En plébiscitant la liste de l’unité syndicale qui a permis à Noureddine Tabboubi de succéder à Houcine Abassi à la tête de l’UGTT, les syndicalistes ont opté pour la voie de la continuité, celle-là même qui a permis aux travailleurs d’engranger de grands acquis et à la Centrale syndicale de monter au créneau à travers une action menée sur les fronts politique, économique et social.
Cependant, la nouvelle équipe aura la lourde tâche de poursuivre son action à un moment où le pays traverse une crise économique et financière sans précédent, où les entreprises publiques caracolent des déficits abyssaux, l’investissement est encore hésitant, la confiance tarde à se restaurer et les revendications sociales n’ont cessé de gagner en intensité.
Après six ans d’une contestation sociale qui n’a observé presque pas de répit, mené le pays à la ruine, fait fuir les investisseurs, entraîné une baisse catastrophique de la production et de la productivité, la nouvelle équipe présidée par Tabboubi pourrait-elle continuer sur la même ligne ? Tout le monde est conscient que la politique du bras de fer, des revendications salariales excessives et du blocage de la machine économique a produit plus de mal que du bien pour la Tunisie en général et pour les travailleurs en particulier. Outre l’allongement des rangs des chômeurs parmi les jeunes et notamment les diplômés de l’enseignement supérieur, les augmentations successives dans les salaires dans un contexte de récession générale n’a pas produit l’effet souhaité, puisque le pouvoir d’achat n’a fait que s’éroder, la compétitivité des entreprises de baisser et l’attractivité du site tunisien des affaires de faiblir. Les dégâts engendrés par six ans de gestion laxiste de la chose publique dont la responsabilité incombe aussi bien aux acteurs politiques, économiques que sociaux, ont eu pour corolaire aujourd’hui un pays presque au bord de la faillite. Un pays pris dans l’engrenage de l’endettement, non pour créer de la richesse, mais pour servir les salaires, combler le déficit abyssal des caisses de sécurité sociale, remettre le secteur de la santé en marche, réformer le secteur de l’éducation et de l’enseignement défaillants tout en redirigeant d’importantes ressources pour lutter contre le terrorisme et rétablir la sécurité dans le pays.
A l’évidence, même si les premières déclarations du nouveau Secrétaire général de l’UGTT ne laissent pas présager une mutation de fond en comble dans les méthodes d’action de la Centrale syndicale, s’agissant notamment de la défense des intérêts des travailleurs et de l’influence de la vie politique et économique, il n’en demeure pas moins vrai que la gravité des problèmes en suspens exige un changement de cap. Pour son intérêt, celui du pays et ceux des travailleurs, certains dossiers explosifs ne laisseraient pas la nouvelle direction insensible ni de maintenir une attitude inflexible.
Tel est le cas de la problématique complexe de l’équilibre financier des caisses de sécurité sociale qui exige une stratégie de sauvetage urgente et concertée, loin des polémiques stériles et des surenchères improductives. Il fallait, en effet, que tout le monde consente à chercher une solution consensuelle qui éviterait la faillite du système et épargnerait le budget de l’Etat actuellement sous pression de continuer à financer ce déficit. Il en est de même pour la question du sureffectif dans la fonction publique, de la situation parfois désastreuse que connaît certaines entreprises publiques, la mise en œuvre des réformes du système d’éducation et d’enseignement … qui nécessitent invariablement un dialogue sérieux et responsable et la recherche des voies du compromis, non de l’exacerbation des tensions et des pressions que le pays n’a plus les moyens de supporter les frais.
Dans cette phase cruciale que traverse le pays, la création d’emploi, la relance de l’investissement, le développement des régions, la réponse aux attentes des personnes vulnérables passent inévitablement par la prise en considération de ces impératifs, l’acceptation d’établir une échelle de priorités et de l’adaptation de l’action syndicale au contexte national. Manifestement, l’UGTT est appelée, plus que jamais, à rester une force d’équilibre, de réajustement et de défense des intérêts du pays et des travailleurs, non de confrontation et de contestation qui se sont révélées destructrices et contre-productives.
Le congrès de l’UGTT a remis la question du renouveau syndical au goût du jour. Un renouveau qui doit redonner au travail sa juste valeur, à l’effort ses vertus cardinales, à la paix sociale sa véritable dimension et qui fait de l’entreprise un véritable lieu de production et de création de richesse. Le moment est aujourd’hui propice pour que l’UGTT, qui a toujours assumé une responsabilité historique dans le pays, pour rebondir et conforter son positionnement et son poids, en poussant pour la réalisation des objectifs qui ont été à l’origine du déclenchement de la Révolution de 2011, non en se prévalant de toute sa force pour imposer le diktat.