Etat d’urgence et lutte contre le terrorisme: Le grand paradoxe tunisien !

Trois semaines après l’attentat terroriste de Sousse, la Tunisie reste encore sous le choc, son économie, très fragilisée,  est en train de payer un coût  très lourd, en revanche sa classe politique ainsi que sa société civile, n’arrivent pas encore à saisir la portée du désastre et la gravité des menaces qu’encoure le pays.
En matière de communication gouvernementale cela va sans dire, on ne fait pas mieux, . Il lui manque cruellement un fil conducteur, dans la mesure où de grandes difficultés persistent pour mettre en place une stratégie efficace de gestion de crises  et pour favoriser  l’émergence d’un front uni capable de faire face à cette menace rampante.
Résultat : la guerre contre le terrorisme, que la Tunisie a été contrainte de mener, semble être encore mal assumée par les acteurs politiques et sociaux qui, faute d’arguments et d’une véritable conscience collective, se réfugient dans les surenchères  et le jeu facile de la  provocation de crises artificielles. Il en découle une situation pour le moins kafkaïenne, dont la caractéristique essentielle est le net décalage qui perdure entre un discours politique, dont l’ambition est d’éveiller les consciences et d’alerter l’opinion publique tunisienne sur les grands dangers qui se profilent, et la faible réactivité de la classe politique et des Tunisiens qui n’ont pas su encore parler d’une même voix et resserré leurs rangs dans un contexte annonciateur de l’effondrement de l’Etat et du processus démocratique initié pourtant après plusieurs rendez-vous électoraux exemplaires.
Alors que certaines chancelleries ne finissent pas d’alerter leurs ressortissants sur les risques qu’ils peuvent courir de leur séjour tunisien, que nos hôtels commencent à se vider de leurs clients et que les perspectives de la haute saison touristique sont tout simplement catastrophiques, que le gouvernement est aux abois et que les solutions deviennent de plus en plus problématiques, on ne daigne pas encore regarder la réalité en face. Le débat public, ne s’est pas focalisé, comme s’était le cas, par exemple en France, après l’attentat de Charlie Hebdo, sur l’unité nationale et la mobilisation de tous pour combattre le terrorisme, mais, plutôt, sur les risques sur les libertés d’expression, de manifestations et de grèves pouvant provenir de la proclamation de l’état d’urgence !
En dépit des messages directs que le Chef de gouvernement, Habib Essid a essayé de transmettre à l’opinion publique via son interview,le 7 juillet dernier, à deux chaînes de télévision et une radio et, son audition le lendemain à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), l’effet utile ne s’est pas produit.
D’abord, les intervieweurs sont passés à côté de la plaque, ne réussissant pas à pousser le Chef du gouvernement dans ses derniers retranchements afin de dire aux Tunisiens toute la vérité crue sur la situation sécuritaire, de les éclairer sur les risques qui proviennent de la nébuleuse terroriste et ses racines profondes, les difficultés économiques que connaît le pays et les conditions qui devraient être satisfaites pour les surmonter et la crise sociale et les solutions envisageables pour qu’elles ne se transforment pas en une fracture.

Le premier des droits
Pourtant, il est admis que quand la sécurité d’un pays est visée et que ce pays fait face à des groupes terroristes qui menacent son ordre social, le premier des droits consiste à assurer la sécurité et la garantie de la vie humaine.
Habib Essid, a essayé, sans convaincre, de dire que l’état d’urgence ne fait qu’élever le niveau de vigilance dans le pays sans que cela menace la liberté, que ce recours a été motivé par des craintes de nouveaux attentats, affirmant que «nous n’aurions pas été obligés de décréter l’état d’urgence si nous n’étions pas convaincus que notre pays faisait face à des plans terroristes nombreux dans le but de le déstabiliser et que les gangs du terrorisme, du meurtre et du crime planifiaient d’autres opérations qualitatives dont le but est de tuer le maximum de personnes, de frapper le moral et de paralyser l’économie nationale». En vain.
Au lieu de le pousser à approfondir la réflexion sur cette question, qui ne cesse de nous tourmenter, et d’orienter le débat sur les stratégies à mettre en œuvre, on a eu droit à des questions vagues qui renseignent fort sur l’éternelle légèreté avec laquelle nos chaînes de télévision abordent des questions d’une extrême gravité.
Il aurait fallu, que ce soit à l’ARP ou sur nos antennes de télévision, pousser l’analyse sur les raisons qui ont conduit notre jeunesse à devenir la chair à canon dans de nombreuses guerres qui déchirent des pays comme l’Irak, la Syrie…qui ne sont pas les leurs ? Sur les facteurs qui ont transformé la Tunisie en principal exportateur de terroristes dans le monde ?
Pourtant , la réalité est tragique et les chiffres sont clairs, ils méritent que l’on s’y attarde pour mieux cerner ce phénomène qui se nourrit de plusieurs sources dont la pauvreté et l’exclusion et , de plus en plus des desseins avoués de groupes obscurantistes et armés qui se sont renforcés par le chaos libyen pour tuer dans l’œuf la seule expérience aboutie dans la région.

Incohérences assassines
En effet, depuis quelques mois le pays mène une guerre contre le terrorisme pour protéger les vies et les propriétés, défendre le régime républicain, l’Etat civil et les institutions.
En témoignent, depuis l’attaque du musée du Bardo en mars dernier, pas moins de 1000 terroristes présumés ont été arrêtés, et 15.000 jeunes ont été empêchés de rejoindre les zones de conflit contrôlées par l’Etat islamique.Plusieurs plans d’attaques terroristes ont également été déjoués durant ces 3 mois. 
Alors que le débat public aurait dû aborder la question lancinante de l’avenir du secteur touristique tunisien, les moyens de circonscrire la crise et la stratégie à adopter pour relancer le secteur en proie à une véritable catastrophe, la classe politique et la société civile ont raté encore une fois le coche. Le niveau du débat public est resté à son stade primaire, puisque ne pouvant pas saisir l’occasion pour faire taire leurs différences partisanes, ils ont étalé leurs divergences au grand jour et se sont lancés, à cœur joie, dans un nouvel round de règlement de comptes.
Toutes ces incohérences illustrent bien le grand paradoxe de la vie politique en Tunisie post-révolution et l’incapacité frustrante de nos élites, des acteurs politiques et de la société civile à s’inscrire dans le sens de l’histoire. La défense de l’ordre social, de l’Etat de droit, des acquis de la Tunisie et de sa sécurité, exigent beaucoup plus que des querelles politiciennes, le recours excessif au double langage ou une méprise systématique de l’expression de la volonté populaire telle qu’elle s’est exprimée lors de scrutins libres et démocratiques, qui se traduit souvent par l’incitation à la discorde et l’exploitation cynique du sentiment régionaliste ?

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