Ethique et économie : ce qui nous manque réellement

La Tunisie est à la croisée des chemins. Un sentiment ambivalent et bigarré domine le quotidien des tunisiens. Entre l’acquis de la transition politique et la frustration sociale, les tunisiens vacillent et se cherchent. Ils voient dans l’amélioration de la situation économique le seul vecteur de changement, de délivrance et de dignité. La question est que « en matière d’économie, on a tout essayé ». Depuis la révolution, les politiques économiques axées sur le budget, le crédit et le revenu ont été en fait tournées vers la reprise de la croissance et la lutte contre le chômage et pourtant la croissance n’a pas été au rendez-vous. La signature du pacte social n’a pas réussi non plus à redresser le niveau de la productivité. La mise en place des institutions de la deuxième république n’a pas, jusque-là, aidé à mieux gérer les conflits et rétablir la confiance et partant à faire repartir l’investissement et baliser l’essor économique. Notre vrai problème n’est-il pas d’ordre éthique ? Devrions-nous aujourd’hui placer la préoccupation d’éthique au cœur de notre action individuelle et collective pour assurer notre avenir ? Et pour cause, l’union nationale et la survie de notre démocratie naissante ?

Notre démocratie dépendra de notre économie

L’existence d’une corrélation entre la démocratie et le développement est généralement considérée comme une évidence, alors même qu’elle continue à faire l’objet de débats très controversés et de résultats opposés. L’idée de fond est que« l’amélioration des conditions de vie des populations est censée passer par la croissance économique dont devrait découler la démocratisation des régimes politiques, laquelle serait à son tour, à partir d’un seuil à déterminer, un accélérateur de développement ».
Lorsque la machine de production bat son plein, les revenus s’améliorent et la majorité de la population voyant son niveau de vie s’élever, cela crée un sentiment de progrès qui aurait des retombées morales positives. Ces retombées sont, selon les philosophes des lumières, l’expression de « possibilités accrues, tolérance de la diversité, mobilité sociale, défense de l’équité et promotion de la démocratie ». Le sentiment de progrès dans une société est fondamental. S’il est absent ou insuffisant, aucune société quelle que soit sa richesse globale n’est à l’abri de l’effritement de ses valeurs démocratiques de bas.
Beaucoup de tunisiens éprouvent aujourd’hui de la méfiance à l’égard de la classe politique et sa volonté ainsi que sa capacité de changer le sort des citoyens. Ce «dégoût» croissant vis-à-vis des politiques représente un danger pour la stabilité institutionnelle du pays et son avenir démocratique. En effet, le recul manifeste de la croissance économique durant les dernières années et la difficulté à inverser le cycle baissier des affaires doivent avoir une incidence morale négative sur les tunisiens. La crainte est que la détérioration de la situation économique, si persiste, tend à créer un sentiment de retrait, de pessimisme, d’exaspération, d’indignation, d’intolérance et de violence, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes, au risque de saper tout le processus de consolidation démocratique.
En effet, si la liberté des tunisiens est acquise, la problématique de l’emploi et la revendication de la dignité sont loin d’être résolues. En revanche, quand l’économie regagne son dynamisme, le niveau de vie s’améliorera et la plupart des citoyens constateront le progrès et l’impact sera tout aussi puissant en termes de confiance et de sécurité, ce qui alimentera la qualité de notre démocratie et plus fondamentalement le caractère moral de notre société. Autant on doit s’inquiéter de l’état de notre croissance, autant on doit s’intéresser à ses conséquences politiques et morales.

Et notre économie sera à la merci de notre moralité

De célèbres économistes et philosophes ont reconnu depuis longtemps les liens entre l’économie et la morale. Le matérialisme et la morale ne sont pas antinomiques, que l’impact de la croissance économique transcende le matériel et que l’essor économique et le progrès moral vont de pair et se renforcent mutuellement. « Si l’enrichissement de l’individu ne le rend pas forcément plus heureux, il lui donne d’autres possibilités d’expériences personnelles, favorisant ainsi l’ouverture, la tolérance, et partant la moralité sociale ».

La morale « appliquée » est un moteur de changement très puissant, ce dont témoignent divers projets et actions de développement récents menés dans nombre de pays. La culture de la croissance dans l’équité reposant sur le dialogue social et le consensus national peuvent permettre des transformations radicales et des avancées considérables dans des domaines vitaux, tels que l’emploi, l’éducation, la santé, le logement etc. En plus de la responsabilité morale de l’Etat, nos entreprises devraient assumer davantage leur responsabilité sociale et faire preuve de leur attachement aux causes de la nation pour améliorer le sort des chômeurs et des pauvres. La société civile est également tenue d’être plus responsable et placer les valeurs morales au cœur de leurs actions et leurs comportements.
Le souci d’éthique devrait animer l’organisation des consultations autour du « Gouvernement d’union nationale » à même d’ordonner les priorités et le programme d’action du prochain cabinet. Une vision plus large englobant l’aspect moral et « spirituel » du développement devrait prévoir un engagement moral profond et solennel de toutes les parties prenantes sur une trêve sociale et une réconciliation économique qui auraient à mettre fin aux surenchères, aux tractations, aux agitations sociales et aux revendications démesurées. Faute de quoi, une telle initiative prônant l’unité, le consensus, l’union et l’intérêt général serait une entreprise mal adaptée, peu rentable et vouée à l’échec.
La morale devrait nous amener à nous demander quels sont, en plus des éléments de politiques publiques, les attitudes, les normes, les valeurs et les pratiques appropriées qui pourraient sortir notre économie de sa torpeur et créer un cercle vertueux qui servirait le bien-être social et la stabilité politique. Faisons preuve du sens éthique, de responsabilité, de sincérité et de transparence pour réussir notre transition économique. L’intérêt national nous interpelle !

Alaya Becheikh

Related posts

Nouvelles règles d’origine : une révolution silencieuse pour le commerce extérieur ?

Charles-Nicolle : première kératoplastie endothéliale ultra-mince en Tunisie

Affaire du complot : Qui sont les accusés en fuite ?