Les absents ont toujours tort et les États-Unis n’échappent pas à cette règle. Au sommet européen organisé au Portugal ce week-end, il était possible de lire un sentiment d’impatience à l’égard de leur vieil ami américain. Lors de cette réunion, le président Emmanuel Macron a exhorté Washington à arrêter de bloquer leurs exportations du vaccin contre le Covid-19. Dans la foulée, la chancelière allemande Angela Merkel a emboîté le pas à son homologue français, appelant les Américains à ouvrir le « marché ».
Cette passe d’armes est l’occasion pour L’Express de faire un point sur la générosité – ou non – des pays occidentaux concernant le partage des vaccins dans le monde. Ces derniers jours, Paris et Berlin se réveillent sur la question de la levée des brevets après que le président américain Joe Biden s’est déclaré, contre toute attente, favorable à cette possibilité. Mais derrière la bonne volonté affichée des Occidentaux, les pays riches n’ont pas tendu la main aux plus pauvres dans cette crise sanitaire où le chacun pour soi était souvent de mise.
Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir tiré la sonnette d’alarme. Début avril, le directeur général de l’ONU, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a donné de la voix pour décrire le « déséquilibre choquant dans la distribution mondiale des vaccins ». Il a dénoncé l’attitude de certains pays riches où un quart de la population est vacciné envers les pays pauvres où seulement une personne sur 500 a été immunisée contre le Covid-19. Et les calculs de la Banque mondiale confirment ces inégalités : les Etats « à revenus élevés » ont accaparé près de 50 % des doses injectées jusqu’ici, alors qu’ils ne représentent que 16 % de la population de la planète, rappelle le quotidien régional La Dépêche.
*Les pays riches se cachent derrière le Covax
Plus parlant encore, les États-Unis, le Canada et même l’Allemagne ont décidé de vacciner les enfants dès 12 ans. En France, ce sont les adolescents à partir de 16 ans présentant des facteurs de risque qui y ont accès dès maintenant. Mais ce n’est pas la priorité comme l’a suggéré Kate O’Brien, directrice du département immunisation et vaccins à l’OMS : « Nous aimerions vraiment insister sur le fait que la priorité doit vraiment être de fournir des vaccins à tous les pays du monde pour les groupes les plus prioritaires avant de commencer à vacciner les groupes qui ont un risque beaucoup plus faible de contracter la maladie. »
Pourtant, le mécanisme de solidarité Covax était censé garantir un accès équitable à la vaccination contre le Covid-19. Le concept est simple : des pays riches et des fondations donnent de l’argent pour développer et acheter des vaccins afin que 122 pays puissent protéger leur population. Sur le papier, l’idée est alléchante. Sauf que la machine semble enrayée puisque seulement 59 millions de doses ont été livrées alors que l’objectif affiché était évalué à 2 milliards sur l’ensemble de l’année 2021. Sans surprise, les plus gros donateurs sont les Américains avec 2,1 milliards d’euros, suivis par l’Allemagne (820 millions) rapporte le quotidien Libération. La Commission européenne donne 400 millions d’euros et la France verse 100 millions au programme.
Plus globalement, l’Union européenne aime se positionner en acteur solidaire portant secours aux pays les plus démunis. Dans les faits, Bruxelles est généreuse puisqu’elle inonde une partie du monde avec ses flacons : 50% de ce qu’elle produit est envoyé à l’étranger. Alors que plus de 200 millions de doses de vaccins ont été exportées par l’Union européenne selon le quotidien The Brussels Times, la présidente de Commission européenne Ursula Von der Leyen a applaudi des deux mains : « L’Europe a réussi ce succès tout en restant ouverte sur le monde. Alors que d’autres gardent leur production de vaccins pour eux-mêmes, l’Europe est le principal exportateur de vaccins dans le monde. »
*Exportation de vaccins : l’entre-soi reste la norme
Mais lorsqu’on gratte un peu, le vernis se craquelle. Car sur la liste de ses clients, la majorité sont des pays privilégiés. Le premier importateur de vaccin européen est le Japon qui a reçu 72 millions de vaccins, suit ensuite le Royaume-Uni (19 millions), puis le Canada (18 millions), le Mexique (10 millions), l’Arabie saoudite (7 millions) ou encore la Suisse (5 millions). Le quotidien The Brussels Times a donc fait les calculs : l’Union européenne n’aurait donné que 22 millions de doses de vaccin à ce jour à des pays à faible revenu via le mécanisme Covax ou bilatéralement par les États membres de l’UE. À noter que certains d’entre eux n’ont pas encore été livrés.
Ces derniers jours, les pays semblent vouloir remettre la morale au coeur de leur diplomatie. Alors que les pays riches entrevoient le bout du tunnel sur le plan sanitaire, ils jettent un oeil aux pays pauvres qui les entourent. Le 23 avril, la France a été le premier pays à avoir effectué un don Covax de doses achetées : 105 600 doses du vaccin AstraZeneca ont été envoyées à la Mauritanie d’après Libération. De son côté, l’Espagne a promis de donner entre 5 et 10% des doses qu’elle recevra en 2021 via Covax. Le Portugal a annoncé qu’il partagerait 5% de ses doses. Enfin, la Suède a annoncé lundi qu’elle prévoyait de faire don d’un million de doses de vaccin à Covax du vaccin AstraZeneca.
(L’Express)