Les pays de l’Union européenne s’orientent vers la demande d’une pause dans les négociations avec les Etats-Unis sur la zone de libre-échange entre les deux régions, appelée le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, plus connu sous son appellation anglo-saxonne le TTIP. Cette décision n’est pas surprenante pour les institutions ou les experts, car elles éprouvaient les plus grandes difficultés à déboucher sur des avancées conséquentes. Bien évidemment la proximité des élections américaines a joué un rôle important dans cette pause, dans la mesure où les négociations commerciales dépendent directement de l’hôte de la Maison blanche. Mais, le calendrier électoral américain n’est pas la seule explication à cette pause. Il faut aussi mentionner la grande mobilisation de la société civile européenne qui a réussi à fédérer un large mouvement citoyen opposé à cet accord de libre-échange et a emmené les gouvernements européens, et particulièrement le gouvernement français, à demander cette pause afin de prendre le temps d’évaluer les résultats de ces négociations et suggérer une nouvelle dynamique dans la construction de cette zone de libre-échange.
Ce nouveau partenariat portait une grande ambition et visait la construction de la plus importante zone de libre-échange dans le monde, couvrant près de 45% du PIB mondial. Les négociations se sont fixées un agenda important avec la suppression de toutes les barrières tarifaires et une forte réduction des barrières non tarifaires. Ces négociations cherchaient une plus grande harmonisation des normes entre les deux régions. Les deux parties s’étaient aussi engagées à favoriser une plus grande ouverture des marchés publics pour leurs entreprises. Ils ont convenu également la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends.
Depuis leur lancement voilà trois ans et en dépit de l’organisation de près de 15 rounds, les négociations ont peu progressé. Des retards et des progrès faibles qui expliquent l’ampleur des divergences entre les deux parties. D’ailleurs, ces divergences traversent même la position européenne avec des pays comme l’Italie et l’Espagne et d’autres pays européens qui veulent avancer rapidement et finaliser cette négociation pour mettre cette zone de libre-échange dans les faits, alors que d’autres pays, et non des moindres dont la France, qui militent pour décréter une pause afin de faire le point sur l’état d’avancement des négociations et donner une nouvelle orientation à ces échanges. Ces doutes et ces hésitations dans la position européenne trouvent également leur origine dans les critiques et les questionnements formulés par les mouvements de la société civile qui ont contribué à faire connaître les sujets de dissension et de controverses.
La première critique a porté du côté européen sur ce que beaucoup ont appelé le manque de transparence de la part de la commission qui a l’exclusivité de la négociation des accords commerciaux entre l’Europe et les autres régions du monde. Certaines voix soupçonnent même les négociateurs européens de vouloir conclure les négociations sans se référer aux Etats membres et les mettre ainsi devant le fait accompli. D’autres experts estiment que les études d’impact qui ont été effectuées pour analyser les effets de cette zone de libre-échange ont surestimé les gains potentiels notamment dans le domaine de la croissance et de la création d’emploi. D’autres experts et officiels des pays membres se sont inquiétés de l’usage du principe de l’extra-territorialité des juridictions américaines et qui pourraient mettre les entreprises européennes en grande difficulté.
Ces critiques et bien d’autres ainsi que des inquiétudes et des peurs sont à l’origine des retards et enfin de la mise en veilleuse de ce qui allait être la plus importante zone de libre-échange dans le monde. Cette évolution a une valeur symbolique sur le recul de la confiance dans le monde dans le libre-échange et l’ouverture des frontières. Plus qu’une évolution, il s’agit d’une rupture par rapport à la pensée économique et aux politiques qui ont dominé le monde depuis plusieurs décennies et qui faisaient de la globalisation et de l’ouverture des frontières, le moyen de dépasser la crise du modèle de l’Etat-nation, hérité de la seconde guerre mondiale. Ces théories ont défendu l’ouverture des frontières et le libre-échange et ont en fait des outils essentiels dans l’accélération de la croissance, le renforcement de l’investissement et la création d’emploi.
Or, les convictions d’antan et les croyances dans les bienfaits du libre-échange semblent céder la place aux doutes, aux inquiétudes et aux questionnements. La globalisation n’a plus le vent en poupe et la confiance dans sa capacité à ouvrir une nouvelle ère de prospérité et de croissance semble battre en retraite devant la montée des inégalités, l’incertitude et la fragilité de la croissance globale.
Reste une question et qui nous concerne directement et particulièrement les négociations avec nos partenaires européens sur l’ALECA. En effet, nous devons nous munir de la même précaution et minutie dans la conduite de ces négociations, car il est difficile de suggérer l’accélération de certaines négociations au moment où on veut prendre son temps dans d’autres.