Après un long silence, Béji Caïd Essebsi, reprend la manœuvre et parvient à brouiller toutes les cartes. A travers ce qui est en train d’être entrepris, à Carthage ou au sein de Nidaa Tounes, affaibli et divisé, le président de la République a voulu montrer qu’il est toujours là, quoi qu’on dise, que son pouvoir est établi et qu’il a encore la possibilité, compte tenu des prérogatives qui lui sont données par la Constitution, d’influer sur la vie politique nationale.
Les événements qui éclaboussent ces derniers temps la vie politique, soulèvent des vagues et provoquent polémiques et questionnements, montrent indubitablement que le président de la République n’est pas prêt à pardonner leurs errements, voire même leur traîtrise à tous ceux qui ne se sont pas pliés à sa volonté et ont résisté ou osé cautionner une alternative politique.
Et comme dans ce genre de guerres de positionnement et d’influence de l’opinion publique l’usage de toutes les armes est permis, on a eu droit à des rebondissements invraisemblables, à des scénarios incroyables et à un débat public d’une indigence inouïe. Si l’on a cherché subitement à dénoncer et à faire apparaître le caractère abjecte des faits connus par tout le monde, longtemps occultés pour des intérêts politiques évidents, voire stratégiques , on s’est permis en revanche d’attiser les feux de la discorde, de faire croire à une opinion publique qui a tiré un trait sur sa classe politique, l’inénarrable. Ce qu’on n’a pas compris, c’est que les Tunisiens ne se reconnaissent pas dans ces guéguerres dont les visées n’échappent à personne. Au moment où ils sont préoccupés par les problèmes de plus en plus complexes qu’ils rencontrent dans leur quotidien, à l’instar du manque de certains médicaments essentiels, de la défaillance de certains services publics, la cherté de la vie, la prise en otage de l’avenir de leurs progénitures, une énième fois, par un syndicat de l’enseignement secondaire irresponsable et incontrôlable, la classe politique leur propose un menu indigeste, un débat inaudible traitant de questions qui sont à l’origine de leur désaffection du politique.
La question qu’on se pose actuellement, non sans insistance, concerne le rôle et la mission dévolus au président de la République. Etant garant de la Constitution, l’on se demande s’ il n’a pas perdu sa neutralité, sa position de président de tous les Tunisiens, quelle que soit leur appartenance, en s’interférant dans le jeu partisan et essayant , à l’approche d’élections présidentielle et législatives importantes, de changer la donne et de prendre sa revanche sur ses anciens alliés, devenus ses ennemis jurés et sur un Chef de gouvernement qui l’a défié et qui, plus est, compte voler de ses propres ailes.
Le plus grave dans toutes ces guerres fratricides, c’est la propension de tous les acteurs à infantiliser l’opinion publique, à vouloir à tout prix la verser dans des calculs politiciens en cherchant à l’embobiner et à l’instrumentaliser.
La première affaire, celle de la cellule secrète d’Ennahdha révélée à coups de conférences de presse répétées par les avocats des familles Belaïd et Brahmi, assassinés en 2013, est un exemple, parmi d’autres, de ce jeu pervers où s’entremêlent calcul politique, instrumentalisation des médias et volonté d’influence de l’opinion publique.
Est-il loisible de découvrir 4 ans après une cohabitation presque harmonieuse entre Ennahdha et Nidaa Tounes, le pot aux roses ou de se rendre compte que ce dernier allié était bien à l’origine des suicides politiques et disposant de tout un réseau parallèle de renseignements ? Ce qui est sûr, c’est que la rupture de l’alliance entre Béji Caïd Essebsi et Rached Gannouchi a été le facteur déclencheur des hostilités entre deux parties dont les forces et les ambitions sont devenues à la fois incompatibles et inégales.
La deuxième affaire déclenchée par Slim Riahi, nouveau Secrétaire général de Nidaa Tounes, relative à la tentative de coup d’Etat fomentée par Youssef Chahed, Chef du gouvernement, et un certain nombre de personnes qui lui sont proches, a fourni un autre exemple édifiant de l’insoutenable légèreté de notre classe politique et de sa descente interminable dans l’insignifiant, le ridicule. En se voyant confier les rênes du pouvoir à la tête d’un parti, qui a vicié depuis quatre ans, la vie politique nationale se transformant en source de blocage de tout changement, Slim Riahi se montre prêt à utiliser toutes les armes possibles pour permettre à ce parti de prendre sa revanche sur lui-même et sur ses détracteurs, qui ont prédit sa fin inéluctable.
A qui peut profiter la tourmente dans laquelle se débat le pays et qui augure la poursuite d’une guerre sans merci entre adversaires politiques prêts à tout faire, non pour servir les Tunisiens mais plutôt pour se servir d’eux ? Il y a derrière tous ces dossiers exhumés, par on ne sait quel hasard, une odeur de revanche, de règlement de comptes, non d’un engagement pour rétablir la vérité ou défendre des principes. Il ne se cache pas derrière toutes ces guerres une volonté de rectifier le tir et une mobilisation pour le renforcement des fondements de cette jeune démocratie qui n’a cessé de subir des vents contraires.