Equité fiscale : La recette de la Banque mondiale

Le rapport de la Banque mondiale, « Équité et efficacité du système fiscal tunisien », récemment publié sur la Tunisie  est venu à point nommé. Il doit « éclairer » le débat actuel sur la réforme fiscale, objet du projet de loi de Finances 2025.

Par Bechir Ben Mohamed

Le rapport met l’accent sur l’impératif de relancer les investissements pour soutenir la croissance économique et renforcer la concurrence, talon d’Achille de l’économie tunisienne, selon l’institution de Bretton Woods. Cette dernière estime que les difficultés de la Tunisie tiennent au « déclin de la croissance économique associé à une baisse marquée des taux d’investissement et d’épargne, en particulier après 2010, d’une baisse des investissements qui limite la capacité d’un pays à importer des technologies modernes et à les diffuser à un niveau national ».
Toutefois, l’un des enjeux majeurs auxquels est confronté le pays réside dans la mobilisation des financements appropriés pour atteindre les objectifs escomptés, dans un contexte où la Tunisie a choisi délibérément de s’orienter plus vers des sources de financement internes. Cette tendance risque de canaliser une part croissante des liquidités des banques vers l’Etat aux dépens du reste de l’économie, ce qui ne saurait favoriser le retour de la croissance et l’investissement privé.
Dans ce contexte, le remède consiste à développer le système fiscal, soulignant l’importance d’un meilleur équilibre entre la fiscalité sur le travail et celle sur le capital. Il est question de « rééquilibrer la fiscalité entre les revenus du travail et ceux du capital, tout en utilisant plus efficacement les impôts indirects, ce qui pourrait améliorer l’efficacité et l’équité du système fiscal tunisien », précise le rapport.
En effet, selon la Banque mondiale, la charge fiscale sur le travail, associant fiscalité et cotisation sociale, est relativement accablante même pour les revenus modestes, ce qui est de nature à encourager le secteur informel et à ne pas favoriser l’emploi. « Les recettes fiscales ont augmenté plus vite que l’économie au cours des deux dernières décennies grâce à la croissance des impôts sur les personnes physiques alors que l’impôt sur les sociétés a diminué en proportion des recettes totales et du PIB, en raison de la réduction du taux d’imposition légal », conclut le rapport. En revanche, le facteur capital bénéficie de plusieurs avantages et exonérations sur diverses sources, ce qui réduit sa contribution aux recettes fiscales et alimente les inégalités de revenus.
La recommandation de la Banque mondiale est d’assurer un rééquilibrage de la structure fiscale et un renforcement de la taxe carbone. La finalité étant d’instaurer un cadre économique plus stable et durable. En parallèle, le ciblage des incitations aux fins de réduire le coût de la main-d’œuvre pour les jeunes entreprises innovantes, couplé à une transparence plus renforcée, et à une équité des impôts indirects, serait à même de redynamiser l’investissement et corriger les externalités négatives.
Plus concrètement, la Banque mondiale recommande une série de mesures pour remédier à l’iniquité et renforcer les recettes fiscales en Tunisie. Il s’agit essentiellement de renforcer les impôts fonciers, introduire une taxe carbone, rationaliser les exonérations et réduire les taux, notamment pour l’impôt sur le revenu du capital, alléger l’imposition des revenus du travail pour les faibles revenus, et augmenter la progressivité de l’impôt sur le revenu, améliorer l’utilisation des impôts indirects en supprimant par exemple les taux réduits de TVA pour les biens de luxe, renforcer l’administration fiscale, et promouvoir un dialogue transparent et inclusif avec les contribuables pour assurer leur adhésion à la réforme fiscale.

Quelle comptabilité avec les choix publics ?
Si la plupart des thérapeutiques faites par la Banque mondiale ne sont pas « originales », le plus important est de savoir si elles vont dans le même sens que les propositions de réforme fiscale inscrites dans le projet de loi de Finances 2025.
D’une part, les visions convergent pour ce qui est de l’augmentation de la progressivité de l’impôt sur le revenu, l’allégement de la fiscalité sur les revenus du travail pour les faibles revenus moyennant la révision du barème de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, l’amélioration de la fiscalité indirecte sur certains biens de luxe.
De l’autre côté, toutefois, la philosophie de la Banque mondiale et celle du gouvernement divergent foncièrement. La BM est aux antipodes de certains points névralgiques. Le projet de loi de Finances a emprunté une voie opposée en préservant le système des exonérations et en augmentant le taux de l’impôt sur les sociétés. Tant s’en faut, le système de taxation des sociétés a été radicalement modifié par l’indexation des taux d’imposition sur le chiffre d’affaires des entreprises. Faut-il rappeler que le taux d’imposition de droit commun des sociétés a été unifié à 15% en vertu de la loi de Finances 2021. Sur le registre écologique, le PLF 2025 ne prévoit pas de taxe carbone, mettant la fiscalité environnementale à la traîne des meilleures pratiques fiscales internationales et à l’encontre des problèmes écologiques, voire des engagements internationaux de la Tunisie.
Pis encore, le dialogue fiscal avec les citoyens, les travailleurs et le secteur privé, vivement souhaité par la Banque mondiale, ne semble pas être encore au rendez-vous.
Somme toute, le diagnostic de la Banque mondiale sur l’équité fiscale est juste en ce sens que la charge fiscale sur le revenu est pour l’essentiel assise sur le facteur travail, notamment salarié, et qu’il exige, indubitablement, une réforme vers un déplacement du poids de la fiscalité du travail vers d’autres assiettes fiscales plus porteuses de richesse.
Au-delà, la réforme fiscale demeure un défi majeur en Tunisie. Le pays n’a pas vraiment besoin de « conseil » pour réformer tant que les voies de réforme sont claires. Ce qui importe le plus, c’est une volonté ferme de réformer, une stabilité fiscale et un pragmatisme qui considèrent les équilibres budgétaires et économiques. C’est l’autre sens de l’équité à rechercher aux côtés de l’équité entre le travail et le capital. Faut-il savoir prioriser, doser et réformer ?

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