Le débat bat son plein depuis quelques semaines sur l’avenir du gouvernement. Entre les partisans de la « stabilité » et ceux qui sont favorables à « un changement en profondeur », les polémiques et les débats ne cessent d’alimenter la sphère publique, laissant une grande inquiétude et de grandes interrogations sur l’avenir de cette crise politique qui pèse de tout son poids sur la transition démocratique en cours.
Cette crise politique se déroule sur fond de crise économique aiguë. En effet, la croissance, en dépit d’une légère amélioration, est en berne. Par ailleurs, les finances publiques, en dépit d’une légère réduction, restent désespérément en crise avec l’augmentation effrénée des dépenses et un rythme des recettes nettement moins soutenu. En même temps, il faut souligner une augmentation sans précédent du déficit de la balance de paiement et des grands équilibres externes. La morosité de ce contexte économique a été renforcée par la frilosité et l’attentisme des investisseurs, ce qui a entraîné un recul des investissements. A ces indices, il faut aussi ajouter l’inflation qui s’est stabilisée à un niveau élevé.
Parallèlement à cette crise politique et économique, il faut également mentionner d’autres éléments de l’éclatement de l’ordre social post-révolution. Ainsi, avons-nous connu depuis quelques mois la crise de la disponibilité des médicaments qui n’est que la manifestation de la crise d’un des droits importants de l’Etat moderne qui est celui de l’accès à la santé. Nous connaissons également depuis plusieurs années la crise des caisses sociales qui n’est que l’expression du délitement du lien social et de la solidarité entre générations que nous avons réussi à instaurer depuis l’indépendance. On peut également mentionner les chiffres avancés par Hatem Ben Salem, le ministre de l’Education, qui sont significatifs d’une crise profonde de notre système éducatif.
Autant de manifestations politique, économique et sociale d’un mal profond qui ronge notre pays et dont on ne parvient pas à guérir. Or, pour guérir ce mal, faut-il s’entendre sur ses origines et sur les remèdes à mettre en place pour y échapper. Et, c’est là que la bât blesse. En effet, plus grave que les différentes manifestations de cette crise, c’est la manière éclatée et sectorielle dans laquelle les solutions sont envisagées. Ainsi, le débat politique ne cesse de se focaliser sur les limites du système politique défini par la Constitution ou la nature du système électoral pour échapper à la crise politique. Les économistes de leur côté et les responsables de l’action publique dans ce domaine, sûrs de leur science, défendent bec et ongles que la stabilisation macroéconomique nous ouvrirait la voie du graal. Enfin, les responsables des secteurs sociaux jurent à coup d’annonce de réformes, qui changent au gré des ministres, qu’ils ont les solutions à nos maux sociaux.
Ainsi, baignons-nous dans un flou et dans une grande incertitude. Chacun d’entre nous observe la crise du bout de sa lorgnette et cherche à lui apporter des réponses sectorielles sans prendre en considération la complexité et l’interaction des différents éléments. Aujourd’hui, plus que la crise elle-même, c’est le discours sur la crise qui est battu en brèche. Et, nous avons besoin de renouveler notre perception et notre analyse de la crise pour sortir de ces lectures étriquées et des visions étroites qui prévalent aujourd’hui.
Pour comprendre le mal qui nous ronge aujourd’hui, il faut revenir au contrat social post-indépendance et qui a réussi à construire le lien social autour de l’Etat moderne et à lui donner sa légitimité. Ce contrat était basé sur une équation majeure : un système politique et un Etat forts, capables d’assurer l’accès aux droits de base comme le développement, l’emploi, l’éducation, la santé, la solidarité et la promotion sociale. Or, la crise que nous vivons aujourd’hui est celle de l’éclatement de ce contrat social et son délitement. En effet, la Révolution a rompu la base politique de ce contrat et a fait de la démocratie et de la diversité, les nouveaux contours de l’espace politique. Mais, en même temps, cette nouvelle configuration politique n’a pas encore permis de franchir une nouvelle étape dans la réponse aux nouveaux besoins sociaux.
C’est cette dualité entre une transition démocratique pleine d’espérance et de promesses et une crise économique et sociale sans précédent qui est au centre des doutes, des inquiétudes et des incertitudes sur l’avenir. Notre responsabilité aujourd’hui est de sortir des tentations des réponses étroites et sectorielles pour commencer à réfléchir sur la reconstruction du contrat social mis à mal par la faillite de l’Etat autoritaire. Les fondements de ce nouveau contrat social doivent s’inscrire dans l’approfondissement de l’expérience démocratique et des transitions en cours, afin de construire des institutions capables de réguler l’ordre politique et d’arbitrer le conflit social. Mais, en même temps, ce nouveau contrat social se doit de définir un nouveau rôle pour l’Etat dans cette nouvelle configuration politique et sociale. L’Etat doit sortir du monopole et de l’hégémonie qu’il a exercés sur les différentes sphères notamment politique, économique et sociale pour se définir une nouvelle place et se donner de nouvelles fonctions. Ce rôle ne peut se limiter à la fonction de régulation de l’ordre marchand dans laquelle veulent le limiter les néo-libéraux. Son rôle doit être beaucoup plus large et doit concerner les visions stratégiques du développement, la défense des libertés et la construction de l’égalité des chances. L’Etat doit permettre à ses citoyens de saisir les opportunités et mettre en place les politiques publiques capables d’assurer une plus grande égalité et de libérer le potentiel et les opportunités des citoyens, notamment par un meilleur accès à l’éducation, à la santé, à la création d’entreprises et bien d’autres services.
La construction d’un nouveau contrat social passe par des préalables nécessaires dont la lutte contre la corruption, l’audace dans la vision et dans les projets d’ensemble et la mise en place d’une nouvelle culture qui met l’accent sur l’exécution et les résultats.
Ce nouveau contrat exige trois grandes priorités. La première nécessite la mise en place d’un programme urgent de stabilisation des grands équilibres macroéconomiques. La seconde passe par la relance de l’investissement et de la croissance. La troisième enfin nécessite un programme d’inclusion sociale qui fait de l’égalité sa principale priorité.
Face aux crises politiques, économiques et sociales, l’analyse et l’action publique font preuve d’une grande étroitesse et de choix étriqués. Il est temps de sortir de cette approche pour s’inscrire dans une démarche globale dont l’objectif est de reconstruire le contrat post-colonial mis à mal par la Révolution et les crises économiques et sociales. Alors discutons du nouveau contrat social à mettre en place et abordons les politiques publiques pour l’instaurer. n