5 décembre 1952-5 décembre 2013, 61 ans jour pour jour que le leader historique Farhat Hached a été lâchement assassiné. L’UGTT et le peuple tunisien n’oublieront jamais l’homme qu’était Farhat Hached, leader du syndicalisme tunisien, avec un charisme et une éloquence qui sortaient de l’ordinaire, assassiné par la Main Rouge, une organisation terroriste obscure, mais qui gravitait dans le giron du SDECE (Service de documentation éxtérieure et de contre-espionnage). La récente visite de François Hollande, chef de l’État français et sa remise à Noureddine Hached, fils du leader, d’un nombre important d’archives, vont peut-être nous donner les fils conducteurs des commanditaires et des exécuteurs de ce crime odieux à tous égards. Il faut rappeler ici que l’histoire se répète, certes, mais jamais de la même façon : les auteurs des crimes contre Chokri Belaïd et Mohammed Brahmi ne sont toujours pas dévoilés. C’est dire que l’assassinat politique revêt toujours une acuité particulière, car derrière les exécutants du crime se cachent les véritables responsables que sont les commanditaires.
Du crime politique en général
Depuis la nuit des temps, l’exécution d’opposants, de militants et d’activistes à travers l’histoire n’est pas chose nouvelle. Mais qu’un tel acte soit commandité et mis en œuvre avec la bénédiction d’un État pose de nombreuses questions dont la plus importante touche à l’éthique même de l’État français à l’époque. Des valeurs telles que la Liberté, l’Égalité et la Fraternité étaient-elles devenues de simples vocaux dénués de tout sens éthique ? Les gouvernements français successifs d’avant 1962 justifiaient ces crimes en invoquant l’action de l’État pour faire face au « terrorisme indigène », les fellagas, la nécessité d’assurer la sécurité des Européens vivant dans ce que la France coloniale se plaisait de désigner comme le joyau de son empire colonial qu’était le Maghreb. La confusion entre droit à la résistance et terrorisme a été de tout temps le trait principal d’une politique coloniale
L’assassinat de Farhat Hachad s’inscrit dans un contexte particulier : la colonisation. C’était donc un crime colonial par excellence. La victime était non seulement Fathat Hached,froidement assassiné un certain 5 décembre 1952, mais aussi l’action d’un peuple qui voulait s’émanciper de l’emprise coloniale. Certes, la France de 2013 n’est plus la France de 1952. Mais il est regrettable que des hommes d’État de la France postcoloniale persistent à développer une certaine appréhension à lever le voile sur les zones d’ombre qui accompagnent ce crime. Est-ce le poids de l’histoire ou l’absence de courage à regarder notre histoire commune en face qui les empêchent de faciliter la tâche aux historiens sur cette question ?
Courage politique salutaire, l’initiative Delanöe et Hollande
Ainsi, dans un passé proche, certains hommes politiques français ont tenté de réécrire l’histoire de la France coloniale, en de vantant les mérites de la colonisation. Pis encore, ils se sont activés pour que cette vision tronquée soit inscrite dans les lois de la République. Fort heureusement que des intellectuels, des libres penseurs français et étrangers ainsi que d’innombrables élus se sont levés contre cette vision. L’histoire de la colonisation française et toutes les autres questions mémorielles qui touchent nos deux pays doivent demeurer l’apanage des spécialistes. Certes, le concours de l’État est très important pour accéder aux archives. Mais ce sont les spécialistes de la mémoire qui sont seuls habilités à statuer sur cette question.
Nous pouvons saluer l’initiative de Bertrand Delanöe, Maire de Paris, qui érigea une place Frahat Hached en plein cœur de Paris, même chose pour Mehdi Ben Barka, dont une rue à Paris porte maintenant le nom. C’est dans cette démarche courageuse aussi que François Hollande, actuel chef de l’État français, accepta,lors de sa dernière visite en Tunisie au mois de juillet 2013, de livrer une grande partie des archives qui concerne Farhat Hached à la famille du défunt. Un grand pas fut ainsi franchi
Encore des tabous historiques à briser
Toutefois jusqu’à nos jours, la lumière et la justice ne sont pas faites sur d’autres crimes coloniaux. Farhat Hached symbolisait le militantisme des travailleurs des pays colonisés. Sa renommée transcendait les frontières, c’était grâce à son action pacifique, son patriotisme et surtout à ses convictions qu’il inspira de nombreux mouvements de libération dans de nombreux pays colonisés. La Main Rouge n’est au fond qu’un gros mensonge, ce n’était qu’un paravent pour perdre l’opinion en hypothèses et en interprétations sans fins. À ce titre qu’en est-il de l’assassinat du médecin Abderrahman Mami, des Ouled Hafouz et de Hédi Chaker ? Eux aussi ont été froidement assassinés par des groupuscules terroristes et leur liquidation a été ordonnée par la plus haute sphère politique française de l’époque.
Au Maghreb et particulièrement au Maroc, l’affaire Mehdi Ben Barka demeure jusqu’à présent mystérieuse, et ce malgré les 48 ans qui nous séparent de l’assassinat de cet éminent opposant au régime de Hassan II.
Les blessures de la mémoire
La blessure mémorielle et ses séquelles demeurent vivaces chez la famille du défunt Hached et la grande famille syndicale et tunisienne. L’attente se fait des plus pressantes pour que ce crime en particulier et tous les autres crimes à connotation politique soient expliqués, reconnus et réparés. Réparés non pas financièrement, mais moralement au travers des excuses que les commanditaires ou ceux qui ont couvert les assassins, en l’occurrence l’État français, présentent à tous les ayant-droits des victimes.
Conclusion
Pour terminer, les archives sur cette question demeurent pour la plupart fermées, et ce malgré l’existence de nombreux documents dont l’inaccessibilité a été ramenée par la loi de 2008, de 60 à 50 ans. Le dossier de Hached, ouvert partiellement, rappelle l’urgnce à ouvrir d’autres dossiers. La France commence depuis peu à augurer une ère nouvelle pour affronter son histoire coloniale et commence par la revisiter courageusement. Délestée du poids que représente cette époque sur sa mémoire, la France peut donner l’exemple d’un pays qui aura su dépasser le stade de la puissance dominatrice pour celui d’un pays qui récrit avec ses anciennes colonies une histoire dépassionnée et démystifiée.
Par Fayçal Cherif