Faut-il choisir entre inflation et récession ?

La spirale inflationniste a atteint dans notre pays un seuil intolérable en février 2018, soit 7,2%. Elle pourrait se poursuivre pour atteindre, voire dépasser dans les mois à venir, 10% et plus pour ce qui est du panier de la ménagère, alors que l’inflation réelle et celle ressentie dépassent largement les 20%.
Cette situation a contraint la BCT à relever de 5% à 5,75% le taux d’intérêt directeur.
Selon les termes du communiqué, on peut lire que “le souci de la BCT de préserver le pouvoir d’achat des citoyens et de favoriser les conditions d’une croissance saine dont les prémices commencent à se dessiner en ce début 2018, motive une action proactive par le resserrement de la politique monétaire en se basant sur le taux d’intérêt en tant qu’instrument privilégié pour une meilleure allocation des ressources financières”.
L’institut d’émission a donc décidé d’engager une politique monétaire restrictive pour donner un signal fort de refroidissement économique aux différents acteurs du marché : investisseurs et spéculateurs, banques et entreprises économiques, consommateurs et pouvoirs publics réunis.
Quels sont les impacts positifs et les retombées négatives sur l’investissement, la croissance et l’emploi ? Cette décision est-elle trop tardive pour être efficace ?
Dans quelle mesure est-elle cohérente avec la politique économique suivie par le gouvernement ?
Il faut s’attendre tout de suite, si ce n’est déjà fait, à une augmentation de 1% minimum du TMM (taux moyen du marché) qui sert de base pour les banquiers afin de calculer le taux d’intérêt sur les crédits bancaires à accorder aux entreprises et aux particuliers : TMM + 2 ou 3% par an, sinon plus.
Le crédit va donc renchérir, déjà qu’il est difficile à obtenir pour cause de manque de liquidités chez les banques, soit au total 9% à 10% par an, ce qui est beaucoup. Il y a là de quoi décourager les entreprises économiques qui souhaitent investir et cherchent des financements pour leurs projets de développement et de quoi désintéresser les ménages qui veulent consommer encore plus.
Selon Ezzedine Saïdane, expert financier, le taux d’inflation est passé de 4,9% en 2014 à 7% en 2017, tandis que le taux d’épargne nationale qui était de 22% en 2010 n’est plus que de 11% en 2017, or l’épargne est à la base du processus de l’investissement.
Il pense que la mesure prise par la BCT va dans la bonne direction bien qu’elle soit tardive et insuffisante et qu’elle risque de ne pas être efficace.
De son côté, Sadok Jebnoun, expert économique, déplore la mesure prise par la BCT, car elle risque d’avoir des impacts négatifs  à la fois sur l’investissement et la consommation. En effet, les charges financières des entreprises vont s’alourdir en conséquence de la hausse du coût du crédit bancaire et la pression fiscale, conjuguée avec la loi de Finances 2018, pourrait atteindre 30%, ce qui est énorme. Il y a également un impact indirect sur l’emploi.
En outre, il pense que le taux d’intérêt directeur n’a aucun impact sur le secteur informel et sur le marché.
Il faudrait souligner que la marge de manœuvre du gouverneur de la BCT est très étroite en matière de régulation de la situation financière et monétaire du pays et de correction de la politique économique menée par le gouvernement.
Il n’a pas le droit d’intervenir pour réduire les importations au strict nécessaire ou pour imposer des droits et taxes sur les produits de luxe importés, responsabilité qui incombe au ministère du Commerce.
Il ne peut pas interdire aux banques d’accorder des crédits à la consommation à leurs clients, ni les obliger à consentir des crédits à long terme aux entreprises pour les inciter à promouvoir des projets de développement ou à investir pour créer plus d’emplois.

C’est le rôle du gouvernement (ministères des Finances et du Développement) par le biais des incitations financières et fiscales incluses dans le code de l’investissement.
Le rôle de la BCT est réduit à la politique monétaire et à la lutte contre l’inflation, alors que le gouvernement ne fait rien pour lutter contre le commerce parallèle et l’économie informelle qui accaparent au minimum 40% de l’économie globale, mais aussi la gestion de la balance des paiements et du stock en devises qui fond un peu plus chaque semaine, ainsi que la stricte application du code de changes qui date des années 1970. Celui-ci ne peut agir efficacement pour le soutien du taux de change du dinar.
Les véritables remèdes nécessaires pour juguler la récession économique sont en fait ailleurs et résident en des mesures courageuses qui consistent à remettre en action les moteurs de la croissance actuellement en panne. Il faut mettre fin d’urgence au drame des phosphates qui se poursuit en plusieurs épisodes avec des rebondissements multiples. Et dire que la CPG injectait jusqu’à 3,6 milliards de dinars par an dans le budget de l’Etat avant 2011 !
L’assainissement financier des 200 hôtels fermés depuis 2011 permettrait, grâce à leur réouverture, la mise à disposition de nos visiteurs d’une capacité d’hébergement supplémentaire de 20.000 lits, ainsi que la création de 10.000 emplois.
La réactivation des projets d’exploration énergétique ainsi que l’accélération de la réalisation des projets d’énergie renouvelable, permettront de réduire le déficit de notre balance énergétique extérieure.
La lutte contre l’évasion fiscale en intégrant les forfaitaires dans le régime réel et en faisant payer les fraudeurs fiscaux conformément à leur train de vie, permettra d’équilibrer le budget de l’Etat et de ralentir notre endettement croissant et excessif (70% du PIB).
La contrebande et l’économie parallèle qui sévissent dans notre pays méritent un plan d’action destiné à leur donner un coup de frein sérieux  pour mettre un peu d’ordre dans nos circuits commerciaux.
En outre, la meilleure parade à l’inflation galopante consiste à sanctionner les spéculateurs qui manipulent les produits agricoles grâce aux entrepôts frigorifiques clandestins.

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