Une grande partie des 104 entreprises publiques connaît de grandes difficultés financières malgré le soutien multiforme de l’Etat. Le montant total du déficit assumé par ces entreprises a atteint fin 2019, 7 milliards de DT, devenant de la sorte insoutenable par le Budget de l’Etat, outre ses conséquences dommageables sur les banques publiques et les caisses sociales tenues de soutenir ces entreprises.
Les expédients auxquels ont eu recours les différents gouvernements jusqu’ici ne peuvent plus se poursuivre en raison de l’urgence des problèmes et de l’acuité des difficultés.
Le projet présenté par le gouvernement sortant pour réformer ces entreprises porte sur un changement de gouvernance des entreprises publiques avec un cahier des charges, une réforme fondée sur la recapitalisation avec définition d’un programme de restructuration et des objectifs à atteindre.
La réforme des entreprises publiques implique le recours à différentes options : dissolution pure et simple, vente partielle ou totale à des investisseurs privés selon un cahier des charges et un appel d’offres, ou encore sauvetage par injection de capitaux, restructuration et relance de l’activité tout en gardant le statut actuel.
Le choix entre l’une ou l’autre de ces options dépend d’un diagnostic, un audit ou une étude approfondie.
Les entreprises publiques stratégiques méritent un traitement spécifique et une priorité absolue en raison du rôle vital qu’elles assument dans la vie socio-économique quotidienne du pays.
A ce propos, il faudrait s’entendre sur la définition du périmètre des entreprises stratégiques : celles qui assument un rôle vital dans le fonctionnement de l’économie et assurent le bon déroulement de la vie en société.
Exemple : produire et distribuer l’électricité et l’eau potable, veiller sur l’assainissement et les transports en commun, assurer la sécurité sociale sont autant de secteurs stratégiques qui relèvent de la responsabilité de l’Etat.
Cependant, la production du ciment, la fabrication des cigarettes ou des médicaments ne relèvent pas forcément de la responsabilité de l’Etat, d’autant plus qu’il essuie un échec en la matière. C’est bel et bien le rôle des investisseurs privés qui veillent jalousement sur la rentabilité de la gestion et assurent les investissements nécessaires à ces entreprises. Pourquoi pas du moment qu’ils paient les impôts en conséquence…
La priorité absolue devrait être accordée à la STEG, El Fouladh, la SN. Cellulose de Kasserine, la SONEDE, la SNCFT, la Transtu, la STIR, Tunisair, les caisses sociales.
Deux tentatives de réforme entamées méritent d’être citées, celles d’El Fouladh, sidérurgiste national et complexe industriel historique et Tunisair, un fleuron du transport aérien.
Pour El Fouladh, l’étude diligentée par les pouvoirs publics avait recommandé le recours à un partenaire stratégique extérieur qui serait minoritaire au capital mais responsable de la rénovation et de la relance de l’activité. Est-ce logique ?
Cependant, l’investisseur italien avait présenté une offre financière dérisoire, rejetée par les autorités. En revanche, l’UGTT avait proposé une solution nationale : l’injection de capitaux étatiques pour investir dans le renouvellement des équipements obsolètes de l’usine et reconquérir le marché. Statu quo !
Le plan de relance de la compagnie Tunisair est connu depuis des mois : alléger la masse salariale (licenciement de 1200 agents), rénovation de la flotte par recours au leasing, réaménagement du réseau de dessertes régulières et remise en état des huit avions immobilisés grâce à 50 MDT pour l’acquisition des PR. Ce qui manque, c’est la volonté politique de l’Etat pour sauvegarder un fleuron du tourisme et de l’économie tunisienne grâce à l’injection des capitaux nécessaires, une urgence absolue encore ignorée à ce jour.
Il y a eu souvent des erreurs et des maladresses lorsque la question de la réforme des entreprises publiques a été abordée par les pouvoirs publics avec des annonces portant sur la vente éventuelle de certaines entreprises comme la RNTA.
Ce qui a provoqué l’évocation de la « ligne rouge à ne pas dépasser » par les responsables de l’UGTT chaque fois que l’on parle d’une privatisation possible ou encore mieux, de la vente de certaines entreprises publiques convoitées par des investisseurs privés.
L’expérience relativement réussie de la restructuration des trois banques publiques en 2016 pourrait-elle servir de modèle pour la réforme et le sauvetage des autres entreprises publiques en difficulté ?
Il faudrait rappeler que l’opération a été menée tambour battant par le gouvernement de l’époque avec diagnostic-audit, recapitalisation significative à travers un fonds de soutien aux banques mais aussi un programme de restructuration et de réorganisation de la gouvernance des banques, un programme d’assainissement financier et des objectifs à atteindre sur quatre ans en matière de ratios prudentiels et de maîtrise des risques (normes de Bâle II).
Il faut dire qu’il y a un véritable problème de gouvernance qui est à l’origine de la situation dans laquelle se trouvent les entreprises publiques.
La responsabilité est en fait partagée entre les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années et les gestionnaires des entreprises publiques elles-mêmes.
La mauvaise gestion budgétaire tolérée par les uns et les autres qui a fait assumer par les entreprises la compensation due par l’Etat d’une part, et d’autre part les sureffectifs massifs de personnel imposés par la Troïka durant trois ans, ont fini par abattre la rentabilité et l’équilibre financier de l’ensemble.
La solution idoine consisterait à créer une commission présidée par le représentant de l’Etat avec la participation de l’UTICA et de l’UGTT pour étudier au cas par cas et adopter la solution la plus efficace au niveau de l’intérêt supérieur de la nation.
Il s’agit d’un programme ambitieux, difficile à réaliser à moyen et long termes (5 à 8 ans) et qui sera très coûteux sur tous les plans. Les investissements nécessaires sont de l’ordre de 8 à 10 milliards de dinars, compte tenu de la revalorisation des actifs des entreprises.
Les licenciements porteront sur environ 50.000 emplois, mais avec des recrutements de jeunes diplômés du supérieur par la suite en fonction de nouveaux investissements et besoins en compétences techniques et technologiques.
Mais nous aurons un tissu entrepreneurial sain, performant et équilibré grâce à l’émergence de partenariats public-privé.
Ce qui est inadmissible et grave, c’est que le nouveau gouvernement temporise et tarde à décider, alors que l’heure est grave.
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