Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, s’est livré à un grand oral lors d’une interview accordée à Elhiwar Ettounsi et au journal Le Maghreb, mardi 22 novembre 2016. Pas d’annonces majeures de la part du Chef de l’État : seulement des précisions sur les sujets qui font l’actualité, à savoir les auditions en direct de l’Instance Vérité Dignité (IVD), l’affaire Nagdh, ou encore l’action gouvernementale. Temps forts de l’interview.
Sans aucun doute, cette interview a constitué pour Beji Caid Essebsi une occasion pour mettre les points sur les « i » sur des questions brûlantes qui exigeaient des réponses, même si après « le show » d’une heure et quinze minutes, les téléspectateurs sont restés sur leur faim à bien des égards.
On ne pourra pas dire que cela va rester dans les annales. Des questions plus qu’attendues et qui portent la couleur du déjà vu et des réponses d’un BCE qui en a vu d’autres et qui répondait, comme à son habitude, au compte goutte s’il ne tournait pas la chose, délicatement bien sûr, en dérision.
Le choix fait par le réalisateur de ce show politique, en l’occurrence Sami Fehri, d’utiliser une table ronde qui porte le sceau d’un pan important de l’histoire de notre pays, est un coup de maître ajouté au coin de bibliothèque qui connaît un bout de cette histoire. Le scénario était parfait, nous ne jugerons pas le jeu des acteurs.
Revenons à l’interview.
Pour commencer, nombreuses étaient les piques adressées à l’IVD et, indirectement, à sa présidente Sihem Ben Sedrine, par Béji Caïd Essebsi. Ce dernier semble, à notre avis, ne pas avoir oublié que Ben Sedrine rend compte de ses activités et présente ses rapports en premier à Montplaisir plutôt qu’à Carthage ou au Bardo et La Kasbah. Il clarifiera, toutefois, les raisons de son absence de la première séance publique des auditions des victimes de la dictature en précisant que « le président de la République n’est pas appelé à être présent partout. Et puis, l’IVD n’accorde aucune importance à la présidence de la République », a commencé par dire le Chef de l’Etat, qui a, par la suite, porté un sérieux coup à l’instance. « Il ne s’agit pas d’une institution constitutionnelle. Elle se positionne au-dessus de tous. Il y a de la sincérité dans les témoignages. C’est indéniable. Mais où sont les bourreaux ? On ne peut pas dire qu’il s’agissait d’une journée historique ».
Affaire Nagdh : « j’ai été consterné par le verdict »
Béji Caïd Essebsi n’a pas caché son désaccord avec le verdict qui a été rendu dans l’affaire de l’assassinat de Lotfi Nagdh, ancien coordinateur régional de Nidaa Tounes à Tataouine. « Je respecte l’indépendance de la Justice, mais j’ai été consterné par le verdict et je ressens un certain malaise « , a confié le président de la République.
Quant aux accusations portées à Ennahdha après l’assassinat, il ne les a pas niées. « Je l’ai fait en tant que chef de parti. J’avais même les enregistrements vidéos et sonores. À présent, je suis le Chef de l’Etat et j’ai un devoir de réserve », a-t-il dit, précisant que grâce à lui, « un bain de sang été évité de justesse en Tunisie et que la révolution est sur les bons rails ». Cet exploit été rendu possible « grâce au peuple et à l’administration tunisienne que l’on cherche aujourd’hui à diaboliser », a-t-il ajouté.
Un GUN qui doit être soutenu, une loi de finances de la dernière chance
Autre volet abordé lors de cette interview, l’action gouvernementale et la conjoncture économique en Tunisie. Sur ces points, la Chef de l’Etat a concédé que la situation était grave, critiquant, avec une certaine ironie, l’attitude des centrales syndicales vis-à-vis de l’action du gouvernement et particulièrement avec le projet de loi de finances 2017. « L’UGTT rejette le gel des salaires. L’UTICA, pour sa part, veut écarter la taxe à 7,5% sur les entreprises, quant aux avocats, ces derniers ne veulent pas payer d’impôts. Ces trois composantes ont pris part à la signature du pacte de Carthage », a noté. Béji Caïd Essebi qui a également insisté sur le rôle majeur de l’UGTT dans la préservation de la stabilité sociale pour l’intérêt national. « C’est moi qui ai voulu que l’UGTT fasse partie du gouvernement d’union nationale, même si elle a refusé de l’intégrer. Je ne pense pas que la centrale syndicale va mettre ses menaces de grève à exécution. L’UGTT est un pilier de l’État et je suis persuadé que l’on trouvera un terrain d’entente », a-t-il assuré.
Par ailleurs, le Chef de l’Etat considère que le projet de loi de Finances 2017 constitue la solution de la dernière chance. « Une nécessité pour limiter les dégâts », selon ses dires. Le projet a été conçu, non seulement en fonction des exigences sociales de la Tunisie, mais aussi de celles du FMI. « Sans le report des augmentations salariales, il nous sera impossible de bénéficier du prêt de l’institution mondiale », a-t-il souligné, assurant qu’un « consensus sera trouvé ». Le président de la République a insisté sur l’importance de faire comprendre aux tunisiens la gravité de la situation. « S’il y a une détresse générale aujourd’hui, c’est parce que les responsables politiques ont été incapables d’expliquer la réalité aux citoyens », a-t-il regretté.
Par ailleurs, le président de la République a insisté sur l’importance de soutenir le gouvernement d’union nationale. « Il ne s’agit pas du gouvernement de Nidaa Tounes, mais celui de tous les tunisiens. Ceux qui affirment que le Chef du gouvernement ne possède aucun soutien politique doivent savoir qu’il a obtenu celui des députés », a-t-il déclaré.
« Il n’y a pas de bases militaires américaines en Tunisie »
Sur le plan diplomatique, le Chef de l’État a été interpellé sur deux principaux sujets : l’existence d’une base militaire américaine sur le territoire tunisien et les relations tuniso-américaines. « Il n’y a pas de bases militaires américaines en Tunisie », a tranché Béji Caïd Essebsi. « Certes, j’ai donné mon autorisation pour l’utilisation de drones d’exploration qui ne sont aucunement destinés au combat. Les États-Unis ont eu recours aux bases militaires tunisiennes pour lancer les missions d’exploration et le seul but était le partage des renseignements. Personne n’est menacé, y compris l’Algérie, qui est un pays amis et à qui nous avons fourni spontanément des explications », a souligné le président de la République. « C’est dans l’intérêt de la Tunisie et de sa sécurité », a-t-il ajouté.
D’autre part, concernant les relations tuniso-américaines, Béji Caïd Essebsi a mis en valeur l’amitié qui lie les deux pays, et ce depuis 1779. « L’élection de Donald Trump devrait sans doute apporter des changements sur le plan interne aux États-Unis, mais à l’échelle internationale, le temps nous le dira », a-t-il déclaré. Et d’ajouter : « La Tunisie entretient de bonnes relations que ce soit avec les Démocrates ou avec les Républicains. Ce sont ces derniers qui ont appelé l’administration Obama à apporter plus de soutien à la Tunisie. Par ailleurs, tout ce qui relève de l’intérêt de la Tunisie, nous le ferons ».
Le président prend ses distances de Nidaa Tounes
Béji Caïd Essebsi s’est montré, d’autre part, ferme sur la question de la crise qui secoue actuellement Nidaa Tounes. Voulant sans doute prendre de la hauteur, il a clairement pris ses distances avec les dirigeants du parti, notamment Ridha Belhaj. « Aucune partie prenante au conflit interne ne pense à l’intérêt de la Tunisie », a lancé, avec fermeté, le Chef de l’État. « Lorsque les membres auront retrouvé la raison et auront considéré l’intérêt national comme il se doit, je serai présent lorsque l’on m’appellera », a-t-il encore dit.
Dans cette même veine, Béji Caïd Essebsi a tenu à minimiser le rôle qu’a joué son fils, Hafedh Caïd Essebsi, dans la complication de la situation. « La crise de Nidaa Tounes a éclaté en 2014. Pourquoi parle-t-on toujours de Hafedh en tant que fils du président ? Je vous rappelle qu’il a fait son entrée en politique sans moi. Quoiqu’il en soit, je n’interviens plus dans les affaires du parti », a-t-il expliqué.
Sur la question de la création d’un éventuel front républicain, le Chef de l’État a été catégorique : « c’est une rumeur infondée. Je crois au pluralisme politique, mais pas au concept du parti dominant ou unique. Dans l’histoire, il n’y a jamais eu de front républicain qui a réussi à atteindre ses objectifs », a-t-il souligné.
Deux bons points et puis s’en vont!
C’est avec le mot « espoir » qu’à la fin, le Chef de l’État a conclu son interview télévisée. « Nous devons mieux communiquer avec les citoyens et avancer, tous, main dans la main, car nous sommes sur la bonne voie », a-t-il clamé.
En résumé, pas d’annonces majeures de la part du président de la République qui aurait pu calmer la profonde douleur et la soif de ces citoyens dont il a vanté les mérites plus d’une fois dans son entrevue. L’apparent désengagement de Béji Caïd Essebsi de Nidaa Tounes risquerait, quant à lui, d’envenimer la situation au sein d’un parti qui comptait énormément sur son intervention providentielle. Sur les questions économiques, nous avons, en somme, eu le droit à ce que les ministres du gouvernement d’union nationale ont d’ores et déjà affirmé pour défendre les mesures qui ont été prises et l’actuel projet de Loi de finances 2017.
Le Chef de l’État a tout de même marqué deux bons points. Le premier porte sur l’appel à l’unité, notamment adressé à l’UGTT, et aux autres organisations syndicales. Le second est relatif à la politique étrangère, où le président de la République a parfaitement endossé son costume du Chef de la Diplomatie tunisienne. Seul bémol dans l’affaire : sa position par rapport à la diplomatie parallèle. De fait, Béji Caïd Essebsi, a déclaré qu’il ne voyait pas d’inconvénients dans les déplacements à l’étranger des chefs des partis politiques. « Du moment qu’ils servent l’intérêt de la nation », a-t-il dit. Une position qui va totalement à l’opposé de celle de Khemaïs Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères, qui avait exprimé sa ferme opposition à de telles pratiques, affirmant que la diplomatie relève exclusivement de la souveraineté de l’Etat.