Épître aux Pharisiens

 L’unanimisme est loin d’être une obligation sacrée à fortiori lorsqu’il s’agit de s’exprimer sur un fait politique majeur ; le 25 juillet 2021 constitue un séisme dont les retombées sur le destin national justifient les divergences d’opinions qu’il suscite, en particulier au sein de l’élite intellectuelle du pays.
Ce qui est tout de même gênant, mais si prévisible, c’est que la secte des Pharisiens s’émeuve à ce point et fasse, une fois de plus, l’étalage de son hypocrisie patentée. Même si celle dont nous traiterons n’est pas apparentée à la secte juive de l’antiquité et dont le Christ, lui-même, pourfendait le formalisme et la piété ostentatoire, elle en partage les mêmes travers et notamment une mauvaise foi redoutable.
A l’annonce des mesures présidentielles du 25 juillet, les Pharisiens ont sonné la charge du respect de la Constitution et des institutions et se sont répandus dans tous les médias au cri de Haro au coup d’Etat. Ils l’ont fait  avant même de lire sérieusement l’article 80 de la Constitution ou d’analyser les mesures présidentielles édictées : l’occasion était trop belle et on leur offrait sur un plateau la possibilité de déverser leur fiel et d’exhiber leur puritanisme de façade.
A les écouter, nous vivions depuis une décennie sous le règne d’une démocratie irréprochable, avec une vie parlementaire respectable et un fonctionnement normal des institutions. Il faut croire que l’encens et les liturgies dans lesquels sont plongées les réunions de la secte des Pharisiens embuent sa vision et étourdissent ses sens au point de s’imaginer  vivre au pays d’Alice aux pays des merveilles.
S’ils n’étaient pas dans cet état second, les Pharisiens auraient vu que la Tunisie était sur le point de couler corps et âmes par le fait d’une autre secte, bien plus dangereuse que la leur, car usant de la religion pour mener ses noirs desseins.
S’ils étaient plus honnêtes, les Pharisiens auraient reconnu que laisser ces hyènes dépecer ce qui reste de nos institutions étatiques n’était plus possible.
S’ils avaient du cœur et un peu de patriotisme, les Pharisiens auraient compris que les Tunisiens étaient à l’agonie et qu’il était vital d’agir.
S’ils étaient lucides, les Pharisiens auraient compris, dès le soir du 25 juillet, que l’explosion de joie à travers tout le pays n’était ni feinte ni provoquée mais l’expression conjointe d’un ras-le bol général et d’un immense espoir.
Au lieu de cela, les représentants médiatiques de la secte des Pharisiens, les défenseurs de la pureté constitutionnelle n’ont vu qu’un vulgaire «Pronunciamiento» et l’annonce d’une dictature nouvelle.
Pour eux, sauver un Etat de la dislocation et éviter qu’un peuple ne sombre dans le chaos ne pèsent rien devant la lettre d’un article d’une Constitution détestable et bâclée destinée à asservir le pays à un parti sectaire et malfaisant.
Quand on entend, un des gourous des Pharisiens, Yadh Ben Achour, s’improviser en expert de Droit constitutionnel, alors qu’il enseigna, essentiellement, celui administratif, pour porter des accusations graves de putsch avec préméditation au Président Saïed, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi était-il muet comme une carpe quand le parti de Ghannouchi bafouait tous les principes de la vie démocratique par son financement occulte, sa main mise sur les institutions judiciaires, et son avilissement de la vie parlementaire.
Quand des députés femmes à plusieurs reprises furent agressées et humiliées par des voyous au sein de l’ARP, quand cette dernière se transforma en cloaque pourrissant toute la vie politique, que faisait notre grand professeur ? De la méditation métaphysique ou du scrabble ?
N’aurait-il pas fallu condamner avec la virulence dont il est capable cette dérive et appeler au respect des règles élémentaires de la vie démocratique ?
Sortir de sa sieste, aujourd’hui, pour donner des leçons fallacieuses de droit constitutionnel relève d’un pharisaïsme de mauvais goût et ne fait que confirmer mes doutes après le passage peu glorieux de Ben Achour à la tête de la fameuse Haute Instance de Protection de la Révolution, haut-lieu de l’exclusion politique et du populisme s’il en est.
Je reste cependant optimiste : une fois que notre professeur aura parcouru sérieusement le rapport de l’inspection générale du ministère de la justice sur les agissements du magistrat Béchir Akremi, lorsqu’il aura le loisir de lire les procès-verbaux des enquêtes judiciaires qui ont été lancées depuis un certain 25  juillet, il n’est pas exclu qu’il ne parle plus de coup d’Etat à tort et à travers et qu’il se mette à trouver dans le geste salvateur du président Saïed quelques mérites.
Enfin, de grâce, que le professeur Ben Achour s’élève un peu en évitant d’évoquer, à tout bout de champ, l’ancien statut d’assistant en Droit du chef de l’Etat car cette forme de condescendance ne l’honore guère.
Ce que le Président Saïed a entrepris, à savoir nous débarrasser de l’hydre islamiste, vaut bien plus que tous les doctorats ou agrégations de Droit du monde. En tout état de cause, il aura, lui au moins, renoncé à être le spectateur béat et le complice du naufrage d’une nation.

 Avocat et éditorialiste

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