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L’attaque du Congrès américain, mercredi, expose Donald Trump à des conséquences politiques, mais le président américain conserve un soutien important auprès de sa base. Explications.
Quelques heures après l’attaque du Congrès américain par des partisans de Donald Trump, l’indignation s’est emparée d’une partie des Etats-Unis. « La responsabilité de cet acte de sédition incombe clairement au président, qui a montré que son maintien en fonction constituait une grave menace pour la démocratie américaine, écrit le Washington Post dans son éditorial. Il devrait être démis de ses fonctions. » Le quotidien ajoute que « le président est inapte à rester en fonction pendant les 14 jours suivants » et que « chaque seconde où il conserve les vastes pouvoirs de la présidence est une menace pour l’ordre public et la sécurité nationale ».
La colère ne se cantonne pas aux titres de presse. Une partie du Parti républicain et de l’entourage du président estiment que Donald Trump a franchi la ligne rouge en incitant ces partisans à refuser le résultat de l’élection. Le vice-président Mike Pence l’a complètement désavoué ces dernières heures. Tout d’abord en déclarant dans une lettre qu’il ne s’opposerait pas aux résultats de l’élection, comme le lui demandait le milliardaire avant le début du processus de certification au Congrès, estimant que ce droit revenait aux parlementaires. Puis en condamnant sans ambiguïté l’attaque, assurant que « les personnes impliquées [seraient] poursuivies. »
*Colère chez les ténors républicains, démissions à la Maison-Blanche
De son côté, le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell, qui avait déjà admis la victoire de Joe Biden ces derniers jours, a martelé à la reprise des débats mercredi soir que le Congrès ne se laisserait pas « intimider ». Le sénateur républicain Lindsey Graham, pourtant un très proche allié de Donald Trump, a de son côté annoncé qu’il cessait d’emboîter le pas du président : « Ne comptez plus sur moi. Trop c’est trop. »
Ces prises de distance n’ont pas empêché certains élus du parti de poursuivre leur contestation des résultats, notamment ceux de l’Arizona ou de Pennsylvanie, à l’image du Texan Ted Cruz. Mais jeudi matin, la victoire de Joe Biden a néanmoins été officiellement entérinée au Congrès.
Plusieurs démissions ont déjà eu lieu à la Maison-Blanche dans les heures qui ont suivi les violences. Stephanie Grisham, ancienne attachée de presse de la présidence devenue chef de cabinet de la Première dame Melania Trump, a quitté ses fonctions. Rickie Niceta et Sarah Matthews, membres de l’équipe de communication de la présidence, ont également démissionné, la seconde affirmant être « profondément troublée » par les événements. Selon les médias américains, d’autres démissions devraient avoir lieu dans les heures et jours qui viennent, signe du craquement qui s’opère autour de Donald Trump.
*Invoquer le 25e amendement pour démettre Trump de ses fonctions
Depuis mercredi soir, médias et élus n’hésitent plus à évoquer explicitement les moyens de démettre Donald Trump de ses fonctions. « Impeach », a par exemple tweeté la démocrate Alexandria Ocasio-Cortez. Plusieurs méthodes pourraient permettre de retirer à Donald Trump ses pouvoirs : la procédure d’impeachment, dont il a déjà fait l’objet début 2020, prendrait trop de temps ; l’utilisation de la section 4 du 25e amendement de la Constitution semble donc la seule appropriée. Elle permet, si une majorité des membres du cabinet du président le veulent, de déclarer le chef de l’Etat inapte et de transférer ses pouvoirs au vice-président.
Selon Axios, cette possibilité est actuellement étudiée : « Les républicains envisagent des options drastiques pour arrêter Trump », titre le site. « Selon deux sources impliquées dans les discussions, de hauts fonctionnaires du Département d’Etat encouragent les discussions sur le 25e Amendement avec d’autres fonctionnaires de la Maison-Blanche et d’autres départements », écrit Axios. Dans le même temps, 17 membres démocrates de la commission judiciaire de la Chambre des représentants ont signé une lettre adressée à Mike Pence demandant l’invocation du 25e amendement.
Le gouverneur républicain du Vermont, Phil Scott, les représentants démocrates de Californie, Mike Thompson, et de l’Oregon, Earl Blumenauer, ont aussi évoqué cette idée, comme d’autres membres de la Chambre. Le président de la National Association of Manufacturers, un des plus puissants lobbys industriel du pays, a aussi demandé à Mike Pence d’invoquer le 25e amendement.
Pour que cela se réalise, le vice-président devra compter sur au moins 8 des 15 principaux ministres qui composent le gouvernement de Donald Trump. Ces derniers devront rédiger une déclaration écrite indiquant que Donald Trump est incapable de s’acquitter de ses responsabilités puis ils devront l’envoyer à la Chambre des représentants et au Sénat. Ce serait une première dans l’histoire des Etats-Unis.
*Donald Trump reste « assez puissant »
Mais comme l’explique Axios, plusieurs facteurs devront être pris en compte avant de lancer une telle manœuvre : « Aurait-elle le soutien nécessaire pour réussir? Est-ce qu’elle chasserait Trump ou aurait un effet boomerang et en ferait un héros populaire? Est-ce que cela stimulerait ou endommagerait davantage le reste du parti républicain? » Toutes ces interrogations peuvent jouer en faveur du président américain, tout comme le peu de temps qu’il lui reste à passer à la Maison-Blanche, qui pourrait inciter certains de ses détracteurs à simplement attendre le 20 janvier, date de l’investiture de Joe Biden.
Si elle n’a pas de conséquences immédiates, l’attaque du Congrès pourrait toutefois avoir des répercussions politiques pour le président sortant dans le futur. « Ceci est l’héritage de Donald Trump », juge jeudi l’éditorialiste du Washington Post David Von Drehle. Elle pourrait ainsi lui revenir comme un boomerang si le milliardaire souhaite avancer une candidature pour 2024, voire servir de levier à d’autres candidatures au sein du parti républicain.
Mais là encore, rien ne dit que ce sera le cas. Dans un récent sondage de CBS, 82% des électeurs de Trump disaient qu’ils ne considéraient pas Joe Biden comme légitime et près de la moitié estimaient que le milliardaire devrait refuser de céder après le vote du Collège électoral et faire tout son possible pour rester au pouvoir.
Comme l’a souligné l’historien spécialiste des Etats-Unis Corentin Sellin, jeudi sur France Inter », Donald Trump reste « assez puissant » et conserve un soutien important au sein du parti. Mais « le grand enjeu maintenant, c’est de savoir, après cette insurrection, combien d’électeurs de Trump continuent à le suivre », a-t-il expliqué.
Or un sondage réalisé ces dernières heures par YouGov montre que pour 68% des républicains, l’assaut du Congrès ne constitue pas une « menace pour la démocratie ». 45% d’entre eux approuvent même le procédé et plus des deux tiers jugent que Donald Trump ne doit pas être jugé responsable de ce qui s’est passé. Pour 85% des républicains, il serait donc totalement inapproprié de démettre le président de ses fonctions.
(Le Journal Du Dimanche)