Entre doute et crainte, espoir quand même…

Je reviens un peu sur la semaine de l’Aïd parce qu’elle a été fertile en événements médiatiques. Plusieurs dirigeants s’y sont exprimés. Il s’agit d’abord des interviews données à La Presse par Hamadi Jebali et Rached Ghannouchi. Le premier a affirmé “Je n’ai pas quitté mon parti et je suis toujours à son service” (est-ce une offre de service pour remplacer Ali Laarayedh ?), tandis que le second a réaffirmé sa conception du binôme islam-démocratie et confirmé son exigence sur le maintien de l’actuel chef du gouvernement. Enfin le chef djihadiste Abou Iyadh — toujours, “activement recherché” — a publié un communiqué exhortant ses troupes “à sortir pour protéger la prédication et vaincre les mécréants”. Nous voilà avertis !

Last but not least, un véritable choc a été créé par la déclaration improvisée et émue de Mustapha Ben Jaafar, quelques heures seulement après la séance plénière de l’Aïd à l’ANC, nous informant qu’il “suspendait les travaux de l’Assemblée jusqu’à l’entame d’un dialogue avec les députés (sit-inneurs) et les partis de l’opposition” ; ce à quoi Mohamed Bennour, porte-parole d’Ettakatol a expliqué que Si Mustapha “a été choqué par les paroles de haine et de délire de certains membres de la majorité à la séance du matin”. Nous aussi !

 

La semaine suivante a été d’abord “celle de la femme”, avec les manifestations du 13 août pour célébrer la Fête de la Femme. Pour l’occasion, l’interdiction d’utiliser l’Avenue Bourguiba a été levée pour accueillir les partisan(e)s de la Troïka — réduite il est vrai à un binôme Ennahdha/CPR. Ettakatol ayant préféré s’abstenir d’y appeler ses ouailles — quant au Front du Salut, il a choisi d’appeler à un rassemblement à Bab Saadoun, qui a rejoint en passant à travers la ville le sit-in d’Errahil du Bardo. Les téléspectateurs n’ont pas pu ne pas remarquer la disparité entre les quelques milliers de présents à l’Avenue Bourguiba et les centaines de milliers (de 150.000 pour Business News à 500.000 pour Al Hiwar Ettounsi, chacun se fera une idée) de démocrates. L’ambiance aussi, n’était pas la même. Tour à tour plus festive ou plus menaçante chez les légitimes (comme ils s’appellent eux-mêmes) qui sont forts de l’appareil de l’État et de leurs milices, tandis que le rassemblement de ceux qu’Ennahdha appelle les “anarchistes” ou les “mécréants” était plus revendicatif, plus patriotique et plus grave, avec notamment les interventions émouvantes et courageuses des veuves et des enfants des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

Cette journée a bien montré de quel côté se trouve la légitimité du nombre — du côté du peuple sans aucun doute —, mais elle n’a pas été comprise par les dirigeants de la Troïka (reconstituée par le remplacement d’Ettakatol par Wafa !) qui campent sur leurs positions et les renforcent, prenant maintenant prétexte de la gravissime situation de l’Égypte, alors que les cas des deux pays ne sont en rien comparables, si ce n’est le refus par la majorité de la population d’un gouvernement islamiste qui, en un ou deux ans selon le cas, n’a pas réussi à régler les problèmes de son pays. Au pays des Pharaons, c’est l’armée toute puissante qui, sous prétexte de séparer les partisans du pouvoir et ceux de l’opposition, en a profité pour faire un coup d’État et pour réprimer sauvagement les islamistes qui ont échoué… Chez nous, c’est la majorité du peuple, désarmée, qui exige pacifiquement le départ (“errahil”) du gouvernement et de l’ANC issus des élections d’octobre 2011, qui n’ont pas été capables d’empêcher la déliquescence de la Tunisie. Qu’il s’agisse de l’économie (production et export en baisse sensible), de la société (chômage), de l’enseignement (le Supérieur et les jardins d’enfants) de l’agriculture, du tourisme (les touristes ont peur de venir),  de la sécurité publique et de l’armée qui n’arrive pas, malgré le courage et le dévouement de ses hommes, à remplir pleinement sa mission. C’est pour tout cela qu’un changement complet s’avère indispensable…

Le sit-in du Bardo, devenu permanent et qui devrait, à partir du 24 août, toucher l’ensemble des régions du pays, a pour but de destituer les dirigeants au niveau national et régional : le gouvernement et l’ANC à Tunis, les gouverneurs et délégués choisis pour leur appartenance à Ennahdha. Et tout cela par la persuasion, sans arme et sans destruction, ainsi que l’ont demandé avec insistance les dirigeants du Front du salut national, qui regroupe pratiquement toute l’opposition afin de rassurer la population. Alors que les islamistes, pour éviter tout changement, jouent sur la peur du “grand soir anarchiste”. Mais a-t-on jamais vu un responsable islamiste, qu’il soit d’Ennahdha, du Hezb Ettahrir ou autre, assassiné comme l’ont été les deux leaders du Front de gauche ? Où a-t-on trouvé des armes de guerre, si ce n’est dans les mosquées occupées par les salafistes ?

Le SG de l’UGTT, Houcine Abassi, a, de nouveau, rencontré la semaine dernière Rached Ghannouchi, en vain. Pour proposer une feuille de route, exiger la démission du gouvernement, mais en acceptant le maintien de l’ANC jusqu’aux prochaines élections — un point sur lequel sont prêts à céder plusieurs partis de l’opposition et certains parmi les députés sit-inneurs, tels Mohamed Baroudi et Fadhel Moussa. 

Mais dans son discours du 15 août, Rached Ghannouchi a maintenu ses exigences : à la rigueur élargissement du gouvernement, mais sous la direction d’Ali Laarayedh. Ce discours de refus risque de faire capoter la réunion prévue pour lundi 24 entre le SG de l’UGTT et le président d’Ennahdha, présentée comme la réunion de la dernière chance… Devant cette situation, de nombreuses interventions sont en cours, qu’il s’agisse d’Iyadh Ben Achour, de Mansour Moalla, d’Ahmed Rahmouni et de bien d’autres, qui demandent aux deux parties en présence de faire l’effort de baisser, chacun de leur côté, de baisser les barres placées un peu trop haut afin de parvenir à un consensus, car la Tunisie n’a pas besoin d’une nouvelle épreuve de force. Il faut à tout prix éviter la “fitna.”

Raouf Bahri

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