Contrairement à ce que la plupart des Tunisiens pensent, une femme au foyer c’est un travail à temps plein, 365 jours par an, dimanches et jours fériés compris, sans jamais se reposer, ni flemmarder le week-end. En plus, elle a rarement droit à la reconnaissance, et encore moins à une retraite tranquille, puisqu’elle doit souvent s’occuper de ses petits enfants. Offense suprême : elle dépend toujours de son époux pour toutes ses dépenses. Petite immersion dans un univers fermé, où les drames se jouent souvent à huis-clos, avec de rares satisfactions…
Au cours des dernières décennies, la « femme au foyer » a obtenu une reconnaissance partielle de son activité comme conjointe, mais sa situation personnelle ne s’est pas améliorée pour autant. En effet, une étude américaine récente a conclu que les mères au foyer sont plus fréquemment victimes de dépression.
Il est difficile de donner le nombre exact des femmes au foyer en Tunisie, mais on peut déduire des dernières statistiques qui datent de 2014 que leur nombre dépasse le million. En effet, Il y a 2 millions 712 mille et 976 familles en Tunisie et les femmes représentent 50,2% de la population, soit 5 millions 510 mille femmes.
Desperate house wives
Deux impressions se dégagent lorsque l’on évoque le sujet des femmes au foyer : il y a ceux qui en ont une image négative : « c’est une feignasse qui se lève tard, qui traîne à la maison en robe de chambre et qui passe sa journée à rêvasser devant la télé », selon un fonctionnaire de cinquante ans, décrivant ainsi sa femme. Et puis il y a ceux qui connaissent mieux la situation de ces femmes et qui savent qu’elles triment du matin au soir, avec peu de satisfaction à la clé.
Ce qui les fait le plus râler, c’est quand leurs proches ou leurs amies disent qu’elles sont toujours au repos chez elle, toujours en vacances. Anissa, jeune maman, n’a qu’un seul reproche à faire à sa situation : « femme au foyer est un travail épuisant car ça n’arrête pas ! Il y a toujours des choses à faire, des détails à régler… » Mais alors comment font celles qui travaillent ? Sa réponse est toute prête : « elles se font aider ou bien elles ont un foyer en piteux état ! »
De son côté, Sawssen, mariée depuis six ans, avec deux jeunes enfants, commence à déprimer sérieusement : «je donne l’impression d’être heureuse, je fais croire aux gens que je suis bien dans mon foyer confortable, mais en réalité j’étouffe entre ces quatre murs. À force de jouer la femme heureuse et comblée, je m’enfonce dans un cauchemar que peu de mes proches soupçonnent. On dit souvent qu’être maman est le plus beau métier du monde, mais en fait, on a droit à la médaille de l’ingratitude, à la palme du travail ingrat !»
Nesrine, une jeune maman de vingt sept ans a tenu à nous parler de sa situation : « mon mari appartient à cette catégorie d’hommes pour qui une femme doit rester à la maison sans rien exiger. Or, moi, j’ai fait des études d’informatique et je voudrais bien lancer un projet dans ce domaine. Bien qu’assez riche, mon cher époux refuse de m’avancer le moindre millime et menace même de divorcer si je décide de travailler en dehors de la maison. »
Nous l’avons rencontré, son cher mari et nous avons constaté que, comme de nombreux Tunisiens aisés, il a une vision rigide du couple : « je suis commerçant en pièces de rechanges et je gagne assez bien ma vie. Je ne veux pas que mes enfants se retrouvent dans des crèches où ils risquent d’être maltraités. Et je ne veux pas non plus que ma femme se fasse belle tous les matins pour aller travailler dans une société où il y aura toujours des regards sales et des mains baladeuses ! »
Mais Nesrine a une toute autre vision des choses : « c’est absurde ! Moi je veux créer ma propre société où je serais maître à bord. Il n’y a donc aucun problème de ce genre. Je veux sortir avec mes copines, mais il ne me laisse pas conduire. Je veux passer le week-end chez mes parents, mais il ne les aime pas. En plus, il me donne de l’argent au compte goutte et je dois presque mendier pour aller chez l’esthéticienne ou même pour acheter des serviettes hygiéniques ! Ma seule satisfaction ce sont mes enfants… »
Un dictateur à la maison
Ailleurs, dans un quartier chic de la Marsa, nous rencontrons Naïma, quarante ans et beaucoup de désillusions. Avachie sur un fauteuil, débraillée et déprimée, elle a beaucoup changé depuis ses vingt ans. Elle passe sa journée à engloutir sans appétit une nourriture qui compense le manque d’activité valorisante, l’absence d’amour et même de vie tout simplement. Elle regarde des feuilletons qui évoquent des princes charmants inaccessibles et des îles féeriques qu’elle ne visitera jamais. Tout cela est si loin de son quotidien médiocre et de son désespoir abyssal.
« Au début, nous confie-t-elle sur un ton las, être femme au foyer était un choix librement consenti. Pas de patron, pas de pression, ni de transport ou d’horaires précis : c’était assez confortable et cela me semblait merveilleux ! Mais il y avait le revers de la médaille : la solitude, les longues heures à s’ennuyer, les amis que l’on ne voit plus et surtout le mari qui rentre tard, fatigué et stressé et qu’il ne faut pas énerver. Il se comporte comme un dictateur… »
Même situation, mais réaction différente : Neila, trente six ans, « mariée depuis toujours » comme elle dit, passe ses journées à préparer de bons petits plats faits maison. « Il y a un an, j’ai quitté la société privée où je travaillais depuis trois ans pour me consacrer à mes deux enfants et à mon foyer. Et je trouve que ma nouvelle vie est plus reposante, centrée sur ma famille qui me donne plein de satisfactions et de petits bonheurs que je ne savais pas apprécier auparavant. » Petite hésitation et elle ajoute : « la seule chose qui me dérange un peu, c’est que je ne vois mon mari que deux heures par jour, car il travaille beaucoup… »
Un psychologue spécialisé dans les affaires familiales nous a affirmé que « le mot clé c’est le partage. Le mari qui travaille toute la journée et qui rentre tard, a besoin de calme, de petits plats qui réchauffent le corps et de gestes de tendresse qui réchauffent le cœur… L’avantage de la femme au foyer, c’est qu’elle peut organiser sa journée comme elle veut. Elle se doit donc d’être disponible, à l’écoute de son conjoint et de ses enfants. »
La question que l’on pose le plus souvent aux femmes au foyer varient : « une femme comme toi, si active, tu dois t’ennuyer à ne rien faire, non ? » Ou alors « quelle chance tu as, si seulement je pouvais vivre comme toi et avoir plus de temps libre à me consacrer… » Ou bien encore « mais qu’est-ce que tu fais de tes journées ? » Et Alya, jeune maman de 28 ans, répond souvent : « je m’occupe des enfants, de la cuisine, des courses, de la décoration de mon intérieur, de la paperasse administrative, des factures, des petites pannes, des rendez-vous chez le pédiatre… Bref, de tout ! »
Les situations les plus désespérées se trouvent ailleurs, notamment en Europe, avec des femmes au foyer isolées de leurs proches, sans amies sur place, et souvent parlant mal la langue du pays, comme Ahlem, une jeune femme de 25 ans qui vit en Allemagne. Au cours de notre discussion via les réseaux sociaux, elle nous a confié : « il est minuit passé, mon mari travaille de nuit et moi je n’arrive pas à dormir seule. En plus, il rentre à l’aube fatigué et il dort toute la journée. Vous imaginez ma vie ! Je me suis mariée avec lui pour échapper à la pauvreté et au chômage dans mon pays et là je me retrouve isolée du monde, sans aucun contact même avec les voisins car je ne parle pas allemand, bien que j’aie commencé à l’apprendre depuis mon arrivée… Je suis désespérée ! »
Une assistante sociale a tenu à attirer notre attention sur un problème auquel on pense peu : «le divorce ou pire encore, le décès du conjoint laisse un vide affectif, mais aussi financier, car la pension alimentaire ou celle de veuve, n’est souvent pas suffisante. La femme divorcée ou la veuve est donc obligée de quitter le foyer pour travailler à l’extérieur, quand elle trouve du travail ! Sinon, elle va tenter de survivre grâce aux aides de diverses sources et ce n’est pas facile… »
Alors réfléchissez avant de vous retrouver dans des situations complexes, voire inextricables ! Heureusement que chez nous, la famille continue à soutenir les membres qui rencontrent des difficultés…
Yasser Maârouf