Et la pauvre chèvre a fini en prison

Par Sami MAHBOULI
Avocat et éditorialiste

Les événements de ces derniers jours ont d’abord surpris les Tunisiens avant de susciter leur enthousiasme : la guerre contre la corruption tant de fois claironnée a réellement débuté. Les barons de la contrebande et des trafics illicites, qui se considéraient jusqu’ici comme intouchables, ont été appréhendés sans ménagement et placés soit en détention soit en résidence surveillée. Il semble que cette opération « Mani Pulite » à la tunisienne ne s’arrêtera pas aux seuls contrebandiers mais s’étendra, également, à des fonctionnaires et à des hommes politiques soupçonnés de corruption. Au demeurant, Il serait bon qu’elle ne se limite pas aux cibles connues mais qu’elle se dirige aussi vers des zones de non-droit comme la ville de la Goulette où de gros bonnets mènent leur business, bars mal famés et boites de nuit illégales, sous la barbe d’autorités locales étrangement complaisantes. A côté, la commune sicilienne de Corleone ferait presque figure de ville sainte.
Il aura fallu que le chef du gouvernement, Youssef Chahed, montre sa détermination pour que sa popularité grimpe au ciel. Ceux qui lui reprochaient sa timidité et sa prudence excessives en sont pour leur frais et chantent désormais à tue-tête ses louanges. Même une mégère patentée comme Samia Abbou s’est rangée parmi ses fans entraînant au passage son conjoint, le pète-sec et pontifiant Mohamed Abbou ; comme quoi les miracles sont parfois possibles chez le couple Thénardier national.
Dans ce concert de louanges, il était difficile de ne pas entendre certaines voix discordantes. On ne citera, pour ne pas provoquer la nausée des lecteurs, que le juge Rahmouni et l’impayable Hamma Hammami. Tous deux se sont convertis en gardiens vigilants de la procédure pénale la plus pointilleuse et sont outrés par la manière dont a été conduite la grande rafle de la semaine dernière. Pour nos deux vertueux défenseurs des droits des justiciables, les arrestations récentes sont illégales et choquent leurs petites âmes sensibles. Quand les forbans, placés récemment sous détention, défiaient l’Etat tunisien, moquaient ses symboles et détruisaient à petit feu l’économie tunisienne, notre juge «jamais-content» et notre «Che Guevara local » étaient muets comme des carpes. De là à penser que nos deux compères profitaient de la situation de désagrégation de notre Etat et de notre économie nationale, il y a un pas que certains pourraient avoir envie de franchir allègrement.
Commencer une guerre est une décision courageuse, encore faut-il la gagner. C’est tout le mal que l’on souhaite à Youssef  Chahed qui, pour l’heure, prouve à ses plus farouches détracteurs qu’il a le sens de l’Etat et peut trancher dans le vif. Dans le bras de fer qui s’annonce, il peut compter sur l’appui du Président de la République sans lequel, j’en suis persuadé, cette campagne de lessive à grande échelle n’aurait pas pu être lancée mais également sur celui de millions de Tunisiens lassés de voir l’impunité des voyous et leur arrogance s’afficher partout. Il y a quelques mois, un des symboles du commerce parallèle n’hésita pas à déclarer que le Chef de l’Etat n’était pas en mesure de mettre une chèvre en prison. Il doit bien regretter aujourd’hui, de là où il est, d’avoir tenté de ridiculiser les institutions de l’Etat et de s’être cru au-dessus des lois : mépriser l’Etat et tourner en bourrique ses représentants ont désormais un coût et il est grand temps que toute la racaille du pays le comprenne une fois pour toute.
Sans un Etat fort et respecté, les Tunisiens seront à la merci de tous les mafieux et les brigands qui prolifèrent dans notre pays et la corruption qui y règne en maîtresse absolue sera incurable.
Apporter notre soutien à Youssef Chahed dans sa campagne de nettoyage des écuries d’Augias n’est pas une faveur que nous lui accordons mais un service que nous nous rendons à nous-mêmes et à nos enfants. Laisser les crapules de la pire espèce déstabiliser le régime, fomenter des troubles du nord au sud, et tenter d’installer une forme d’anarchie qui détruira les acquis de 60 années de progrès économique et social est un crime contre la nation, une haute trahison dont nous pleurerions les conséquences ad vitam aeternam.

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