Votre décision de ne soutenir aucun candidat est-elle une perche tendue à Nidaa Tounes afin de participer à un gouvernement d’union nationale ?
Ennahdha est prêt pour un gouvernement d’union nationale et cette décision pourrait la faciliter, néanmoins, elle n’est pas la seule raison de notre choix. La raison principale est que nous avons décidé de rester à égale distance de tous les candidats et d’ailleurs aucun candidat n’a sollicité notre soutien. Même la tentative de Mustapha Ben Jâafer concernant le choix d’un candidat consensuel a échoué.
Certains assurent que ce choix, la neutralité, est une façon de permettre à vos électeurs de voter pour Moncef Marzouki, qu’en est-il ?
Chacun sera libre de choisir, c’est même une expérience originale et cela sera peut-être la première fois dans l’histoire politique.
Ennahdha aujourd’hui connaîtra-t-il des réformes consistant en premier lieu à rompre avec l’islam politique ?
Nous avons déjà commencé à évoluer, chacun a dû constater notre changement lors de la campagne électorale et notre discours était différent. Ennahdha est conscient de la nécessité de son développement afin de coller plus à la société tunisienne et de répondre à ses besoins. Nous abordons une nouvelle étape du mouvement qui s’oriente vers les exigences des Tunisiens qui sont le développement, la lutte contre le chômage, l’épanouissement, etc.
Avez-vous des exigences quant aux ministères à diriger si vous participez à un gouvernement d’union nationale ?
Nous souhaitons diriger des ministères proches du citoyen et qui sont à son service. Mais ce sujet restera à discuter avec nos partenaires au cas où l’on nous proposerait d’intégrer un gouvernement d’union nationale. L’essentiel est que le gouvernement puisse avoir lieu sur une base politique, nous ne voulons plus obéir au principe des quotas partisans que nous avons essayé et dont nous avons payé le prix.
D’un côté Ennahdha avait le choix entre, d’un côté, soutenir la candidature de Béji Caïd Essebsi ou, du moins, rester neutre, pour pouvoir constituer une alliance avec Nidaa Tounes et entrer dans le gouvernement, mais cela lui vaudrait peut-être la perte de sa base électorale et provoquer des dissensions dans ses rangs. D’un autre côté, afin de conserver cette dernière, le mouvement aurait pu choisir un candidat autre que Béji Caîd Essebsi et rester dans l’opposition, était-ce une impasse ?
Je ne vois pas d’impasse politique, ou de piège. Les résultats des élections ont donné au mouvement un positionnement confortable lui permettant d’entrer dans un gouvernement d’union nationale comme nous le demandons et comme nous l’avons déclaré avant les élections. Lors de l’année passée, nous avons parlé d’un gouvernement d’union nationale pour gouverner durant les cinq prochaines années. Ennahdha peut aussi choisir de rester dans l’opposition et de ne pas entrer dans le gouvernement. Le pourcentage obtenu permet au mouvement d’être une force de poids dans l’opposition. Donc il n’y a aucune impasse politique.
Nous n’avons pas présenté de candidat pour la présidentielle et nous ne le regrettons pas, car nous persistons à croire que cela aurait divisé le pays encore plus et aurait occasionné une profonde bipolarisation et cela a d’ailleurs été confirmé par l’issue des législatives qui ont divisé le pays, entre le sud et le nord et nous considérons que cette division est dangereuse. Cette configuration se serait approfondie si Ennahdha avait été présent dans la course présidentielle. C’est ce que nous ne voulons pas et c’est la première raison qui nous a empêché de présenter un candidat. Le pays ne supporte pas une trop grande bipolarité.
En annonçant la neutralité, avez-vous choisi une alliance avec Nidaa Tounes plutôt que d’être dans l’opposition ?
Notre ligne politique n’est pas une alliance, mais elle est de faire partie d’un gouvernement d’union nationale si on nous le proposait et si la proposition était claire et acceptable.
Notre réflexion s’est faite autour du candidat à soutenir. Le conseil a discuté la question et a demandé au Bureau exécutif de rassembler plus d’informations et de contacter les parties politiques concernées pour pouvoir prendre une position claire et définitive quant à l’élection présidentielle.
Avez-vous discuté du soutien à Béji Caïd Essebsi ?
Béji Caïd Essebsi n’a pas demandé notre soutien, mais il a souhaité que le mouvement devait être neutre et ne soutenir personne. Il y’a une frange au sein du mouvement qui pense que nous devons soutenir un candidat pour empêcher la domination d’un seul parti sur les trois pouvoirs, une autre partie soutient la neutralité.
Moncef Marzouki est-il le candidat le plus proche de vous ?
C’est un candidat comme un autre. Tous les noms ont été discutés et nous n’avons écarté aucun nom de la liste. Quelques adhérents à Ennahdha se sont joints, par la présence ou par l’adhésion, aux campagnes de certains candidats, dont Moncef Marzouki, mais cela reste individuel. Ce n’est pas une position officielle du mouvement. Nous n’avons aucun problème, ni différend, avec Moncef Marzouki.
Un candidat soulève des interrogations et il est accusé de populisme et d’utiliser beaucoup d’argent en politique dont la source serait inconnue, il s’agit de Slim Riahi. Quelle est votre position concernant sa candidature ?
Slim Riahi est un nouveau phénomène dans la vie politique tunisienne. Personnellement je ne peux pas, comme homme politique, le juger. On entend des accusations dans les médias… mais ce qui est sûr, c’est qu’il est arrivé à des secteurs et des couches de la population que d’autres hommes politiques n’ont pas pu atteindre. Sa présidence du Club africain lui a permis d’être à proximité des jeunes. Parler d’argent prouve qu’il est arrivé à une catégorie de démunis de la population que les politiques classiques n’ont pas pu atteindre. On traite avec lui comme avec les autres, présidant un parti et ayant un nombre respectable de sièges au sein de l’Assemblée. Son nom était parmi les 27 noms que nous avons discutés.
Est-il possible de voir au sein de la future Assemblée une alliance ou un bloc entre l’Union patriotique libre et Ennahdha si ce dernier choisit d’être dans l’opposition et que vous vous y trouvez ?
Il n’existe pas d’alliance dans l’opposition. Si l’on choisit l’opposition, alors Ennahdha sera un bloc indépendant. On peut converger dans les votes, mais nous ne formerons pas un bloc.
Des dirigeants au sein d’Ennahdha assurent que le mouvement ne devrait pas permettre la domination d’un seul parti sur la scène politique. Ce discours, n’est-il pas opposé au discours consensuel ?
Au contraire, notre discours est d’accepter l’orientation vers un gouvernement d’union nationale. La non-domination est caractérisée justement par un gouvernement d’union nationale dans lequel il y aura Ennahdha avec une position en rapport avec son poids. Le choix d’un président de l’Assemblée qui ne soit pas être issu du parti au pouvoir est aussi une garantie contre la domination.
Notre ligne politique est claire : participer à un gouvernement d’union nationale ne nous pose aucun problème. Si Béji Caïd Essebsi accède à la présidence sans notre soutien direct, il ne nous en tiendra pas rigueur, ce n’est pas son genre, il veillera plutôt à l’intérêt national. Je n’imagine pas qu’il réagisse ainsi, ni qu’il nous marginalise.
Ennahdha et la présidentielle: Les dessous d’un non-choix
Entretien avec Alaya Allani: L’islam politique est derrière nous
Par Hajer Ajroudi