Le rôle de la Cour des comptes est de contrôler les financements des partis politiques et des candidats indépendants lors des campagnes électorales, et ce, selon le décret-loi de 1987 sur le financement des partis politiques ainsi que selon la nouvelle loi électorale de 2014. La loi électorale 2014 a apporté quelques modifications, mais reste imparfaite. Mme Fadhila Gargouri, présidente de chambre à la Cour des comptes nous fournit ses éclairages.
Quel bilan la Cour des comptes a-t-elle établi sur le financement des campagnes électorales des législatives de 2011 ?
La Cour des comptes a effectué un contrôle sur les ressources et les dépenses de la campagne électorale de 641 listes partisanes, de coalition ou indépendantes qui ont respecté les dispositions légales et déposé leur comptabilité à la Cour des comptes sur un total de 1662 listes, soit 40% des candidats. La Cour des comptes a constaté que 50% du financement public d’un montant global de près de 9 millions de dinars a été attribué à des partis, des listes indépendantes et des listes de coalition qui n’ont pas présenté leur bilan financier. Il a été constaté aussi que 911 listes ayant bénéficié de près de 3 millions de dinars au titre de la seconde tranche du financement public ont obtenu moins de 3% des voix exprimées. Sachant que l’article 53 du décret -loi n° 2011-35 a disposé que «toute liste n’ayant pas obtenu au moins 3% des suffrages exprimés au niveau de la circonscription électorale doit restituer la moitié de la subvention». L’examen d’un échantillon de 600 comptes bancaires uniques, représentant 73% des comptes ouverts au titre de la campagne électorale, a permis de constater que 74% des listes des candidats comptaient entièrement sur la subvention publique, alors qu’elle- doit représenter le tiers des subventions. Les deux tiers restants proviennent du financement privé et de l’autofinancement. Le rapport de 2011 montre que 500 arrêts de la Cour des comptes portent sanctions pour des candidats qui n’ont pas déposé leurs comptes auprès de la Cour. Les sanctions consistent en des amendes qui varient entre 700 et 5.000 dinars. En conclusion, le refus de présenter les comptes à empêché la Cour des comptes d’exercer son contrôle sur le financement de la campagne électorale des parties concernées, de s’assurer que les revenus proviennent de sources légitimes, que les dépenses effectuées sur les indemnités au titre de l’aide publique au financement de la campagne électorale ont été conformes à la règlementation, aux fins auxquelles elles sont destinées, à la publication des résultats du contrôle au public. Cette irrégularité constitue une violation des dispositions du décret-loi électoral et empêche la concrétisation des principes de transparence et d’égalité qu’il a prescrits.
Que reproche la Cour des comptes à la loi électorale de 2011 ?
Certes, le décret-loi électoral a pris soin d’offrir toutes les garanties légales pour réaliser des élections transparentes, mais demeure incomplet. En effet le cadre juridique relatif au financement de la campagne électorale n’a pas défini la notion de dépenses électorales ouvrant ainsi la voie à l’interprétation et à la confusion. La fixation du montant de la sanction financière que la Cour des comptes peut infliger aux parties et aux listes qui ont commis des infractions liées au défaut de présentation des comptes a présenté un problème. En effet, considérant le caractère pénal des dispositions du décret-loi n°2011-91 dans le domaine des sanctions financières, l’interprétation ne peut être que restrictive et au bénéfice de l’auteur de l’infraction, ce qui ne permet pas à la Cour des comptes de doubler le montant maximum lorsqu’elle constate qu’un parti a commis plus d’une infraction dans plus d’une circonscription électorale. En conséquence, la peine maximale qui peut être infligée à un parti politique qui refuse de déclarer ses comptes pour toutes les circonscriptions dans lesquelles il a présenté des listes de candidats reste dans la limite de cinq mille dinars, ce qui rend le parti qui n’a pas présenté ses comptes non exposé à la sanction pour chaque infraction commise.
Entre la loi électorale 2014 et celle de 2011, quel changement ?
La loi électorale 2014 apporte des textes législatifs sur la définition des contextes de base tels que le financement privé ou étranger. Des notions non définies lors des élections 2011. Heureusement que la loi électorale 2014 s’est penchée là-dessus avec des définitions assez claires. Lors de l’élaboration de loi électorale 2014, les députés ont sollicité la Cour des comptes qui a déjà émis des recommandations après son bilan des élections de 2011. Malheureusement, l’Assemblée nationale constituante n’a tenu compte que de quelques-unes de nos recommandations. En ce qui concerne l’ouverture des comptes bancaires et de leur gestion, la loi 2014 a tenu compte des recommandations de la CC de la nécessité d’avoir un gestionnaire du compte. Pour l’adoption d’un cadre comptable pour le financement et la campagne électorale, une norme comptable spécifique devrait être mise en place par le ministère des Finances et les experts comptables. Pour le financement nous avons recommandé que le financement public ne soit pas fait d’une façon préalable, mais après les vérifications de la Cour des comptes a posteriori, sachant que sur le plan international le financement des campagnes est considéré a posteriori. Les députés de l’ANC ont préféré donner à chaque liste électorale le droit de financement public de façon préalable, notamment pour la première tranche qui va être distribuée avant la campagne électorale. L’argument des députés est qu’il existe des partis politiques et des indépendants incapables de financer des campagnes électorales et donc n’auront pas la même chance que les partis riches. Quant à la seconde tranche, elle sera accordée sur demande des candidats. Cela dit, le point positif c’est que la liste électorale partisane ou indépendante ou de coalition n’a le droit de bénéficier de la seconde tranche qu’après la promulgation des résultats finaux des élections. De telle façon que ceux qui n’ont pas obtenu 3% de vote ou de chaises à l’Assemblée ne peuvent avoir droit de bénéficier de la seconde tranche du financement public. D’un autre côté, nous avons espéré que la loi électorale 2014 porte comme condition de candidature le recouvrement des amendes, mais les députés ont exigé plutôt que le candidat présente un reçu du ministère des Finances pour la restitution de la seconde tranche, mais pas pour les amendes. Pour le montant de financement pour les souscriptions, la loi électorale de 2014 donne plus d’équité aussi par rapport au montant du financement public pour chaque circonscription. En 2011 le montant a été déterminé suivant le nombre des votants. La Cour des comptes trouve cette mesure inéquitable, car le coût de la vie n’est pas le même à Tunis et à Sidi Bouzid par exemple. La Cour des comptes a proposé de se baser sur deux facteurs. Le nombre des électeurs potentiels et du coût de la vie et l’étendue géographique de la circonscription qui génère un coût. Selon ces critères, une grille sera mise en place et on déterminera le montant du financement. De cette façon le principe d’équité sera appliqué.
Comment jugez-vous actuellement les prérogatives de la Cour des comptes ?
Cette loi électorale 2014 précise les principes de contrôle de la Cour des comptes. Chaque parti politique et chaque liste électorale indépendante ou de coalition doit normalement fiancer ses campagnes et déposer ses comptes à la Cour des comptes. La Cour des comptes, suite aux travaux d’instructions, va juger la sincérité des comptes, la régularité des dépenses et si le financement public a été utilisé dans des dépenses électorales. La dépense électorale se définit par rapport à trois critères : la neutralité de l’administration, l’équité et la transparence. La neutralité de l’administration, c’est qu’il ne doit pas y avoir utilisation des moyens de l’État dans les campagnes électorales. L’équité entre les candidats veut dire qu’ils ont le même droit de bénéficier du financement public et ne pas dépasser un seuil fixé par la loi électorale. Partis, petits ou grands, doivent dépenser la même somme d’argent dans une circonscription. En même temps pour le principe de la transparence, un candidat qui présente sa candidature à Sidi Bouzid par exemple ne fera pas sa campagne électorale à Nabeul. La dépense doit être effectuée dans la circonscription concernée. En 2011 on a constaté que l’argent public a été dépensé à des fins personnelles, la construction pour l’achat de véhicules n’a rien à voir avec la campagne électorale. Au niveau des sanctions, nous avons demandé à ce qu’il y ait diversification des sanctions et une proportionnalité entre le degré de gravité de l’infraction et de la sanction. Contrairement à 2011, la loi électorale de 2014 octroie à la Cour des comptes la prérogative de juger les dépenses et lui permet d’arrêter une liste de dépenses jugée non électorale que le candidat doit restituer au trésor public. Pratiquement, aujourd’hui à chaque infraction correspond une sanction. Cela nous permet de rendre plus efficace notre contrôle. Ce contrôle, comme celui de 2011, s’effectuera a posteriori sur les comptes, mais aussi peut-être en parallèle à la campagne électorale.
La Cour des comptes aura-t-elle les moyens d’identifier l’achat des voix ou le flux de l’argent liquide ?
En 2011 on a préparé un programme de visite sur terrain pour nos magistrats. Nous avons essayé d’assister à la majorité des manifestations pour avoir une idée sur l’argent dépensé lors de ces événements, notamment concernant la distribution des cadeaux. En 2011, nous avons constaté que les candidats ont dépassé la valeur fixée par la loi par rapport à la distribution des cadeaux. Cela nous a permis de collecter des informations et de juger ainsi de la sincérité des comptes déposés par les candidats. Pour la préparation du contrôle de la campagne de 2014 à partir du 4 octobre, nous avons révisé le manuel des procédures à travers des sessions de formation pour la vulgarisation de la loi électorale ainsi que du décret d’application sur le financement public et sur l’arrêté de l’ISIE. Cela étant dit, la Cour compte plus sur la société civile par rapport à ce point précis et mise sur les dénonciations des citoyens. Certes, en 2011 nous avons reçu des dénonciations, mais malheureusement elles n’étaient pas fondées puisqu’elles ne fournissaient pas de justificatifs. Il ne suffit pas de dénoncer, mais il faut qu’il y ait des preuves pour qu’on réagisse.
Il faut rappeler que c’est grâce à la société civile que nous avons pu avoir une nouvelle loi électorale.
En effet oui. La société civile a présenté trois projets de loi électorale contre aucune proposition de la part du gouvernement. Et c’est en se basant sur ces trois projets et sur les recommandations de la Cour des comptes que les députés ont approuvé cette version finale. Pour le point précis du financement public et des lois qui en résultent, c’est le reflet de la politique du pays et de sa volonté. En voyant les lois actuelles, nous pouvons dire que la politique tunisienne actuelle n’a pas donné à ce point son importance. Nous, les techniciens, avons relevé tous les problèmes et nous avons présenté nos recommandations, mais les politiques ont tranché à la fin. Heureusement que la société civile a pris l’initiative de proposer le projet de loi électorale, sinon on aurait attendu longtemps le gouvernement et notamment notre législation.
Comment la valeur du financement a-t-elle été déterminée ?
Chaque pays fixe la proportionnalité de son financement par rapport aux ressources de financement des campagnes électorales privées et l’autofinancement, selon ses finances et ses politiques. La loi électorale de 2014 a fixé le financement public à un cinquième du total du financement contre le tiers pour les législatives de 2011. Ainsi deux cinquièmes seront issus de l’autofinancement et deux cinquièmes du financement privé. Cela permet que le plafond électoral soit plus élevé que celui de 2011,, soit cinq fois le financement public. En 2011 le tiers qui a été décidé a varié entre 2.100 dinars et 11.000 dinars par liste.
Najeh Jaouadi
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