
Par Hatem Bourial
Une nouvelle année est à nos portes. Avec son lot d’espoirs et d’appréhensions. Une décennie après la Révolution, la Tunisie reste à la croisée des chemins et semble hésiter sur la voie à prendre. Toujours taraudée par l’incertitude et l’indécision, la Tunisie sera-t-elle enfin au rendez-vous des lendemains qui chantent ?
Il existe au moins une certitude : 2021 ne devrait pas être une année électorale. Tous les mandats électifs sont en cours avec des conseils municipaux, une Assemblée des représentants du peuple et un président de la République qui ont encore quelques années devant eux.
Vers un autre Dialogue national ?
Pourtant, les déséquilibres persistent et les institutions ne trouvent toujours ni leur vitesse de croisière ni une efficacité minimale. Cependant, l’effervescence est à son comble avec de nombreuses revendications et une contestation qui se généralise. À écouter la rumeur de la vox populi, on finirait par concevoir que 2021 pourrait se muer en année électorale et démentir les certitudes les plus ancrées.
Trois indices permettent d’aller vers cette hypothèse. D’abord, le Parlement ne fait toujours pas l’unanimité et les voix appelant à la dissolution se font plus tenaces. Au Bardo, les élus ne l’entendent pas de cette oreille et pourraient accoucher d’une majorité de circonstance en attendant que passe ce nouvel orage.
Simultanément, les voix appelant à un référendum sur la nature du régime se font plus pressantes. Considérant que les blocages actuels sont surtout à imputer à la nature hybride du régime politique, ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter un référendum populaire qui puisse ouvrir la voie à un rééquilibrage des pouvoirs en faveur de la présidence de la République.
Ensuite, les appels répétés pour la mise en place d’un Dialogue national vont dans le même sens et sont un autre révélateur de la crise politique actuelle. Devant la paralysie des institutions et les empiétements permanents entre les pouvoirs, la société civile bouge dans le sens d’un nouveau Dialogue national qui puisse remettre les pendules à l’heure. Pour le moment, la classe politique se bouscule au portillon des initiatives en ce sens. Les uns s’accrochent à cette idée, d’autres voudraient la torpiller ou la phagocyter et, comme à l’accoutumée, ils sont nombreux à vouloir prendre le train en marche. Si ce projet de Dialogue national se concrétise, cela pourra signifier un retour aux urnes à court terme. Plus que jamais, le scénario d’un gouvernement de compétences reste à l’ordre du jour. Il est d’ailleurs possible que le remaniement ministériel annoncé pour le début de l’année aille dans ce sens. En tous cas, ce qui est observable à l’œil nu, ce sont bien la débâcle des partis politiques et l’extrême pauvreté en compétences du personnel politique dans son ensemble.
L’essoufflement progressif d’Ennahdha
Si 2021 pouvait se transformer en année électorale, il ne serait pas exclu que ce nouveau millésime s’accompagne d’une restructuration en profondeur du paysage politique. En dix ans, les partis les plus influents, leurs alliés et leurs avatars, n’ont rien construit de tangible, plongeant le pays dans la précarité et le spectacle malsain de leurs querelles. Des recompositions sont actuellement en cours et pourraient déboucher sur la reconstruction d’un centre-gauche opposé à la mainmise islamiste. De même, la renaissance d’une alternative destourienne n’est plus une simple vue de l’esprit. La tectonique des partis politiques est ainsi en plein mouvement alors que l’essoufflement progressif d’Ennahdha pourrait être fatal à l’unité du principal parti islamiste. En ce sens, 2021 sera l’année décisive du congrès de ce parti et probablement celle de la redistribution des cartes en son sein.
Pour l’heure, l’année commence sur fond de contestations diverses et de délitement de l’État qui est défié par la radicalisation de plusieurs mouvements locaux qui exigent une redistribution des richesses nationales selon un principe de ségrégation positive. Les revendications montent un peu partout et génèrent une situation des plus tendues qui continuera à faire boule de neige jusqu’à la date fatidique du 14 janvier. Pour leur part, les institutions font leur dos rond alors que la lutte contre la corruption remonte à la surface avec des arrestations spectaculaires et une grande fébrilité. En ce sens, la nouvelle année sera sans doute celle de la remise à plat de nombreux dossiers qui restent en suspens, notamment celui de la réconciliation nationale et de la justice transitionnelle.
Un nouveau carrefour des impasses
Enfin, 2021 pourrait être l’année du réalisme pour les décideurs qui ont trop longtemps différé les importantes réformes structurelles qu’attend le pays. Pris entre l’enclume de l’endettement et le marteau de la contestation, le pouvoir politique semble tourner à vide dans l’espoir d’un hypothétique rebond. Ces impasses cumulées ont largement entamé le moral de la nation qui doute de plus en plus dans la capacité du personnel politique actuel à peser sur la situation. Alors que la crise de confiance entre gouvernants et gouvernés s’approfondit, les marges de manœuvre des gouvernements successifs vont en se rétrécissant.
Quant aux objectifs de la Révolution, ils restent confinés dans le domaine de la rhétorique. Cités en permanence mais jamais envisagés dans l’action, ils restent en souffrance à l’instar des réformes d’envergure attendues dans un pays écartelé entre les lignes rouges et les sirènes identitaires. Qu’attendre dès lors de 2021? L’espoir est mince, même si un sursaut et un rebond sont toujours possibles pour une classe politique amplement disqualifiée. Verrons-nous des changements radicaux se dessiner alors que la pandémie a installé une autre crise ? Le pays sortira-t-il indemne de la spirale de l›endettement et de l›incurie ? Enfin, le contexte géopolitique compliquera-t-il davantage la donne ?
Sous le sceau de l’incertitude, l’espoir reste permis malgré un bilan désastreux et des institutions qui ne parviennent toujours pas à prendre la pleine mesure de l’immensité de la tâche à accomplir. Dix ans de tergiversations et de consensus à somme nulle auront mené la transition tunisienne à un nouveau carrefour des impasses.