Qu’est-ce que c’est qu’être de gauche aujourd’hui ?
La gauche tunisienne remonte à 1920, lorsqu’a été créée la première fédération du parti communiste français en Tunisie. Le parti communiste tunisien n’a été vraiment indépendant et n’a pris de la distance par rapport à la fédération du parti communiste français qu’en 1935. C’est en 1935 qu’est né véritablement le Parti communiste tunisien (PCT). Ce parti a bel et bien participé à la lutte nationale. Il a été interdit par le régime de Vichy. Après l’Indépendance, le PCT a été interdit par les différents gouvernements et notamment par le régime de Bourguiba. Après l’obtention de l’Indépendance, le sixième congrès du parti, tenu du 29 au 31 décembre 1957, a adopté un nouveau programme. Cependant, dans la foulée de la découverte d’un complot visant à assassiner le président Bourguiba, les publications du parti ont été suspendues le 31 décembre 1962. Le 6 janvier 1963, le parti est interdit par décision administrative, devenue judiciaire le 23 janvier. Certains de ses membres sont persécutés par les autorités : quatorze militants sont ainsi condamnés à des peines de prison en septembre 1968 lors du grand procès du mouvement “Perspectives”.
En 1981, lorsque les socialistes en France accèdent au pouvoir, Bourguiba s’est dit : «tiens, pourquoi ne pas se rapprocher du parti communiste ?». Pour ce faire, il a convoqué Mohamed Harmel en lui disant : «il y a longtemps que l’on ne s’est pas vus, qu’est-ce que vous devenez ?» Mohamed Harmel, pour la petite histoire, lui répondit : «Mais, monsieur le président vous nous avez interdits ! ». Bourguiba rétorquait aussitôt : «Ah bon ?! Eh bien on va lever l’interdiction». En juillet 1981, l’interdiction relative au PCT était ainsi levée. En 1992, le parti abandonnait tout ce qui faisait les dogmes du communisme : la dictature du prolétariat, le principe du parti unique, le centralisme démocratique, etc. En 1993, le parti prend le nom d’Ettajdid. Durant les élections de l’Assemblée nationale constituante (ANC), s’opère la mise en place d’une coalition prenant le nom d’El Kotb El Hadathi (Le pôle démocratique). Ensuite, en 2012, Ettajdid devient El Massar (la voie du progrès social) en absorbant des indépendants où des acteurs venant du monde associatif tels que Fadhel Moussa, expert juridique.
Comment situer El Massar dans le spectre de la gauche tunisienne ?
Parallèlement au parcours d’El Massar, il y a d’autres forces politiques de gauche qui n’ont pas assoupli leur position et sont restées radicalisées autour, en fait, d’un certain nombre de dogmes dont celui de l’État-providence. Ce qui différencie la droite de la gauche, c’est le taux d’interventionnisme de l’État sur le plan économique. Une partie de la gauche qui tend vers la social-démocratie a mis de l’eau dans son vin et donc se rapproche des arcanes du gouvernement. Cette partie a assoupli ses positions, notamment par rapport à l’initiative privée et est pour le capitalisme national. Cette frange est pour l’encouragement des créateurs d’entreprises. Elle est allée même jusqu’à faire, dans la banlieue nord de Tunis, des business clubs afin d’aider les jeunes promoteurs tunisiens à lancer leur propre affaire. Néanmoins, cette gauche plus libérale est contre la prolifération des sociétés étrangères qui exportent toute la valeur ajoutée à l’étranger. D’ailleurs, la sécurisation de l’économie n’est pas l’apanage du Front populaire, mais également de la gauche représentée par El Massar. Contrairement donc à la plus radicale, la gauche représentée par El Massar est pour un partenariat et non pas une haine viscérale, entre le secteur privé et le secteur public. Son but ultime est de sortir le pays de son sous-développement.
Quelle est la position de la famille de gauche par rapport à la dette du pays ?
Il y a en effet plusieurs réponses politiques à cette question. Certains vous diront que la dette, on ne la reconnaît pas, on s’assoit dessus parce qu’elle a été contractée par des gens appartenant à l’ancien système et qui sont connus par leur mauvaise gestion, pour ne pas dire autre chose. D’autres mettront l’accent sur le manque de transparence au niveau des emprunts de cet argent à l’époque de Ben Ali. Tout compte fait, aujourd’hui que l’on soit de la première partie ou de la seconde, ne pas reconnaître la dette du pays ou encore tenter de la gérer en appliquant la méthode de la tabula rasa ne peut que rétrécir la crédibilité financière du pays sur le plan international. La meilleure solution en ce qui concerne la dette est de négocier avec les créditeurs au cas par cas, demander aux pays occidentaux qui veulent aider la Tunisie un moratoire. Ensuite, examiner des conditions de reconversion de cette dette dans des projets d’investissement. Ces derniers doivent être choisis par les responsables politiques du pays et non pas imposés par les États occidentaux afin de vendre leur “camelote.”
Propos recueillis par Mohamed Ali Elhaou