Par Faouzi Bouzaiene
Maintenant qu’il a “sa” Constitution, que va-t-il en faire ? C’est la question qu’une bonne majorité se pose après la large victoire du « oui » au référendum.
Kaïs Saïed a, en effet, gagné son pari, « sa » Constitution est passée contre vents et marées. Le tiers environ des électeurs ont approuvé son projet de constitution, contesté par un large pan de la classe politique et de l’élite libérale, le gratifiant du même nombre de voix qu’en 2019 (plus de 2 millions) quand Ennahdha et son allié Tahya Tounes, issu du Nidaa Tounes, parti de Béji Caïd Essebsi, ont soutenu Kaïs Saïed contre Nabil Karoui, ancien président de Qalb Tounes, en fuite à l’étranger.
Sauf que la faible participation au référendum sur sa nouvelle Constitution hyperprésidentialiste devrait convaincre le chef de l’Etat des dangers de ce qui semble être sa fuite en avant vers l’autocratie.
A présent qu’il a obtenu l’agrément populaire, il ne lui reste plus qu’à planter le décor de son projet politique avec au sommet le pouvoir exécutif exclusivement entre les mains du président de la République, qui « doit rendre des comptes au peuple et rien qu’au peuple qui élit le chef de l’Etat au suffrage direct », puis un pouvoir législatif scindé en deux chambres, l’une de dimension régionale et l’autre nationale. Dans cette architecture bien cadrée, le chef de l’Etat a un droit de regard sur le gouvernement qu’il nomme et qu’il charge de concrétiser son programme de développement et un autre sur les deux chambres qui seront appelées à examiner en priorité les projets de lois qu’il propose. Droit de regard également sur la « fonction judiciaire » au niveau des procédures administratives, telles que les nominations.
En définitive, un régime présidentialiste très redouté, ce qui n’a pas manqué de peser sur les résultats du référendum. Le décodage des résultats, qui a enregistré un taux de participation aux alentours de 30%, permet de souligner que la Constitution est passée grâce à seulement près du tiers du corps électoral. Les boycotteurs (dont Ennahdha et ses alliés) chassés du pouvoir le 25 juillet 2021 et des opposants politiques et intellectuels de Kaïs Saïed en plus des partisans du 25 juillet qui rejettent le contenu du projet de constitution de 2022, ont représenté le quart des voix exprimées. Il reste un bloc d’environ 50% de l’électorat, « une masse silencieuse stable qui n’a quasiment jamais participé aux différents scrutins organisés depuis 2011 ». « Le taux de participation est suffisant pour légitimer le référendum », selon Hassan Zargouni (sigma Conseil).
Indépendamment des statistiques, au lendemain du référendum, Kaïs Saïed, plébiscité une seconde fois à travers « sa » constitution, se doit d’être le président de tous les Tunisiens et en particulier de ceux qui ont voté contre son projet et ceux qui ne se sont pas exprimés du tout pour diverses raisons. C’est à cette condition que le nouveau hyper-président peut espérer stabiliser le pays et « créer le climat favorable à la cohésion, au travail et à la mobilisation pour relever les défis », tel qu’il l’a affirmé.
Le soir du 25 juillet 2022, au milieu d’une foule en liesse, le chef de l’Etat a donné le tempo de l’après-référendum : ce sera en premier l’élaboration d’une nouvelle loi électorale. Kaïs Saïed semble vouloir se donner du temps pour la préparation des Législatives anticipées du 17 décembre prochain qui seront cette fois organisées en deux temps, l’un pour le Conseil national des régions et des districts et l’autre pour la chambre des représentants du peuple, tout en introduisant un nouveau mode de scrutin uninominal à deux tours. Pour ce faire, et on ne cessera jamais de le répéter, Kaïs Saïed n’a pas d’autres choix que de communiquer et de travailler avec les acteurs de la vie publique, partis politiques et organisations qui soutiennent son projet et qui n’ont pas de démêlés avec la justice. Il s’agit désormais d’agir ensemble pour l’intérêt général et non celui des personnes.
La loi électorale est importante en ce sens qu’elle va complètement modifier le paysage politique et ses mécanismes. A noter que la révision de la loi électorale est une revendication ancienne d’avant le 25 juillet 2021. C’était un projet avorté de l’ancien chef du gouvernement Youssef Chahed qui a fini par être rejeté par l’ARP en 2018. Mais il y a aussi et surtout la situation économique et sociale. Des réformes sont d’ores et déjà en place dans le cadre des négociations avec le FMI, mais il importe que ces réformes fassent préalablement l’objet d’un consensus négocié avec l’Ugtt et avec les autres organisations nationales, surtout dans ce contexte de guerre mondiale, armée et économique, dont les effets déstabilisateurs se font déjà ressentir.
Les choses sérieuses vont donc commencer, sans oublier que des partisans du président exigent également l’accélération de la reddition des comptes avec les responsables de la dégradation économique, financière et sociale de la Tunisie durant la décennie écoulée. Saïed est acculé à passer aux actes et même à augmenter la vitesse pour deux raisons : la première, éviter la colère de ses partisans qui lui ont assuré en public qu’ils ne lui accordent pas de chèque en blanc et la seconde, faire baisser les voix des mauvais perdants et ses détracteurs qui pendant dix longues années n’ont pas bougé le petit doigt pour le bon peuple même dans les pires moments de la pandémie de la Covid. Quand les cadavres jonchaient les morgues, les cours des hôpitaux et à même les trottoirs, ces ex-dirigeants se payaient des vacances en bord de mer ou sommaient l’ancien chef du gouvernement, Hichem Mechichi, de dénicher la bagatelle de 3000 millions de dinars pour indemniser les « militants » du mouvement islamiste qui, prétendent-ils avec indécence, « ont milité contre Ben Ali pour apporter la démocratie et la liberté aux Tunisiens ».
Pendant dix longues années, ils ont laissé faire le délitement méthodique de l’Etat, de l’économie et de la société tunisienne. Pendant dix ans, ils ont rempli leurs propres poches, occupé des postes importants en Tunisie et à l’étranger, laissé s’étendre et s’amplifier les réseaux de contrebande, de trafics de tout genre et de terrorisme. La liste est autrement plus longue et sinistre.
Après le 25 juillet 2021, ils sont revenus au-devant de la scène non pas pour reconnaître leurs erreurs, présenter leurs excuses aux Tunisiens et faciliter la sortie de la Tunisie de l’ornière, mais pour semer la zizanie et inciter les Tunisiens à la désobéissance, comme de ne pas reconnaître le processus du 25 juillet et le référendum. Mais encore, ils incitent les partenaires étrangers de la Tunisie à lui couper les aides et à empêcher le président d’avoir un projet pour le pays. De mauvais perdants et de mauvais calculateurs qui n’ont rien appris de leurs échecs ni de la leçon du 25 juillet 2021 que les Tunisiens leur ont donnée.
Bon gré mal gré, le référendum a réussi en dépit de ce climat délétère défavorable à des élections, sans oublier les conflits au sein de l’Isie, le temps record de préparation des élections, les cyber-attaques des plateformes de l’Isie, les enregistrements ratés des nouveaux inscrits. Aussi, le couac avec le doyen Sadok Belaïd et le constitutionnaliste Amine Mahfoudh, la faible campagne référendaire et les multiples campagnes de dénigrement dont fait l’objet Kaïs Saïed qui a malgré tout cela, conservé ses deux millions d’électeurs de 2019, ce qui signifie qu’il a réussi à élargir l’assise de ses soutiens. Et ses détracteurs n’ont toujours pas compris qu’ils gagneraient à changer de stratégie, de discours et à cesser de minimiser les choix du peuple, parce que sans ce peuple, ils ne valent rien, ils représentent 0%.
Les jeux sont faits, mais il y a de la place pour tout le monde, pour tous ceux qui sont prêts à jouer un rôle constructif pour le pays.
Il y a un an, Saïed invoquait un « péril imminent » pour imposer un régime d’exception, véritable coup de force interprété par ses détracteurs comme étant un coup d’Etat. Cela ne l’a pas empêché de continuer sur sa lancée.
Et maintenant ? Un autre « péril imminent » se présente. Il a trouvé écho sur le pavé de l’Avenue Bourguiba le soir de la victoire du « oui ». Le risque d’implosion est là, car les attentes sont énormes. Et Kaïs Saïed commettrait une grave erreur s’il devait interpréter le oui référendaire comme un blanc-seing. La faible participation est une alarme qui devrait le convaincre de repenser sa méthode du passage en force.
Périlleuse sera donc son aventure. Le risque est à la fois d’aggraver les fractures internes à la société tunisienne, là où sa fonction présidentielle devrait rassembler, et d’isoler le pays sur la scène internationale.
Kaïs Saïed est donc appelé à briser la glace maintenant qu’il a tous les pouvoirs en mains pour entamer une période de construction et mettre fin réellement à ce qu’il considère avoir été comme une période de déconstruction.
Nous attendons qu’il utilise ses pouvoirs à bon escient pour changer de discours et de ton et œuvrer au rassemblement des forces vives de la nation. Celles qui n’ont pas trahi les Tunisiens. Les Tunisiens veulent ouvrir une nouvelle page d’espoir, ils ont envie d’une vision d’avenir, de programmes de développement. Ils ont envie de construire.
Il faut battre le fer tant qu’il est chaud.