos où toute la famille et les proches défilent et qui finit par coûter quelques centaines de dinars……
Dans certaines régions, les bijoux sont une nécessité absolue, une tradition ancestrale héritée du temps où la femme ne travaillait pas et dont les bijoux constituaient une réserve pour faire face aux aléas de la vie.
En général, les parents aident beaucoup le jeune couple, mais certains sont obligés de prendre un crédit pour se marier ! Mais après avoir flambé durant quelques heures, ils se retrouveront face à des problèmes inextricables de surendettement dont le couple sort rarement indemne… C’est beau l’amour !
Le divorce en chiffres
Plus de 6 % des femmes étaient divorcées au début des années 2000 en Tunisie, près de 10% actuellement. Cette rupture intervient dans 50% des cas au cours des 4 premières années du mariage.
La Tunisie, occupe actuellement le quatrième rang mondial, pour ce qui est du taux de divorce. Le nombre de divorces prononcés a augmenté de 142% entre 1972 et 2005.
Le divorce par consentement mutuel est de 28% en Tunisie. En 2006, le taux de célibat chez les filles âgées de 20 à 24 ans est de 88,4%. Pour la tranche d’âge des 30 à 34 ans, ce taux est de 37,5%. Pour les hommes, les taux de célibat sont respectivement de 85% pour la tranche d’âge comprise entre 25 et 29 ans et de 50% pour celle de 30 à 34 ans.
Plusieurs études confirment que les « non mariés » sont désormais majoritaires en Tunisie. Dans l’ordre, les raisons du recul de l’âge du mariage sont le coût du mariage (34%), le chômage (22%) et la difficulté de trouver un logement (22%)*.
*ces chiffres seront actualisés lorsque les résultats du recensement 2014 seront proclamés.
Yasser Maârouf