… Et nous emporte avec lui

 

Le cinéaste japonais, 72 ans, l’a affirmé jusqu’à plus soif. Fini, l’aventure merveilleuse, ce film sera bien le dernier. Des adieux, en somme, auxquels les inconditionnels se précipiteront, déjà endeuillés, prêts à recevoir le film testament du Maître. En guise d’adieu, la métaphore est belle, Hayao Miyazaki « (re)monte au ciel » sous nos yeux, littéralement. Son ultime dessin animé concentre tous ses fantasmes d’apesanteur, ceux qui ont « envoyé en l’air » tant de ses œuvres, de Porco Rosso, au Château dans le ciel ou Kiki la petite sorcière.

L’histoire se fond dans l’Histoire entre l’après 14-18 et la Seconde Guerre mondiale. Jiro, le jeune héros de ce grand tableau soigneusement peint à la main, ne pense qu’à ça : voler, voler et encore voler. Mais, à cause d’un problème de vue, la vocation de pilote lui est à jamais barrée. Qu’à cela ne tienne, il sera ingénieur aéronautique, inventeur des redoutables avions Zéro. Des idéaux d’un garçonnet à la construction d’une célèbre machine de mort — le chasseur-bombardier des kamikazes et de Pearl Harbor —, le réalisateur fouille, encore et toujours, une autre des ses fameuses obsessions : la guerre, qui transforme et pervertit les rêves.

Pour sa grande sortie, Hayao Miyazaki prend des risques. Il s’aventure hors du conte, son territoire de prédilection, et dit adieu de son bestiaire favori : créatures merveilleuses et autres demi-dieux fantasques. La seule « apparition », ici, est celle du concepteur d’avion Gianni Caproni, géant à moustaches qui hante l’imagination de Jiro. Scènes oniriques en plein ciel, d’une gaieté gamine, éclatante, qui contrastent avec le réalisme inédit d’un récit très adulte, très sombre. Sous toutes les belles couleurs, le bleu limpide des nues, le vert frémissant des arbres, se cache une sous-couche mélancolique qui hante aussi bien la grande histoire que la petite — heurs et malheurs du héros.

Le vent se lève. Ce titre, emprunté au poème Le Cimetière marin, de Paul Valéry, contient toute l’ambivalence du film, une menace et un élan. Le héros est un oxymore poétique et ambigu, le cinéaste en fait le fil rouge d’une réflexion sur le passé de son pays, sur les souffrances, les épreuves et les compromissions de tout un peuple. Jiro est là quand la terre tremble, pendant le grand séisme du Kantô, en 1923, qui ravagea une partie de l’île de Honshu. Catastrophe qui déferle sur le film dans l’une de ses plus belles scènes : un feu avide dévore ­Tokyo, monstre de fumée noire contre flots de réfugiés. Mais Jiro est là aussi, acteur malgré lui, quand la Seconde Guerre mondiale vient semer la mort dans un Japon belliciste et allié à l’Allemagne de Hitler. De ces responsabilités nationales et collectives, Miyazaki ne fait pas un film dossier. Il joue plus subtilement les dénonciateurs, par petites touches, au gré d’une conversation avec un voyageur antinazi, ou le temps d’une scène de cauchemar, où notre Icare moderne, hébété, erre dans le chaos rouillé d’un cimetière d’avions.

Cette fresque historique ne serait pas si touchante, si belle sans sa dimension humaine et intime. Hayao Miyazaki dessine le quotidien avec la délicatesse d’un miniaturiste. On pense parfois à Ozu, réalisateur du Printemps tardif dans une description douce-amère des mœurs nippones, de la vie familiale et sociale. Et là au milieu de l’horreur, Jiro héros tombe amoureux. La romance, lumineuse et tendre, joyeuse et tragique, donne au film sa respiration, son vrai ciel. Un souffle frais, qui fait voler les chapeaux, les cœurs, et les avions en papier. Le vent se lève et nous emporte avec lui.

F.B.

 

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