Les mots nous manquent, ce soir, pour exprimer la douleur ressentie suite à la mort du jeune médecin Badereddine Aloui, emporté à cause d’un ascenseur défectueux à l’hôpital régional de Jendouba. C’est un véritable martyr, compte tenu de la noble mission qu’il menait.
C’est aussi une victime et un martyr du service public et de l’administration. Ce service qui ne cesse, au fil des mois, de tuer les enfants de la Tunisie, jeunes et moins jeunes. A la mémoire de ces martyrs, il serait indécent de notre part de distribuer les accusations. Les responsables, il y en a et ils sont nombreux. Mais il faut appeler les choses par leurs noms.
Un État (presque) meurtrier
Baderddine Aloui, comme nous l’avons dit, n’est pas le premier à avoir perdu la vie, à la fleur de l’âge, à cause du dysfonctionnement de l’administration publique et du laxisme. On se souvient, aussi, de la jeune Dhehibi. Cette jeune femme d’à peine 20 ans a perdu la vie alors qu’elle se rendait à son travail à Enfidha – Sousse – en novembre 2020. La cause ? Une chute dans un égout mal entretenu. Là encore, il s’agit d’un service public où les autorités n’ont pas fait leur travail comme il se devait. Il y a, aussi, la petite Farah, de Bhar Lazrag, qui, en octobre 2020, a connu le même triste sort que celui de Meriem.
Nous l’avions dit suite à la mort de Feu Meriem Dhehibi : il y aura d’autres victimes de l’administration. Visiblement, nous ne nous sommes pas trompés – malheureusement -. Le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, s’est rendu au chevet de la famille de Badereddine Aloui ce soir. Il a aussi déploré les précédents décès que nous avons évoqués. C’est louable de sa part. Le ministre de la Santé, Faouzi Mehdi, a exprimé sa profonde tristesse, affirmant qu’il a été touché par la mort de Badereddine en tant qu’humain mais aussi en tant que médecin. C’est louable aussi de sa part. Tout le monde s’est empressé de pleurer Badereddine Aloui – surtout les politiques -.
Soit, et après ? La Tunisie continue de perdre ses enfants, pendant que les responsables de l’administration – pas tous – poursuivent leurs magouilles, leur corruption, leurs appels d’offres douteux partout. Résultats ? Des routes meurtrières, des hôpitaux meurtriers, des égouts meurtriers… Pour résumer : un État presque meurtrier !
Attristé aujourd’hui et on passe à autre chose demain !
Pendant que les politiques se chamaillent, la Tunisie continue de perdre ses enfants. Ces mêmes enfants dont les rêves, pour la plupart, sont brisés. Aujourd’hui, c’est l’émotion. Dans quelques jours, vous allez voir que le sujet sera presque oublié. Les politiques passeront à autre chose et reviendrons à leurs moutons. On ouvre des enquêtes, on crée des commissions d’enquête. Et après ? On oublie. On passe, on vise les élections, on vise tel ou tel poste. On cherche à abattre tel ou tel adversaire politique. On cherche à corrompre un contrat donné, à empocher un autre contrat… C’est la réalité tunisienne, où le pays se transforme en tombe pour ses enfants.
A qui est-ce la faute ? Tout le monde, même nous, les médias, car nous n’avons pas assuré le suivi. On s’était contenté de relater les faits sans aller jusqu’à pointer du doigt les vrais responsables, sans dénoncer le laxisme des uns et des autres. Pour le cas de Feu Badereddine Aloui, c’est, tout d’abord, la direction de l’hôpital régional, c’est le ministère de la Santé et tous les autres intervenants. Dans le cas de la jeune Meriem et de Farah, c’est l’ONAS, c’est le ministère de l’Équipement, les pouvoirs locaux… Tous, sans exception. L’État, comme l’ont souligné plusieurs observateurs, est dramatiquement tombé le jeudi 3 décembre 2020 avec la mort de Badereddine Aloui. C’était le drame de trop, la mort de trop, le crime de trop.
Comme nous l’avons souligné au début, les mots nous manquent ce soir. Badereddine Aloui, Meriem Dhehibi, Farah et tous les autres ne seront pas les seuls martyrs du service public. Les pouvoirs publics doivent sortir de leur long sommeil politique, marqué par des altercations et par des calculs qui volent parfois très bas. La Tunisie est en train de perdre ses enfants en les poussant à se noyer en mer, à êtres engloutis dans des regards d’égouts et à se fracasser au fond d’un trou d’un ascenseur défectueux. Vont-ils enfin entendre son cri de détresse ? Ou plutôt : ont-ils la volonté d’entendre le cri de détresse de la Tunisie et de ses enfants ? Réveillez-vous.
Fakhri Khlissa