Je l’avoue, je n’ai découvert Nadine Labaki que tardivement ! Un crime de lèse-majesté pour les amoureux de Pascale Machaalani, Katia Harb, Carole Samaha, Nawal Al Zoghby, Nancy Ajram pour qui elle a réalisé les clips de leurs meilleures chansons. Que leurs fans me pardonnent mais des pulpeuses chanteuses venues d’Orient, je me suis arrêté à celles qui avaient aussi de jolies voix et qui interprétaient de beaux textes et de belles mélodies dans la tradition des grandes divas d’Orient de jadis comme Warda, Najet, Ismahen et bien d’autres aujourd’hui oubliées.
Je disais donc que j’avais découvert Nadine Labaki sur le tard, avec son premier long métrage « Caramel » sorti dans les salles en 2007. Une belle et douce histoire d’amitié entre trois jeunes beyrouthines sur fond de tensions religieuses, politiques et culturelles. Et, tout le monde commençait à attendre impatiemment son second long métrage. Un grand test pour un metteur en scène qui a ébloui son public par la grâce et la beauté de sa première œuvre. Une performance dont beaucoup ne s’en sont jamais remis. Et, puis est arrivé le second film de Nadine Labaki au titre évocateur « Et maintenant, on va où ? ». Un nouveau chef d’œuvre d’audace, de grâce, d’engagement et de beauté qui revient sur le thème de la différence, de la pluralité, et de la coexistence entre différentes communautés.
Mais, plus que le film, c’est le titre qui m’a séduit, « Et maintenant, on va où ? », car il est d’une pertinence inouïe par rapport à la situation des transitions arabes et à celle que nous vivons depuis la révolution de 2011.
« Et maintenant, on fait quoi ? ». Quelques jours après le vote de confiance pour le nouveau gouvernement, c’est la question qui se pose. Une question d’autant plus importante que le pays vit probablement la crise la plus grave de son histoire récente. Les défis sont multiformes et les dernières attaques terroristes nous rappellent que même si nous avons fait des progrès importants dans ce domaine, le danger terroriste reste présent et continuera à peser sur notre démocratie naissante. Certes, la population tunisienne a rejeté le terrorisme et les grandes mobilisations contre ces groupes notamment au moment de leur confrontation avec nos forces de sécurité sont un grand signe de ce désaveu, mais la grande marginalité et la crise sociale profonde et le désespoir qui règnent dans certaines régions continuent à nourrir l’aventurisme chez nos jeunes courtisés par les vendeurs de la mort et du désespoir.
Parallèlement aux défis sécuritaires, il faut aussi mentionner les défis politiques avec la mise en place des nouvelles institutions prévues par la nouvelle Constitution et l’organisation des prochaines élections locales qui vont nous permettre d’accoucher d’une nouvelle gouvernance locale capable de prendre en charge l’état de délabrement avancé dans lequel se trouvent nos villes et nos centres urbains.
Mais, le plus grand défi reste la construction d’un nouveau contrat social post-révolution. Ce contrat devrait rompre avec le contrat autoritaire hérité de l’ancien régime et dont la Révolution a signé son acte de disparition et au terme duquel les populations renonçaient à leurs droits politiques en contrepartie de la satisfaction de leurs besoins économiques et sociaux. Il faut aujourd’hui inventer un nouveau contrat dans lequel la satisfaction des besoins et des attentes des populations doit respecter les principes démocratiques, les libertés et le pluralisme. C’est ce contrat que nous peinons à mettre en place depuis 2011. En effet, si la Révolution a permis aux populations de retrouver leurs droits politiques et démocratiques, les promesses économiques et sociales n’ont pas été encore satisfaites ce qui est à l’origine de frustrations croissantes et renforce l’instabilité politique.
Au niveau économique et social, la mise en place de ce nouveau contrat social démocratique dépendra de notre capacité à relever quatre défis essentiels. Le premier est celui de la stabilité économique et de la maîtrise des grands équilibres macroéconomiques. Particulièrement, nous devons nous attaquer à la crise des finances publiques et à leurs difficultés à soutenir un accroissement rapide des dépenses avec des recettes en stagnation. Le défi des finances publiques ne se limitera pas aux quelques mois qui nous séparent de la fin de l’année en cours mais doit se prolonger également l’année prochaine. Le second niveau de cette stabilisation concerne notre balance de paiement dont la détérioration est à l’origine du recul du dinar par rapport aux devises étrangères.
Le second défi concerne la relance de la croissance dont les principaux moteurs sont en panne. A ce niveau, il est essentiel de relancer l’investissement et particulièrement de ressortir les investisseurs privés nationaux et internationaux de l’attentisme qui les caractérisent. Certes, la finalisation des textes et des projets de loi, notamment le nouveau code d’investissement en souffrance à l’ARP, est essentiel mais ne sera pas suffisant s’il n’est pas accompagné d’un programme clair et capable d’opérer le choc d’investissement que nous attendons depuis quelques années. Le troisième défi concerne l’inclusion sociale qui est au cœur des revendications sociales depuis 2011. A ce niveau, un programme d’urgence en faveur de la relance de l’emploi paraît urgent mais nous devons rompre avec les différents mécanismes qui octroient des revenus sans une obligation d’emploi ou de formation. Les aides accordées pour les chercheurs d’emploi doivent s’accompagner impérativement d’obligation en matière d’emploi ou de poursuite de formation afin de s’adapter aux exigences du marché. Cette inclusion exige également la définition d’une nouvelle ambition pour les différentes régions particulièrement les régions de l’intérieur afin de relancer de la croissance et le développement mais qui se libère des revendications populistes.
Le dernier défi est celui de la solidarité sociale particulièrement entre les générations. Cette question soulève la question de l’avenir des caisses sociales qui connaissent de graves difficultés financières qui ont mis à mal sa capacité à honorer ses engagements.
Et maintenant, on va où ? La transition démocratique a tracé la voie et a fixé la construction d’un nouveau contrat social comme horizon pour notre dynamique sociale. Et, la stabilisation, la croissance, l’inclusion et la solidarité sociale seront les fondements du succès de notre expérience. A nous d’en déterminer les contenus et les mécanismes !