Entre soulagement et incertitudes

 

Taïeb Zahar

Sous le coup, inévitable, des émotions fortes, entre soulagement pour les uns et incertitudes pour les autres, suscitées par les événements qui ont ébranlé la Syrie, l’avenir paraît on ne peut plus incertain et pas que pour la Syrie après la chute de Bachar Al Assad.
Finalement, c’est l’avenir de tout le Moyen-Orient qui est engagé dans des perspectives les unes plus hypothétiques que les autres.  Après un demi-siècle au pouvoir, le régime d’Al Assad est tombé, mais qui l’a fait chuter? Des « rebelles » syriens, certes, mais soutenus par des forces étrangères, politiquement et militairement. La chute de Bachar et la libération de Damas de 50 ans de totalitarisme ont été un soulagement pour des millions de Syriens, beaucoup sont réfugiés à l’étranger, et autres que Syriens à travers le monde, mais pour quels lendemains ?  Liberté, démocratie, droits de l’homme pour tous les Syriens? Il faut en douter car « les libérateurs », des factions islamistes classées organisations terroristes, sont connus pour être encore plus despotes et plus sanguinaires. Les pays de la région, qui ont béni la libération de la Syrie, ont du pain sur la planche pour maîtriser la situation sécuritaire et dompter la ferveur de ces hommes armés à l’idéologie jihadiste bien ancrée. Al Qaïda, Jabhet Ennosra, Daech, c’est du pareil au même, on les a vus à l’œuvre en Syrie en 2011 et, avant, en Irak ; ils ne peuvent pas se transformer du jour au lendemain en militants démocrates quand cela sert les intérêts de parties influentes. Quand l’euphorie émanant de la libération de Damas sera tombée d’un cran, les Syriens s’apercevront que leur pays a été amputé d’une partie de leur territoire dans la même journée où Bachar s’est envolé pour Moscou.
Le premier ministre israélien, Netanyahu, s’est même enorgueilli d’avoir participé à la préparation de la chute de Bachar Al Assad depuis plusieurs mois, aux côtés des Etats-Unis et de la Turquie, pour affaiblir les forces de résistance au Liban, en Syrie et en Irak. Au moment où les Syriens « libres » célébraient la prise de Damas et la libération de leurs détenus des geôles de l’ancien régime, l’armée israélienne envahissait la totalité du Golan syrien dont une partie était occupée depuis la guerre de 1967. Et ce n’est que le commencement du projet de Netanyahu d’annexer encore plus de terres arabes pour agrandir le territoire israélien et bâtir le projet cher à tous les sionistes « le Grand Israël ».
A coup sûr, le plus grand perdant sera, directement ou indirectement, le peuple palestinien. Il est clair que l’on est en train de préparer la région à une nouvelle configuration. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Ceux qui se réjouissent de la situation nouvelle en Syrie, notamment les pays du Golfe, doivent prendre conscience de la gravité de la situation et demeurer vigilants. Ils viennent de perdre un de leur bouclier. Il est clair aussi que ceux qui mènent la danse de derrière les rideaux et s’activent à renverser les régimes qui leur tiennent tête ne se gêneront pas à en renverser d’autres. Et ce ne seront pas les raisons qui manqueront.
Peut-on, dans ce cas, espérer encore une solution à deux Etats pour le conflit au Proche-Orient avec les frontières de 1967 et Al Qods-Est comme capitale d’un Etat palestinien  indépendant ? Sans doute, mais l’espoir s’amenuise inexorablement dès lors que le sort de Gaza et de la Cisjordanie occupée n’est plus qu’entre les mains de l’armée israélienne qui, à présent, a les coudées franches en Palestine occupée et au Sud-Liban.
Peut-on s’en réjouir, malgré tout, au nom d’une liberté retrouvée ? Sans doute non. La liste tristement célèbre des dirigeants arabes déchus par des révolutions violentes boostées de l’étranger ne va peut-être pas s’arrêter à la Syrie, la région étant considérablement affaiblie et vulnérabilisée et les intérêts sionistes insatiables. Certains observateurs ne manquent pas de dire que le Grand Israël est en marche et que rien ne l’arrêtera plus. En effet, le dernier rempart du nationalisme arabe résistant à l’expansion du sionisme vient de tomber à Damas.
La région du Maghreb n’est pas en reste et n’est pas à l’abri des soubresauts. La prochaine étape avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche sera chargée de nouveautés, probablement contraires aux vents autochtones. La question de la normalisation avec l’entité sioniste va de nouveau se poser, avec acuité, et il faut craindre qu’à l’avenir, elle risque de remplacer celle de la cause palestinienne.  L’Algérie et la Tunisie devront s’y préparer. Le Maghreb est déjà une région vulnérable à cause des tensions entre le Maroc et l’Algérie autour du Sahara occidental, ce litige de plusieurs décennies qui envenime les relations dans la région et affaiblit autant l’un que l’autre des deux pays. Les deux voisins de l’Ouest s’exposent aux avidités et aux calculs géopolitiques intéressés alors que leur rapprochement et leur réconciliation apporteraient la prospérité et la sérénité pour l’ensemble du Maghreb arabe.µ
Dans ce contexte perturbé et incertain – certaines parties intéressées et inamicales font circuler l’idée d’une « imminente » guerre entre l’Algérie et le Maroc – la Tunisie est prise en étau. En crise économique et financière lancinante, affaiblie par une décennie post-révolution chaotique et un virage politique controversé en 2021, les interférences étrangères sont à l’œuvre. On en a eu des exemples surtout sur les réseaux sociaux au cours du dernier scrutin présidentiel. Comment pourrait-il en être autrement ?
L’exemple de la Syrie doit nous faire prendre conscience que les braises ne s’éteignent pas sous les cendres et qu’à la moindre inattention, le feu reprend. Comme le dit l’adage, « mieux vaut prévenir que guérir », s’immuniser contre les imprévus intérieurs et extérieurs. Pour cela, il n’y a qu’une seule manière : préserver la cohésion, le dialogue, le partage des responsabilités dans la gestion de la chose publique et bannir l’exclusion, afin de faire revenir la confiance, principale condition pour préserver la paix sociale et renforcer l’immunité du pays.

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