Depuis quelques jours, la tension monte entre le syndicat de l’enseignement secondaire et le ministère de l’Éducation. Les négociations semblent être dans l’impasse. L’enseignement oscille dans notre pays entre crise latente et crise ouverte. Les enseignants dénoncent à la fois la déperdition et l’insuffisance de moyens, un gaspillage de leur temps et de leur effort, une perte de considération de la part de la société civile. L’opinion observe que l’effort financier global qu’elle consent n’est pas très différent de celui des autres grands pays de l’OCDE, que le système d’enseignement tend à se replier sur lui-même et s’adapte trop lentement, que les réformes successives l’ont alourdi sans vraiment le réformer, enfin que les résultats attendus en termes de gains de productivité pour la nation sont insuffisants. L’opinion publique tunisienne semble avoir perdu confiance dans ses écoles. Et ils ont raison parce que le constat est préoccupant.
En effet, il n’est étrange à personne aujourd’hui que le rendement de notre système éducatif est médiocre. C’est hélas une réalité qu’il faut admettre. Aujourd’hui l’idée même du progrès par la connaissance paraît remise en cause. Depuis quelques années, la situation du chômage des diplômés a progressivement ébranlé la conviction chez les familles que l’éducation mène à l’emploi, et constitue le principal ascenseur social pour tous. On assiste à une perte progressive de la confiance dans les établissements d’enseignement public, qui devient alarmante compte tenu des ressources mobilisées par l’Etat et les ménages. Rappelons au passage que la Tunisie consacre l’équivalent du quart du budget de l’Etat à l’éducation publique, une quote-part équivalant presque au double de la moyenne de l’OCDE.
Dysfonctionnements du système d’enseignement tunisien
Une récente étude PISA-OCDE publiée en 2013, a mis en exergue les dysfonctionnements du système d’enseignement tunisien et remet en cause les exigences du syndicat en ce qui concerne les conditions de travail. L’étude révèle d’abord que le nombre d’élèves non performants et ne disposant pas de compétences essentielles de base est élevé et que la proportion d’élèves performants, est très faible. Un constat qui remet en cause le système éducatif dans sa globalité. L’étude révèle que des pratiques dans le milieu scolaire, et des soupçons de détournement de la loi et un manque d’intégrité sont fréquents, sans que des mesures disciplinaires systématiques et drastiques ne soient prises, ce qui renforce l’impunité et encourage la prolifération de telles pratiques.
De nombreuses questions restent en suspens concernant les cours particuliers (notamment celles dispensées par les enseignants issus de la même école que les élèves), quand les cours particuliers deviennent une condition de réussite aux examens, ou quand des parties du programme sont délibérément ignorées dans les cours réguliers pour stimuler la demande de soutien scolaire.
L’enquête montre également que les cours réguliers, ne contribuent que très faiblement à l’apprentissage des élèves (entre 37% et 45 % du temps d’apprentissage global). Les pays les plus performants en matière d’éducation (Japon, Australie, Nouvelle Zélande) sont dans le schéma inverse, puisqu’ils consacrent plus de 70 % de leur temps global à l’apprentissage dans les cours réguliers.
Quant aux conditions de travail des enseignants, l’étude va à l’encontre des revendications actuelles du syndicat en soulignant la générosité des rémunérations des enseignants en Tunisie. En effet, les salaires de départ des enseignants dans les écoles secondaires en Tunisie sont de 1,7 fois plus élevés que le PIB par habitant. C’est au-dessus du revenu relatif des enseignants dans les pays de l’OCDE. De même pour la charge de travail. Les enseignants tunisiens travaillent seulement 30 semaines par an, soit l’équivalent de 493 heures/an (contre 38 semaines où 577 heures/an dans les pays de l’OCDE). Cependant, les performances en mathématique sont les plus médiocres comparativement aux autres pays.
En définitive, et en l’absence d’un système objectif d’évaluation des résultats d’apprentissage, le système actuel fait que :
1) le classement des élèves en classe est devenu le principal critère d’évaluation de la performance (perçu par les parents)
2) l’évaluation des résultats des élèves se base généralement sur le niveau de connaissances moyen des élèves de la classe
3) l’évaluation des élèves est sous l’influence croissante des enseignants : notation en classe sans critères objectifs, cours extrascolaires.
Pour que l’école change, il faut qu’il existe une prise de conscience de la nécessité d’un système éducatif plus proche des besoins de la population. L’éducation ne progressera que si les populations y trouvent une réponse à leurs aspirations. Il nous faut en urgence un pacte pour une éducation de qualité et équitable. Malgré la résistance des uns et des autres, l’enjeu est essentiel, car, sans une bonne éducation, pas de développement, au sens le plus large du terme.
Mohamed Ben Naceur