Face à la menace terroriste toujours persistante, aux difficultés économiques qui ne font que gagner en complexité et au risque d’explosion sociale, on trouve une classe politique insouciante, voire inconsciente, puisque obnubilée par l’accaparation du pouvoir et le contrôle des institutions du pays, non son sauvetage d’un naufrage longtemps annoncé. Les réactions de dépit exprimées par certaines personnalités connues pour leur indépendance, traduisent tout autant une colère, un sentiment de dépit, qu’un constat amer de l’incapacité manifeste de notre classe politique à conduire le changement, à jouer le rôle qui lui est dévolu et à développer un débat public profond et audible. Une colère contre l’impuissance, les errements d’hommes politiques qui, au bout de sept ans, ont réussi la gageure de rompre le contrat de confiance qui les lie avec un corps électoral, désabusé et gagné par le doute. A quel lendemain pourrait s’attendre cette jeune démocratie, citée en exemple au commencement, si la moitié des électeurs ont boudé les urnes au cours des dernières Municipales et quelle portée pourraient avoir les prochaines échéances de 2019 si ce sentiment de rupture entre élus et électeurs ne fait que se renforcer ? A l’évidence, quelle que soit la partie qui aura à remporter les prochains suffrages, on aura au final des institutions peu représentatives de la volonté populaire, des institutions qui n’auront pas une forte légitimité, ni une grande assisse qui leur permettent de poursuivre la construction de l’édifice démocratique. Avec un jeu partisan vicié et complètement faussé, le principe même de l’alternance de forces politiques au pouvoir risquerait d’être contrariée.
Dans le contexte actuel, suffoquant et tendu, dans lequel vit le pays, comment pourrait-on espérer répondre aux attentes d’une population qui a perdu toutes ses illusions, entamer des réformes douloureuses, éviter une faillite budgétaire, entrer dans un processus électoral décisif, si toutes les règles se trouvent bafouées, qu’un brouillard épais empêche toute visibilité et que la confiance fait cruellement défaut ?
L’inquiétude et le scepticisme ambiants sont loin d’être une simple vue de l’esprit, ils sont plutôt l’expression de dysfonctionnements et de dérapages non maitrisés, qui ont gagné les sphères politiques, la société civile et même les institutions.
En témoigne la crise politique qui s’éternise, provoquant au passage le blocage des réformes et empêchant le fonctionnement normal des institutions. Avec le changement de fond en comble des rapports de force, toute solution de compromis ou de consensus est devenue improbable.
Plus grave, la rupture consommée entre le Président Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, Président du mouvement Ennahdha, a entraîné dans son sillage, la fin de la coordination et du dialogue entre le président de la République et le Chef du gouvernement, coupable de n’avoir pas obtempéré aux ordres de son maître. La crise entre les deux têtes du pouvoir exécutif n’échappe à personne, mais ce sont ses effets qui préoccupent et donnent à croire que le sens de l’Etat est en train d’être sacrifié sur l’autel des calculs politiciens et des caprices des uns et des autres.Même si tout le monde convient que le courant passe très mal entre le maître et son candidat rebelle, cela pourrait-il justifier l’interruption de tout dialogue et de toute coordination entre les deux têtes de l’Exécutif ? Cela est d’autant plus étrange, qu’au moment où le pays continue à faire face à la menace terroriste, il est obligé d’entamer de grands chantiers économiques et de faire face à des pressions sociales de plus en plus fortes, on a l’impression que chaque partie se contente d’observer l’autre, comme si tout ce qui implique la première n’engage pas la seconde. Peut-on gérer ainsi les affaires du pays et, à plus forte raison, quand il est à la croisée des chemins et qu’il nécessite, non seulement une coordination à toute épreuve, mais surtout la mobilisation de toutes les énergies pour éviter l’irréparable ?
Un seul exemple permet de mesurer cette fuite en avant, contre-productive, qui renvoi un mauvais message, aux Tunisiens et aux partenaires de la Tunisie, dont certains commencent à nourrir des craintes sur le processus de transition démocratique, qu’ils ont à plusieurs reprises salué voire magnifié
Pendant plus de vingt jours, les deux têtes de l’Exécutif ne se sont pas rencontrés, du moins publiquement ? Même si entre les deux tout sépare, l’on se demande si les intérêts de la Tunisie ne constituent pas un argument qui leur imposent de se concerter, voire même de sauver les apparences ?