Après les turbulences boursières de ces derniers jours parties de Chine après la décision de la Banque centrale de laisser fluctuer la monnaie chinoise, le yuan, le calme semble revenu après la nouvelle décision chinoise de baisser les taux directeurs. N’empêche la tempête boursière chinoise et les sueurs froides qu’elle a fait couler sur le monde ont été à l’origine du questionnement sur l’avenir des pays émergents. Il faut dire que ce questionnement n’est pas nouveau et il a marqué le débat économique global depuis quelques mois suite à l’affaiblissement des performances économiques des pays émergents.
La question est donc au cœur de beaucoup d’échanges intenses et certains experts rapprochent la tourmente boursière récente au krach boursier de 1997 qui a mis un frein important aux pays émergents. Rappelons à l’époque, les tigres asiatiques connaissaient une croissance forte. Or, la dévaluation en juillet 1997 du baht par les autorités thaïlandaises allait être à l’origine d’une tornade financière sans précédent qui ne se limita pas à l’Asie mais dont les effets allaient se prolonger à d’autres pays dans d’autres régions en développement notamment l’Argentine et la Brésil jusqu’à la Russie qui connaîtra un défaut de paiement au début de l’année 1998. Une crise sans précédent qui sera à l’origine d’un retour en force dans la région du FMI et le monde entier se rappellera toujours de cette image qui a traversé le monde de la posture de Michel Camdessus, le Directeur général du FMI de l’époque, au moment de la signature de l’accord avec le président Suharto en Indonésie.
Certes, les pays émergents connaissaient à l’époque une situation économique présentant d’importants signes de fragilité. La croissance forte de l’époque s’accompagnait d’importants déficits de la balance courante et d’un important endettement externe public mais également des grands groupes privés et des grandes banques. La dévaluation de la monnaie a été à l’origine d’une explosion de la dette dont l’essentiel était en devises étrangères et particulièrement en dollars. Or, la situation aujourd’hui est différente avec une situation macroéconomique moins fragile pour la plupart des pays émergents qui ont cherché à améliorer leurs balances de paiement et l’accumulation d’importantes réserves pour faire face à une défiance des investisseurs.
Ainsi, la situation d’aujourd’hui paraît bien différente de celle que ces pays ont connue en 1997 ce qui rend, pour certains experts, le scénario d’un krach boursier et de son extension à d’autres régions du monde moins probable. N’empêche, il faut souligner que certains pays émergents, notamment la Chine, connaissent aujourd’hui un emballement de la sphère financière et immobilière dont l’éclatement pourrait renforcer les turbulences et l’instabilité des émergents.
Les récentes turbulences financières, la baisse de la croissance et l’incertitude croissante émanant de ces pays sont à l’origine des questionnements sur l’avenir de l’émergence et de ces pays dans l’économie mondiale. Pour certains qui n’ont jamais accepté la fin de l’ordre mondial issu de la seconde guerre mondiale et l’hégémonie occidentale sur le monde, la fin de l’émergence c’est un retour au cours normal des choses. Il s’agit de visions idéologiques de l’ordre international et la restauration de l’ordre passé ne paraît pas d’actualité tellement les changements ont été importants et structurels.
Par contre, cette crise a été à l’origine d’un débat sur l’évolution des pays émergents. Jusque-là, le phénomène de l’émergence était perçu comme un phénomène global et les premières études n’ont pas pris en considération la différenciation entre les pays. Les performances contrastées de ces pays ces derniers mois, ont ouvert la voie à une lecture nouvelle des pays émergents qui prend en considération la singularité de leurs histoires économiques et sociales et de leurs développements récents.
Plusieurs critères ont été développés par les experts et les analyses pour comprendre l’évolution et les performances des pays émergents. Il s’agit d’abord du niveau de transformation structurelle de ces économies et de leur capacité à passer des activités ayant un fort contenu de travail et un faible niveau de productivité à d’autres activités intensives en technologie et en travail qualifié et ayant un niveau élevé de productivité. Le second critère concerne la qualité des institutions et de la gouvernance qui permettent de lutter contre la corruption et de construire les consensus et les contrats sociaux nécessaires au développement. Le troisième critère concerne le niveau et la qualité des infrastructures qui sont essentiels à l’amélioration de la compétitivité des entreprises et favorisent l’arrivée des investisseurs étrangers. Le quatrième critère est lié à la qualité des ressources humaines et au système éducatif et de formation qui permettent d’offrir à l’économie la main d’œuvre qualifiée nécessaire pour monter en gamme.
L’articulation de ces quatre critères permet d’offrir une lecture différenciée des expériences de l’émergence et mieux comprendre les difficultés et les défis de chacun des pays en lieu et place des appréciations globales. Ces analyses permettront de mesurer les progrès effectués par chacun des pays dans les différents domaines de la transition économique.
Ainsi, les turbulences financières en provenance de Chine ont permis de mettre en exergue les difficultés de transition dans les pays émergents. Mais, en même temps, elles ont permis d’ouvrir les yeux sur les différenciations croissantes entre ces pays et par conséquent souligné que si des leçons sont à retenir de ces expériences, on ne peut reproduire les expériences des autres et chaque pays doit faire son propre apprentissage.