La beauté portée aux nues

L’Institut du monde arabe (IMA) présente jusqu’au 15 juillet 2012 à Paris une exposition d’art moderne et contemporain axée sur la figuration du corps et le nu dans les arts visuels arabes.

 

Avec 70 auteurs et 200 œuvres couvrant un siècle de réalisations, l’ambition de la manifestation est de montrer non seulement que le corps n’est pas banni de la production artistique arabe, mais aussi qu’il y aurait par delà la manière propre à chaque créateur une mise en scène arabe du corps.

Pour y parvenir, les organisateurs ont déployé l’exposition sur deux niveaux, deux axes : chronologique et thématique.

Le premier niveau montre les cheminements des artistes arabes, proche-orientaux pour la plupart, qui, à la fin du 19e siècle et alors qu’il n’y avait guère d’écoles dans la région, voyagent en Italie, en France ou en Angleterre pour s’initier à la peinture sur chevalet et apprendre la nature morte, la perspective ou le nu.

Dans un contexte dominé par l’académisme, ils découvrent avec surprise un univers orientaliste exubérant ponctué d’odalisques impudiques, de harems voluptueux et de hammams parfumés, où ils ne se reconnaissent pas. Après avoir composé avec ces stéréotypes, dès 1920-1930, ils s’emploient à leur répondre avec leurs propres signes et à se rapproprier l’Orient.

L’Endormie (1933) de Mahmoud Saïd, Les nus sur pied de Georges Daoud Corm, le Nu devant la ville (1921) de Georges Hanna Sabbagh, jouent de la thématique orientaliste pour s’en éloigner et la faire résonner de nouvelles nuances. Du côté de la sculpture qui, plus encore que le dessin, peut être suspectée d’idolâtrie, l’Égyptien Mahmoud Mokhtar avec La Fiancée du Nil (1929) conjugue l’héritage pharaonique et l’enseignement européen.

Le second niveau, plus composite, est partagé entre abstraction et réalisme. Il décline dans des œuvres récentes toutes les physionomies : maternité, travestissement, transfiguration, vieillissement, meurtrissure, sexualité…

La diversité des médiums (photographie, vidéos, installations) rajoute à la singularité des approches comme si l’expression plastique commençait par un affranchissement de l’histoire de l’art et se poursuivait par le chamboulement des interdits.

La participation des femmes artistes s’accentue, d’ailleurs, dans cette partie réservée à la création récente.

Ici, le corps affirme l’individu autant qu’il l’exhibe. Dès lors, paradoxalement, l’exposition ne fait plus corps. Les créations se juxtaposent et se concurrencent.

Le visiteur doit alors s’accrocher au fil conducteur de la thématique ou bien le laisser filer, s’adresser séparément à chaque pièce et laisser l’émotion comparaitre ou se dérober.

Au demeurant, cela ne retranche rien à l’intérêt de telle ou telle œuvre : les photos gouachées de Natacha Atlas par Youssef Nabil, les blasons en forme de vulve de Lamia Ziadé, la vidéo Ping Pong d’Adel Abidin où une femme nue sert de filet à deux hommes disputant une partie ; elle gémit quand la balle frappe son corps pâle.

Au sortir du Corps découvert on concède sans effort que l’exposition prodigue des images inhabituelles et rares puisque la plupart des travaux appartiennent à des collections privées. Mais l’adhésion reste incomplète.

Tout d’abord, l’exposition entre en réaction contre les raidissements actuels dans le monde arabo-islamique sur les questions de pudeur. L’effet de découverte est tangible, mais au prix d’un effet de halo, d’une contre évocation de cette pudibonderie autoritaire qui n’est ni une constante ni une singularité.

L’Antiquité grecque est volontiers associée à la célébration du corps ; mais lors des expositions publiques, les pubis féminins des statues étaient, selon l’expression, artistement couverts.

Il y a peu, la Cour suprême du Japon, habituée aux détails de droit les plus scabreux, avait dû juger la décision des douanes de saisir pour obscénité des photographies de R. Mapplethorpe. La censure du corps est la rengaine des puritains de tous temps et en tous lieux.

Ensuite, l’exposition est sous-tendue par l’idée assez séduisante qu’il y aurait un art arabe fondé sur le regard et la manière de voir. Elle laisse envisager tout un jeu entre voiler et dévoiler. Le parcours ne convainc pas totalement sur ce point, tant la disparité des représentations picturales du corps qu’elle énumère est étendue. On retrouve une amplitude comparable dans l’art occidental sur la même période : depuis le scandale de l’Olympia de Manet en 1863 jusqu’à Klein qui emploie le corps des modèles comme pinceaux.

Enfin, les œuvres exposées sont-elles représentatives ? A y regarder de plus près, elles semblent le fait de cercles culturels d’abord occidentalisés et désormais mondialisés. La quête de l’art commençait par le voyage de Londres, Paris ou Rome, elle se prolonge de résidences dans ces villes et d’expositions dans les grandes foires internationales.

Il y a dans les réserves de l’IMA le fonds un peu oublié d’un homme discret dont l’œuvre a encore à dire sur l’art de dire le corps et le découvrir. Styliste pour de grandes maisons de couture à partir de 1934, Jean Besancenot s’est mis à parcourir le Maroc par ses propres moyens pour photographier les accessoires et les costumes d’apparat. En échange de croquis, il a collecté plusieurs dizaines de milliers de clichés, dont il faisait la synthèse sur toiles grandeur nature dans son atelier de la rue de Verneuil.

Pendant une de ses longues attentes dans un village, il avait remarqué une femme dont le vêtement échancré, quand elle allait et revenait du puits la cruche sur la tête, laissait apparaître le sein bien fait.

Etonné, il s’est poussé à engager la conversation avec elle, sur son habit et sur ce qu’il laissait voir. La réponse de cette villageoise  fut : « Il est bon de montrer la beauté là où elle se trouve. » Le corps est aussi un art populaire, les plus artistes ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Par Robert Santo-Martino ( de Paris pour Réalités)

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