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Les impacts du changement climatique sont déjà dévastateurs et « le pire est à venir », détaille sur 4000 pages le rapport rédigé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
Ce texte des experts climat de l’ONU est bien plus dramatique que le précédent de 2014. Près de 2,5 milliards de personnes supplémentaires seront affectées d’ici 2050 par des risques climatiques, des vagues de chaleur aux inondations, en passant par l’impact sur l’agriculture. Alors que le rapport doit être publié en février 2022, soit après l’importante conférence climat de la COP26, prévue en novembre à Glasgow (Ecosse), voici les principales conclusions de ce texte qui évoque des impacts déjà inévitables.
* »Des impacts irréversibles »
Un réchauffement climatique durable supérieur au seuil de +1,5°C aurait des « impacts irréversibles pour les systèmes humains et écologiques », avertit le rapport. L’accord de Paris de 2015 fixait un objectif maximal de +2°C de réchauffement par rapport à l’ère pré-industrielle, et si possible +1,5°C. Mais les trajectoires actuelles ne permettent pas de les atteindre selon les scientifiques. « La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas », alerte le résumé technique de 137 pages.
La vie sur Terre telle que nous la connaissons sera inéluctablement transformée par le dérèglement climatique quand les enfants nés en 2021 auront 30 ans, voire plus tôt, signale le texte. Quel que soit le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les impacts dévastateurs du réchauffement sur la nature et l’humanité qui en dépend vont s’accélérer, assure le Giec, et devenir douloureusement palpables bien avant 2050.
Si la température augmente de +1,5°C à +2°C, 1,7 milliard de personnes supplémentaires seront également exposées à de fortes chaleurs, 420 millions à des chaleurs extrêmes et 65 millions à des canicules exceptionnelles tous les cinq ans. Ces épisodes caniculaires vont mettre à mal les limites de la résistance humaine à la chaleur. Plus encore qu’en chaleur absolue, dont les records tombent déjà régulièrement, la capacité à résister à ces extrêmes s’évalue par un concept connu des scientifiques : la « température humide » ou du « thermomètre mouillé », transcrite par le sigle « TW ».
Cette mesure prend en compte l’humidité relative ambiante et ses possibilités d’évaporation. Sachant qu’un corps ne peut perdre de chaleur si cette température extérieure TW dépasse la sienne, les scientifiques s’accordent : l’être humain ne peut survivre longtemps à 35 degrés TW.
*Pénurie d’eau et malnutrition
Jusqu’à 80 millions de personnes supplémentaires seront menacées par la faim d’ici 2050, conséquence en cascade de mauvaises récoltes, d’une baisse de la valeur nutritive de certains produits et d’une envolée des prix. « La santé humaine repose sur trois piliers : la nourriture, l’accès à l’eau et le logement. Or ils sont vulnérables et menacent de s’effondrer, » analyse Maria Neira, directrice du Département de l’environnement, des changements climatiques et de la santé de l’Organisation mondiale de la Santé.
Côté approvisionnement en eau, un peu plus de la moitié de la population mondiale est en situation d’insécurité. Et près de 75% des approvisionnements en eaux souterraines – principale source d’eau potable pour 2,5 milliards d’humains – pourraient être impactés par le changement climatique d’ici à 2050, alors que la fonte des glaciers a déjà « fortement affecté le cycle de l’eau » (cours d’eau, mers, évaporation, pluie).
Le manque d’eau pourrait mettre en péril la riziculture dans 40% des régions productrices, alors que la production mondiale de maïs a déjà chuté de 4% depuis 1981 en raison du changement climatique, le mil et le sorgho de 20% et 15% respectivement. La fréquence des mauvaises récoltes augmente régulièrement depuis 50 ans et la multiplication d’événements météo extrêmes touchera de plus en plus la production. La pêche sera aussi touchée, avec des captures potentielles en baisse de 40 à 70% dans les zones tropicales d’Afrique.
Autre conséquence, plus de 10 millions de cas supplémentaires de malnutrition ou de rachitisme infantile sont attendus en Afrique ou en Asie d’ici à 2050. Les régions du monde « où les productions agricoles seront le plus affectées par le climat (…) sont aussi celles où les populations souffrent déjà de forts taux de malnutrition, » relève Elizabeth Robinson, professeure d’économie environnementale à l’université britannique de Reading.
*De nombreux écosystèmes menacés
Les forêts, tropicales ou boréales, sont particulièrement concernées, avec l’augmentation des températures, de l’aridité et des incendies. Dans un scénario pessimiste, l’Amazonie pourrait même atteindre un point de non-retour et en partie se transformer en savane, privant le monde d’un puits de carbone indispensable pour freiner le réchauffement.
L’extinction des espèces animales et végétales – pas seulement liée au réchauffement – serait 1000 fois plus rapide qu’au milieu du XIXe siècle. Avec un réchauffement entre +2 et +3°C, jusqu’à 54% des espèces terrestres et marines pourraient être menacées de disparition d’ici la fin du siècle. Même à +2°C, la faune polaire (pingouins, phoques, ours) sera menacée. Et à simplement 1,5°C, 70 à 90% des récifs coralliens sont en danger.
*Les maladies vont augmenter
Le réchauffement agrandit les territoires propices aux vecteurs de maladies, notamment les moustiques. D’ici à 2050 la moitié des habitants de la planète pourrait être exposée à la dengue, la fièvre jaune ou des virus comme zika. Les ravages du paludisme ou de la maladie de Lyme vont s’amplifier et les décès liés aux diarrhées infantiles augmenter au moins jusqu’au milieu du siècle, malgré le développement socio-économique.
Les maladies liées à la qualité de l’air, notamment la pollution à l’ozone, typique des vagues de chaleur, vont aussi « substantiellement augmenter ». « Il y aura également des risques accrus de contamination de l’eau ou des aliments » par les toxines maritimes, avertit le rapport. Par ailleurs, les experts du Giec anticipent aussi des pressions sur les systèmes de santé, comme celles apparues pendant la pandémie du Covid-19, avec leurs « conséquences importantes et négatives pour les plus vulnérables ».
*Des déplacements de population à prévoir
Les villes côtières sont désormais menacées par l’océan qui avait permis leur essor, sous l’effet du réchauffement. De Bombay à Miami, Dacca ou Venise, ces cités et leurs millions d’habitants installés à l’embouchure d’estuaires ou sur les lignes sinueuses du littoral sont « en première ligne » de la crise climatique qui risque de redessiner les cartes des continents, s’inquiète le projet de rapport du Giec.
Par conséquent, les impacts du réchauffement vont également forcer de nombreuses familles à abandonner leur foyer. Les inondations déplaceront par exemple en moyenne 2,7 millions de personnes en Afrique. D’ici 2050, entre 31 et 143 millions d’habitants (selon les niveaux d’émissions) d’Afrique sub-saharienne, d’Asie du Sud et d’Amérique Latine seront déplacés à l’intérieur de leur pays en raison des pénuries d’eau, de pression sur l’agriculture et de la hausse du niveau des mers. Parmi les exemples concrets, l’Indonésie a déjà prévu de transférer sa capitale Jakarta à Bornéo.
*Une croissance économique en berne
Les événements climatiques extrêmes réduisent la croissance économique, à court terme, après une catastrophe, et jusqu’à dix ans après, surtout dans les pays pauvres. Même avec des mesures d’adaptation (digues, drainage…), les coûts liés aux inondations pourraient d’ici 2050 être multipliés par dix, à 60 milliards de dollars par an, dans les 136 plus grandes villes côtières.
Si la planète gagnait +4°C, scénario catastrophe, le PIB mondial pourrait être inférieur de 10 à 23% par rapport à un monde sans réchauffement. Les infrastructures industrielles sont menacées : les ports sont en première ligne face à la hausse du niveau de la mer, mais aussi les centrales nucléaires dont 40% sont installées près des côtes. Le tourisme en paiera aussi le prix, avec l’érosion des plages ou la baisse de l’enneigement.
(L’Express)