Y a-t-il aujourd’hui une instrumentalisation de la religion dans la politique et est-elle restreinte aux partis déclarés islamistes?
Dans un pays où la Constitution ne sépare pas la religion de l’État, (peu importe le nom qu’on donne à cette neutralité) la religion est forcément instrumentalisée par la politique. À raison, dit-on, l’article premier stipule que l’islam est la religion de la Tunisie et non de l’État, mais ceci n’empêchant pas cela, l’instrumentalisation est implicitement admise, à moins que l’on dise que l’État, «gardien de la religion» (article 6), ne fait pas de politique mais de l’ingénierie religieuse ! D’ailleurs, la Constitution n’interdit pas l’utilisation des mosquées à des fins politiques, mais tout au plus partisane : l’État «garantit… la neutralité des mosquées et des lieux de culte de toute instrumentalisation partisane». Allez savoir quand un sermon fait de la propagande strictement politique, au service de personne ! Tout se passe en fait comme s’il y avait une «bonne» et une «mauvaise» utilisation de la religion. La bonne, celle de l’État qui gère les affaires religieuses pour le compte des tiers, la «mauvaise» celle intéressée des politiciens. Ceux-ci se répartissent en fait en deux catégories, les islamistes et les non islamistes. Or, autant les islamistes sont suspectés de manipuler la religion à des fins politiques (et inversement, de mettre la politique au service de la religion), autant les non islamistes rassurent même quand ils se référent à la religion. C’est la différence entre Ghannouchi qualifié de «cheikh» même quand il parle de pure politique (il lui arrive de se perdre en citant le Coran) et Béji Caïd Essebsi, un homme politique qui émaille systématiquement ses discours de versets appropriés. Bref, l’un utilise la religion comme idéologie, l’autre comme culture.
Est-ce une manipulation électorale?
L’instrumentalisation recourt à tous les registres : normatif (la charia comme référent, pas forcément comme programme politique), organisationnel (un parti de Dieu ou assimilé), cultuel (se servir des mosquées et autres institutions), symboliques (les codes et les expressions religieuses, l’iconographie et les images). Il y a de la représentation dans ce dispositif : il faut paraître un homme de piété sans être un homme de religion et un politicien non politicard, comme si on venait d’ailleurs, d’une sphère éthique et non politique. Et ça marche !Particulièrement lors des périodes électorales où l’on observe un regain de piété suspect, une surenchère religieuse creuse et une rigueur morale hypocrite.
Quelle en est l’influence sur la vie politique?
Je n’y vois qu’une influence néfaste. Il n’y a rien de bon à tirer du discours religieux en politique sauf quand il est utilisé à des fins d’édification morale. La religion consiste à rendre les hommes meilleurs alors que la politique ne cherche que leur bien-être terrestre. Sans doute une société hors religion (c’est-à-dire sans tradition y compris les religions asiatiques non monothéistes) est proprement impossible ; mais confondre la sphère politique et religieuse en faisant de la politique une affaire cléricale ne rend ni le croyant meilleur ni le citoyen plus civique.
Propos recueillis par Hajer Ajroudi