Etre homosexuelle en Tunisie: Les temps changent ?

Dans la majorité des pays arabes, l‘homosexualité est un délit passible au moins d’emprisonnement et au plus de peine de mort. L’homosexualité n’est pas acceptée car interdite par la loi et très mal vue par une société traditionnelle, la plupart du temps, guidée par des valeurs religieuses. En Tunisie, pays pourtant reconnu plus ou moins tolérant, l’homosexualité est un sujet tabou rendant les personnes qui présentent ce genre d’identité, des personnes qui souffrent de leur entourage surtout lorsqu’il s’agit d’une femme.

Pourtant, c’est avec une certaine fierté que les Tunisiens avaient accueilli la palme d’or attribuée à Abdellatif Kechiche pour son film  « La Vie d’Adèle » au festival de Cannes. Le thème du film qui narre pourtant l’histoire d’amour de deux jeunes homosexuelles n’a pas fait l’unanimité et a même généré des questions sur l’autorisation de ce film dans les salles en Tunisie.

Cet article a été rédigé bien avant l’évolution qui a marqué la scène ces derniers jours et qui a vu la création de l’association «Shams» et l’obtention de son visa. Nous le publions tel quel par respect à nos engagements avec les personnes interviewées qui nous ont fait confiance.

Le sujet demeure tabou et certains islamistes n’ont pas manqué d’exprimer leur point de vue sur le sujet tel l’ex-ministre des Droits de l’Homme Samir Dilou qui avait déclaré que l’homosexualité était une perversion sexuelle et une maladie mentale. Il est à rappeler également que ce ministre avait également rejeté parmi les recommandations de l’ONU, la dépénalisation de l’homosexualité, lors du Conseil des Droits de l’Homme. L’homosexualité masculine est toujours très peu abordée en Tunisie et plus encore l’homosexualité féminine. Rares sont les femmes qui ont l’audace d’en parler et vivent leur sexualité cachées. Le parcours d’une homosexuelle en Tunisie demeure celui d’une combattante. Une tragédie dont les actes sont ceux d’une pièce de violence et de rejet. Chez nous, les exemples d’homosexuelles qui consultent psychologues et psychiatres pour changer d’identité sont harcelées souvent par la famille. Mais quelle déception pour celles-ci et surtout pour les parents lorsqu’ils sont informés  qu’il  n’y a rien à changer, que rien n’est pathologique et que seules les anomalies sont soignées. Evoquer le cas de l’homosexualité est une raison supplémentaire pour parler d’une catégorie de personnes qui traînent la douleur  de ne pas pouvoir vivre leur homosexualité comme elles l’entendent. Nous avons relevé des cas dans certaines  familles (dont l’une  d’elle  avait fait toute une confession en 2006 dans la revue consœur Femmes et Réalités), où la fille ou le fils homosexuels ont été poussés à finaliser des mariages de façade pour sauver l’honneur vis-à-vis de la société. La plupart du temps, il s’agit de personnes qui ont atteint un certain âge et dont les proches les pressent pour les voir mener une vie normale. Ils n’hésitent pas alors à leur trouver celle ou celui qui accepterait de les épouser et avoir des enfants. Des règles sont alors établies d’avance pour la réussite de l’union, entre les deux parties. Chacun vivra sa vie  comme il l’entend, mais à une condition: s’entourer de la plus grande discrétion. Notre société, pourtant  conservatrice pousse les femmes homosexuelles à sceller une union avec un homme dont elles ne partageraient jamais le lit sauf pour de rares occasions, pour faire des enfants. La société semble s’accommoder à ce double jeu. Ironie  du sort, ce genre d’union peut durer plus longtemps, contrairement à d’autres unions. Selma K. qui a subi ce genre de situation, juste pour avoir un enfant légal (elle a déjà eu une petite fille âgée aujourd’hui de deux ans)  affirme : «Les dégâts sociaux ne sont pas sans importance dans ces unions fabriquées telle la mienne. Celles-ci dérivent la plupart du temps vers des pratiques  contraires aux règles et à la morale qui régissent les  rapports dans les couples normaux Les liens finissent par se détériorer à force de mener chacun de son côté  une sexualité défrimée. Une fissure du deal initial  que les familles désiraient tant le voir se concrétiser, se brise».

Cependant et encore une fois, tant que la loi du silence qu’imposent ces arrangements prévaut, l’entourage  n’en saura rien. Ces arrangements constituent une règle devant être respectée par tous les concernés.

Assumer sa différence

En parallèle à ce dossier, nous avons rencontré trois homosexuelles qui ont finalement accepté de témoigner. Pour des raisons évidentes, nous tairons leur véritable identité en les nommant Sonia, Fatma  et Emna.

Lorsque nous avons voulu savoir s’il existait des  groupes  ou des associations,  Emna affirme : «  Il y a deux  types d’associations en Tunisie. : LGBT qui regroupe les homosexuels hommes et  femmes et LBT, centrée uniquement sur les femmes, avec une démarche beaucoup plus féministe. Pour l’instant, c’est un travail extrêmement discret et embryonnaire qui se concentre beaucoup plus sur la recherche  que sur les revendications. Une manifestation de rue par exemple est encore bannie, car cela discréditerait la cause ».

Les réseaux sociaux sont-ils pour vous un moyen de vous faire connaître ou encore pour avoir des relations ?

Facebook par exemple est un moyen d’interpellation, mais  aussi de rejet. Les réseaux LGBT et LBT existent bel et bien en Tunisie mais ce sont surtout des groupes qui opèrent en toute discrétion (LBT) pour réunir les femmes. La plupart se connaissent.  C’est surtout pour avoir le sentiment de reconnaissance et savoir qu’il y a des personnes qui vivent la même situation.

Ou plutôt le même problème ?

Ce n’est pas le fait d’être homosexuel qui pose problème, c’est le fait d’être homosexuel en Tunisie qui en est un. On ne peut pas vraiment s’afficher librement. C’est pour cela, que des groupes se forment sur Facebook en toute discrétion et ce, pour être au moins informés sur différentes affaires, telle la dernière où il s’agissait du procès d’un homosexuel. Le groupe a aussi ses sympathisants composés d’intellectuels, d’avocats et de différents juristes.

Vous êtes nombreux dans ce groupe ?

On est nombreux, mais nous n’avons pas de chiffres à part les statistiques internationales qui parlent de 10% dans  chaque pays.

Comment se font les rencontres réelles entre vous ?

On se connaît avant de se connaître à travers nos amis qui en connaissent d’autres. Si vous avez des affinités sur Facebook par exemple, le rendez-vous est pris à l’extérieur. Pour l’instant, ce sont les associations qui sont privilégiées.

Depuis quand ces groupes existent-ils en Tunisie ?

Plusieurs associations sont nées. J’étais dans une association et aujourd’hui je suis dans une autre. La plus ancienne est bien évidemment l’ATL plus centrée sur l’homosexualité et la santé. La toute dernière association est née en 2014, celle où je  suis membre !

Êtes-vous nombreux dans cette association ?

Fatma rectifie : « Oui, on est de plus en plus « nombreuses ! »

Faites-vous des rencontres sur Facebook ?

En ce qui me concerne, j’ai eu des demandes sur ce réseau social. « Les amies » demandeuses ne savent pas qui je suis. Je suis d’ailleurs méfiante et n’accepte pas  facilement les amitiés sur Facebook. Je commence par vérifier les amis communs pour savoir si cette personne provient du groupe auquel j’appartiens, de mon école pour savoir qui elle est. Je pourrais par la suite savoir si elle  appartient ou pas au groupe LGB. Ensuite j’observe  les photos de son album pour savoir comment elle est physiquement comme le font les garçons envers les filles qu’ils viennent d’avoir comme amies. Les rendez-vous pour une rencontre sont rares. Cela reste au niveau des fantasmes. C’est comme les amitiés entre hommes et femmes émanant d’un  réseau. Cela reste souvent virtuel.

Vous êtes née ainsi, c’est-à-dire homosexuelle ?

On naît avant tout bisexuelle. Notre penchant ne se développe et ne se déclenche qu’ensuite selon nos attirances. Personnellement, j’ai été attirée par les femmes très jeune : A l’adolescence, il est vrai que je me posais des questions. Je me cherchais. Ma première expérience avait été avec  un garçon qui voulait sortir avec moi. J’ai accepté, parce que je voulais savoir qui j’étais. Je trouvais son physique pas mal c’est tout. J’avais 15 ans et lui 16. Cette expérience n’a pas duré plus d’une semaine. Je m’en souviens encore  très bien : du lundi au vendredi. Ce garçon  avait essayé de m’embrasser et je ne l’avais pas du tout aimé.  Il n’avait rien compris, mais avait ressenti après un moment qu’il se sentait lui-même femme avec moi. J’avais senti qu’il était comme moi et ne m’attirait pas du tout.

J’avais compris définitivement  que je n’avais et que je n’aurais  aucune attirance envers tous les hommes.

Votre famille est-elle au courant de votre homosexualité ?

Je suis la plus jeune. J’ai une sœur et un frère ainé qui a dix ans de plus que moi. Il me disait toujours qu’il  remarquait cette homosexualité en moi depuis toute petite. Ma sœur, elle,  était déjà au courant. Au début, mes parents le prenaient très mal et puis ma sœur leur a parlé une fois pour toute, suite à un conflit. Mes parents ont un terrible rejet envers moi et puis ils se sont rendu compte et surtout compris que j’étais ainsi. Ils  n’ont plus cherché à me changer. Depuis, ils se sont habitués. Moi j’ai fait mon coming out et je me sens mieux et bien dans ma peau car je me suis retrouvée.

Vous êtes en couple actuellement ?

Pour le moment je suis célibataire. Ma dernière aventure a duré six ans et s’est terminée dans la douleur.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Fonder une famille comme une hétérosexuelle ! Même si cela n’est pas légal en Tunisie, je me vois mariée avec  ma femme ! Je ne me vois pas porter d’enfant, même si  j’aimerais être mère. Mais pour des raisons de santé, je préfère ne pas avoir d’enfants. J’espère que la situation des homosexuels change même un tout petit peu sur le plan social en Tunisie pour mieux vivre.  Il faut beaucoup d’amour dans l’histoire. Les intolérants pensent au sexe plutôt qu’à l’amour. Deux êtres se mettent ensemble, car avant tout ils s’aiment ! C’est une relation jamais hypocrite, mais beaucoup plus vraie que bien d’autres.

C’est la personnalité du partenaire qui compte !

Sonia, quant à elle était une hétérosexuelle  jusqu’à l’âge de 18 ans. Sa première expérience homosexuelle a commencé à 19 ans.

Vous ne voulez pas d’hommes dans votre vie ?

Si je rencontre un homme qui a le même esprit que moi, je pourrai sans doute vivre avec lui. Pour moi, c’est  la personnalité qui compte qu’il soit homme ou femme.

Vous vivez avec quelqu’un ?

Pour le moment je vis en famille mais je suis en couple.

Avoir des enfants dans un couple d’homosexuels est-il possible ?

Je ne pense pas que le fait d’être homosexuel soit un handicap. Cela n’est pas pire que d’avoir un père alcoolique ou être l’enfant d’une trainée ! Ce qui compte c’est l’amour et le respect de chacun. On ne va pas cependant oublier le facteur société tunisienne ! Pour l’instant, je ne pense pas que cette situation se passe ici mais plutôt dans une  société qui tolère cela et ne pas infliger l’intolérance  des autres à l’enfant qui n’a rien demandé.

Vous demandez alors à la société de vous laisser vivre?

Je ne demanderai pas cela car on vit malgré tout !

Vous êtes bien dans votre peau et dans votre tête ?

Oui, mais je peux avoir des problèmes autres ! Je suis bien car à aucun moment je n’ai pensé que ce que je faisais était mal.

Est-ce que vos parents sont au courant de votre homosexualité ?

Je leur dirai le jour où je le déciderai. Pour le moment, je ne vois pas  l’intérêt.

Vous pensez vous installer définitivement avec une  femme ?

Bien évidemment. Ma compagne a presque le même âge que moi.  Nous nous sommes rencontrées par hasard chez des amis communs et nous avions eu le courage de nous parler.

Avez-vous rencontré des femmes mariées ?

Des femmes mariées dans quel sens ?

Femme et femme ! J’en connais qui vivaient avec des femmes et puis se sont mariées avec des hommes !

Est-ce que le militantisme des homosexuels en Tunisie vaut la peine?

Cela vaut la peine au moins du point de vue juridique car jusque-là, l’homosexualité est punie de 3 ans de prison. En Tunisie, les homosexuels sont rejetés, mais tolérés également quitte alors à éliminer carrément cette loi hypocrite. Pire encore, il y a des personnes incarcérées pour ce délit et d’autres qui jouissent pleinement de leur liberté.

Pourquoi d’après vous ?

L’homosexualité est surtout découverte chez les prisonniers.  Déjà sur les lieux de leur incarcération, le délit se passe en prison. Une injustice  qui fait remarquer que les personnes qui ont de quoi s’offrir un espace sont protégées. Les plus riches sont plus ou moins privilégiées par rapport aux plus démunies qui se retrouvent en danger d’emprisonnement. La terreur est plus subie par les gens qui sont déjà démunis. La loi est déjà injuste et encore plus lorsqu’il s’agit des plus pauvres.

Vous considérez-vous musulmane ?

Je suis croyante non pratiquante, mais je suis de culture  musulmane. Je pense que la religion n’a rien à voir avec la sexualité.

Est-ce que vous vous posez des questions sur vous-même ?

J’ai déjà dépassé le stade de me poser des questions. Et puis quel genre de questions ? Pourquoi suis-je amoureuse d’une femme ? J’ai eu la chance d’avoir déjà fait mon feedback.

Vous avez eu ce besoin d’en parler ?

Evidemment ! Je me suis confiée aux cousins et cousines

La réaction qui vous a le plus marquée ?

C’est celle de savoir qui était ma compagne et d’avoir entendu ensuite un cousin s’exclamer : « Ah c’est  elle ? Mais elle est trop belle !  J’aurais tellement voulu sortir avec elle !». Finalement, Je n’ai étonnamment pas eu de mauvais retours. Une cousine m’a même affirmée que cette confidence n’allait rien changer dans nos rapports.

Le mot de la fin ?

Je n’accepte toujours pas l’idée qu’en Tunisie  l’orientation sexuelle de chacun ne fasse pas  partie de choix personnel. D’ailleurs on n’accepte pas non plus la différence raciale, religieuse ou autres. Tout est encore relié au patriarcal où le père doit être le père de son fils ou sa fille. Sous d’autres cieux, le schéma patriarcal n’est plus le seul schéma.  Mais seuls ceux qui croient en l’amour sont tolérants.

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