Malgré le grand soutien dont le gouvernement a été crédité suite à l’opération de chasse qu’il a engagée subitement contre les grands barons de la contrebande et quelques figures impliquées dans des affaires de corruption, on a l’impression que la pression a fini par se relâcher rapidement et la grande purge annoncée s’est limitée jusqu’à aujourd’hui à un petit groupe de dix personnes. Les espoirs suscités par l’effet d’annonce et par les engagements pris par le gouvernement d’aller jusqu’au bout, semblent s’essouffler. Depuis, les informations sont distillées au goutte à goutte et la rumeur prend le dessus en l’absence d’une communication bien conçue et transparente. Pourtant, dans tous les pays qui ont réussi à mettre les réseaux mafieux hors d’état de nuire, la guerre qu’ils ont déclenchée a été à la fois continue et totale et pour convaincre l’opinion publique de la portée de cet engagement, ils ont mobilisé des moyens conséquents et ont tenu l’opinion publique pour témoin à travers une communication qui a renforcé la confiance et dissipé la peur.
L’organisation d’une conférence de presse par trois ministres à la Kasbah plus d’une semaine après et l’interview accordée par Youssef Chahed, Chef du gouvernement à deux journaux de la place, n’ont pas permis d’élucider le mystère. Point de réponses claires, juste quelques bribes d’informations et des déclarations d’intention qui nous ont laissés sur notre faim.
En effet, avec tout ce que le gouvernement est en train d’entreprendre, dans un contexte, il est vrai difficile et au regard des pressions de plus en plus vives sur les plans politique, économique et social, un sentiment d’inachevé prédomine. Malgré la gravité des défis et l’ampleur de la tâche qu’il est en train d’accomplir, une idée domine. Le gouvernement qui a trouvé, à la faveur de l’opération mains propres qu’il a diligentée, un soutien populaire et politique inespéré, semble encore travailler sans ordre de priorités précis et son activité paraît trop dispersée, lui manquant la cohérence et une bonne synchronisation.
Ce jugement n’a rien d’abusif ou de hâtif, plusieurs indicateurs le confirment et corroborent l’idée de l’absence d’une feuille de route claire et d’une vision qui permet d’appréhender les problématiques qui se posent avec confiance et assurance. Le cercle vicieux dans lequel le pays ne cesse de se débattre depuis maintenant plus de six ans, l’incapacité manifeste des gouvernements successifs de remettre de l’ordre dans le pays, d’aller de l’avant sur la voie des réformes, de faire prévaloir la loi et le droit et de restaurer la confiance en témoignent amplement.
Qu’a-t-on fait pour les grands chantiers en suspens, notamment pour desserrer les contraintes de plus en plus fortes auxquelles fait face le pays en matière de finances publiques, de relance de l’activité économique, de réforme de la fonction publique, de la solution du déficit abyssal des caisses de sécurité sociale, de la défaillance inadmissible des systèmes de santé, d’éducation et d’enseignement supérieur ? Pas grand-chose ! tous ces dossiers brûlants restent en effet en suspens et sujets à des marchandages inutiles entre des partenaires sociaux incapables de voir la réalité en face et des pouvoirs publics qui se trouvent piégés par la gestion du quotidien et par l’absence de soutiens effectifs de partis politiques plus enclins à étaler leurs divergences ou à préparer les prochaines échéances électorales qu’à mettre la main à la pâte.
L’hésitation et la recherche obstinée du consensus à propos de tous les dossiers et dans tout processus de résolution de tensions ou de demandes sociales, expliquent le surplace que fait le pays et toute la difficulté de faire bouger les choses. Doit-on toujours éviter de s’attirer l’ire de l’UGTT, d’Ennahdha ou d’un quelconque autre partenaire pour faire durer le statu quo, la factice harmonie qui existe ? La situation actuelle qui prévaut dans le Sud du pays, l’arrêt de la production de pétrole et de gaz depuis plus d’un mois, les dommages subis par les installations des compagnies étrangères et les pertes subies par le pays, nous renseignent que l’attitude parfois trop laxiste n’est pas porteuse, bien au contraire elle ne peut que conduire au délitement de l’Etat et à l’anarchie.
Pourtant, l’épisode de l’action entamée par le gouvernement dans sa lutte contre la corruption et la contrebande a fourni un bon argument et une opportunité pour souder les Tunisiens, donner un sens à l’action gouvernementale et renforcer les fondements de l’Etat de droit.
Le danger, tout le danger serait de s’arrêter à mi-chemin et de décevoir toutes les attentes nées en retournant à une gestion approximative et hésitante de la chose publique.
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